L’Extension universitaire de Bruxelles 1893-1914

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Michèle Stessel (historienne) avec la collaboration de Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

En 1893, des membres de l’Université libre de Bruxelles s’inspirant directement d’œuvres similaires existant en Angleterre et aux États-Unis lancent l’Extension universitaire de Bruxelles.[1] C’est au professeur Léon Leclère qu’en revient l’initiative quand il lance un appel aux intellectuels à s’engager dans la création d’une extension universitaire selon le modèle anglais. Un groupe de professeurs, d’étudiants et d’anciens étudiants réunis autour de lui et d’Eugène Monseur, décide de créer dans la capitale, une telle société. Le but de l’œuvre est de rendre les connaissances scientifiques accessibles au plus grand nombre, d’élever le niveau intellectuel et moral de la population et de faire découvrir le rôle fondamental de l’activité scientifique dans la société.

Un comité provisoire s’attèle à élaborer un projet de statuts et à préparer l’assemblée générale fondatrice de la société à laquelle est invitée toute personne intéressée par cette œuvre d’éducation populaire. Un Manifeste précise les intentions poursuivies : « il appartient aux détenteurs du savoir et du pouvoir d’instruire le peuple ou mieux de diffuser la culture dans les masses populaires afin qu’elles participent à cette culture au même titre que ceux qui l’ont élaborée. […] Tous les bons esprits sans distinction d’opinion ont de plus en plus la conscience du devoir qui leur incombe d’élever à eux les masses populaires, de compléter l’éducation du peuple. »[2] Pour les initiateurs, les universités sont les seules capables d’organiser un véritable enseignement populaire : « [En Angleterre], l’éducation populaire n’y a pas été laissée au hasard des bonnes volontés individuelles. Ce sont les universités d’Oxford et de Cambridge qui, avec toutes les ressources scientifiques, ont assumé cette tâche. Les séries de cours organisées par elles dans les milieux en apparence les plus réfractaires à tout effort intellectuel ont réussi au-delà des prévisions les plus optimistes. Nous nous proposons de les imiter et venons faire appel à vous pour nous aider à créer une société intimement rattachée à l’Université libre de Bruxelles qui se chargera d’organiser des cours populaires d’enseignement supérieur avec le concours de toutes les associations qui voudront bien s’intéresser à l’œuvre ».[3]

La fondation

Le 22 mars 1893, a lieu l’assemblée générale fondatrice de l’Extension universitaire, en présence d’une centaine de personnes, tous membres de l’ULB. Le recteur, Hector Denis, préside la séance et insiste dans son discours inaugural, sur la nécessité de diffuser pour le bien de la démocratie, les connaissances scientifiques. Il expose ensuite les objectifs de l’Extension. L’université ne doit pas seulement être celle des étudiants, mais du peuple tout entier. L’institution se propose donc de mettre à la portée de tous, sous des formes simplifiées, le contenu de son enseignement. Ainsi l’Extension tend en quelque sorte à réaliser dans le domaine des sciences, ce qu’accomplissent les sections de la Maison du peuple dans celui de l’art. Ensuite, Léon Leclère retrace l’historique du mouvement extensionniste et expose le but spécifique de l’Extension universitaire de Bruxelles. Après quoi, Émile Vandervelde présente et commente les dispositions statutaires. L’assemblée est conviée à voter chaque article ce qui ne suscite aucune difficulté, à l’exception de l’article 11 qui limite le corps enseignant aux seuls professeurs et docteurs de l’ULB. Plusieurs participants, dont une majorité d’anciens étudiants, soulignent le caractère restrictif et réactionnaire de ce principe et reprochent au Comité fondateur d’exclure de manière totalement injustifiée des personnes compétentes, telles des médecins, des jurisconsultes de premier ordre, des savants, sous le seul prétexte qu’ils ne sont pas agrégés. Malgré ces échanges, l’article en question est adopté sans modification. Dès le départ, l’Extension se prive dès lors de personnes compétentes et intéressantes. La séance de fondation s’achève avec l’élection d’un comité provisoire qui est chargé aussitôt de prendre contact avec les organismes susceptibles d’aider la jeune Extension à réaliser le but social qu’elle s’assigne : « la diffusion de la culture scientifique basée sur le principe du libre examen, par l’organisation de cours populaires d’enseignement supérieur, à caractère exclusivement scientifique. »

Organisation et administration

Le fonctionnement de l’Extension universitaire copie celui du modèle britannique avec un comité central et des comités locaux implantés dans tout le pays. La société est composée de membres effectifs et de membres adhérents. Les premiers, qui paient 2 francs de cotisation, sont des professeurs, des docteurs agrégés ou spéciaux, des étudiants et anciens étudiants de l’ULB. Les membres adhérents paient 10 francs de cotisation annuelle, n’ont pas de droit de vote et composent en quelque sorte un comité d’honneur. À la première assemblée générale du 6 juin 1893 qui se déroule après seulement 4 mois de fonctionnement, le nombre de membres effectifs et adhérents est de 207. Ils sont 246 membres (233 effectifs et 13 adhérents) à l’assemblée générale du 3 juin 1894. L’assemblée du 6 avril 1895 qui doit gérer la scission dont il sera question plus loin dans cet article et se prononcer sur l’avenir de la société, affiche une stabilité des membres puisqu’ils sont 229 effectifs et 15 adhérents.

1893 : l’Extension reçoit le soutien moral de l’ULB

Dès la fondation, le Comité provisoire, à l’instar de ses consœurs anglaises et américaines, sollicite du conseil d’administration de l’ULB la reconnaissance officielle ce qui lui sera refusé. Celui-ci estime néanmoins que l’université doit se montrer coopérante vis-à-vis d’une entreprise louable à bien des égards en encourageant ses membres, professeurs et étudiants à participer à son essor. Comme elle se doit d’avoir un droit de réserve institutionnel vis-à-vis de l’Extension, rien ne l’empêche de lui accorder son patronage moral.[4] Lors de l’assemblée générale du 3 juin 1894, le Comité se déclare satisfait de cet appui moral de son université ainsi que du droit d’utiliser ses locaux.

La Ligue de l’enseignement : un partenariat essentiel

Dans le même temps, le Comité provisoire se tourne vers La Ligue de l’enseignement et lui propose un partenariat. Sans aucune difficulté, la Ligue accepte et ses représentants ont désormais le droit de siéger au Comité central. Le terrain est préparé : plusieurs sont membres à la fois de l’Extension universitaire et de La Ligue de l’enseignement. Pour la Ligue, les objectifs sont communs : « cette société, qui poursuit la diffusion de la culture scientifique par l’institution de cours populaires d’enseignement supérieur, avait cru pouvoir compter sur l’appui de notre Ligue dont le programme porte précisément la propagation et la diffusion de l’éducation et l’instruction à tous les degrés et qui s’est attachée, durant son existence, déjà longue à favoriser tout ce qui peut étendre la culture intellectuelle du peuple. C’est assez dire que l’accord devait être facile entre la jeune société et la nôtre. »[5]

La Ligue accepte d’informer ses membres de l’existence de l’Extension, de susciter la constitution de comités locaux et lui assure son appui financier si nécessaire. Ces comités doivent clairement annoncer son patronage et lors de la séance d’ouverture d’un cours, un délégué de la Ligue doit prendre la parole au même titre qu’un représentant de l’Extension. Ses membres bénéficient de la gratuité des leçons et un syllabus de chaque cours, organisé par un comité local, est envoyé à sa bibliothèque.

1894 : la scission

À peine lancée, l’Extension universitaire de Bruxelles connait une scission, victime comme d’autres institutions issues de l’ULB, du conflit qui oppose alors au sein de l’université, les doctrinaires et les progressistes et qui donne naissance à l’Université nouvelle. Certains membres du Comité central de l’Extension proposent d’exclure du corps enseignant, les professeurs appartenant à l’Université nouvelle. Cette proposition est rejetée et entraîne la démission de certains membres qui fondent dans la foulée, l’Extension de l’Université libre de Bruxelles. La scission a des conséquences en cascade. Le conseil d’administration de l’ULB retire à l’Extension universitaire de Bruxelles le droit de disposer de locaux et interdit à ses professeurs d’y donner cours. Amputée de ses professeurs, privée de locaux, elle se tourne vers l’Université nouvelle et l’Université de Liège (1894). Elle fait appel à des professeurs appartenant à l’enseignement supérieur non universitaire ou à l’enseignement secondaire, tous agrégés de l’ULB ou de l’Université de Liège. Autre conséquence, en 1896, la Ligue de l’Enseignement se déclare contrainte d’opter pour une des deux extensions, à savoir l’Extension de l’ULB. Elle justifie son choix par le fait que le corps professoral appartient à l’ULB, par l’intensité de son activité, son caractère éminement social, son avenir prometteur et sa réputation à l’étranger. Ce sont davantage des justifications pour rompre les liens car l’Extension universitaire de Bruxelles peut avancer les mêmes faits, la même politique et une réputation internationale. Ces entraves vont perturber son fonctionnement et, par conséquent, ralentir son activité de manière passagère avant de reprendre un second souffle. En fait, les deux extensions vont évoluer en parallèle.

Carte de membre de l’extension universitaire de Bruxelles (archives de l’Université Libre de Bruxelles).
Extension de l’ULB
Extension universitaire de Bruxelles
Comités
Cours
Comités
Cours
Bruxelles
9
Bruxelles
5
Anvers
2
Anvers
1
Ath
1
Arlon
1
Tournai
1
Tournai
3
Andenne
1
Charleroi
1
Bruges
1
La Louvière
1
Courtrai
1
Quevaucamps
1
Leuze 1
Thuin 1

Une extension universitaire a une vocation nationale à travers ses sections locales. L’Extension universitaire de Bruxelles étend son action, de 1892-1893 à 1894-1895, aux provinces flamandes avec des sections à Courtrai, Nieuport, Gand, Anvers, Malines et Hasselt. En Wallonie, elle est présente à Ath, Charleroi, Quevaucamps, La Louvière, Mons, Tournai, Andenne, Namur, Verviers et Arlon et dans la capitale, à Bruxelles et Ixelles. En 1905-1906, l’Extension a 9 sections en Brabant, surtout dans l’agglomération bruxelloise, 11 dans le Hainaut, 9 à Liège, 1 à Namur et 1 à Anvers.

Le Comité central

L’Extension universitaire de Bruxelles est pilotée par un comité central, composé de membres effectifs élus par l’assemblée générale pour une année académique, des délégués des associations ou institutions patronnant l’œuvre, qui ont également une voix délibérative, et des délégués des comités locaux affiliés qui n’ont qu’une voix consultative. Le Bureau se compose de membres effectifs, choisis parmi les membres du Comité central. Du premier comité mis en place à la fondation, il ne reste, après la scission, que 4 membres. Il faut renouveler les mandats. Parmi ceux qui restent fidèles à l’Extension universitaire de Bruxelles, il y a le socialiste Émile Vandervelde, membre actif au Comité et au Bureau. Il est docteur en économie politique de l’ULB, fondateur des sections d’art et d’enseignement à la Maison du peuple. Ses cours sont centrés sur les questions sociales et économiques et plus particulièrement sur la défense des droits des travailleurs. D’autres membres du Parti ouvrier belge (POB) s’investissent également comme Louis De Brouckère, Edmond Picard, Hector Denis, César De Paepe.[6]

Les activités du Comité central

Le Comité central est chargé de l’organisation interne comprenant la programmation des cours, les relations avec les comités locaux, avec le corps professoral, et la gestion des finances. L’Extension universitaire a vocation à essaimer. Pour cela, le Comité central s’appuie sur le développement de comités locaux dont elle doit stimuler la création. Il exerce sur ces comités locaux, un contrôle régulier : les statuts, par exemple, doivent obligatoirement être soumis à son approbation. Chaque année, il dresse la liste générale des cours que les enseignants se proposent de donner et la diffuse auprès du public et des comités locaux qui font leur sélection. Le Comité central met alors en relation les uns avec les autres. Les comités locaux ne peuvent jamais s’adresser directement aux titulaires des cours retenus, ce qui est assez pesant car plusieurs cours sont demandés la même année par plusieurs sections locales, etc.[7]

Sur le plan pédagogique, le Comité central veille au respect des règles qui garantissent la stricte application des méthodes d’enseignement propres au système extensionniste : le nombre de leçons minimum qu’un cours doit comporter, l’obligation du syllabus reprenant un résumé des leçons et des questions destinées à approfondir la matière à domicile et l’organisation d’une classe après chaque leçon. Les comités locaux sont tenus à la fin de chaque année académique de rendre un rapport sur leurs activités. Ce regard sur l’activité des sections locales permet aussi d’aborder des problématiques récurrentes comme la question du nombre de leçons qu’un cours doit comporter pour être instructif tout en demeurant attrayant pour un public peu cultivé, ou encore les moyens pour augmenter la participation des ouvriers au cours.

Le Comité central et les organisations ouvrières

Nous avons peu d’informations sur les liens noués entre l’Extension et le mouvement ouvrier à part l’indication qu’à la fin de l’année académique 1894 et 1895, le Comité central entreprend des négociations avec trois syndicats bruxellois pour lancer à Bruxelles des comités locaux placés sous leur patronage. Il s’agit de l’Association  libre des imprimeurs et compositeurs typographes, de la Fédération du bois et de la Fédération des métallurgistes.

Les comités locaux

Les comités locaux constituent la première ligne. Le succès de l’Extension repose en grande partie sur leur dynamisme. Ils organisent les cours et concrétisent les objectifs des promoteurs de l’institution, à savoir diffuser la haute culture scientifique au sein de toutes les classes sociales et permettre aux habitants de tous les coins du pays d’avoir accès à une forme d’enseignement universitaire. Ils fixent le programme des cours, les horaires des leçons, le prix des cartes d’entrée, trouvent un local de cours de préférence neutre : une salle d’école ou un autre établissement public. Ils assurent la propagande. Le choix des cours est essentiel puisqu’il s’agit d’intéresser un public hétérogène. Mais comment anticiper cet intérêt ? La solution préconisée : la mixité sociale : « C’est de leur bonne composition [les comités locaux] que dépend en grande partie le succès des cours. Toutes les classes sociales devant se confondre dans les auditoires, devant travailler et concourir ensemble aux examens, il sera sage de les composer de façon à en faire le reflet, la représentation exacte des divers groupes d’élèves. Les personnes dévouées qui institueront pareils comités, feront appel aux diverses sociétés existant dans la commune : il importe surtout que les ouvriers soient représentés… »[8]

Pour bénéficier de l’étiquette « Extension universitaire », les comités doivent remplir une série d’obligations vis-à-vis du Comité central : présenter leurs statuts, choisir leur programme dans une liste de cours établie par le Comité central, passer obligatoirement par ce dernier pour tout contact avec les enseignants, même pour une simple conférence, et rédiger un rapport annuel. Les promoteurs d’un comité local sont parfois des membres de la Ligue de l’enseignement qui répondent à l’appel lancé par cette dernière. Mais, dans la majorité des cas, les comités locaux sont créés par des sociétés locales qui ajoutent à leurs activités l’organisation d’un cours populaire d’enseignement supérieur.

En 1893-1894, sur les 13 comités ayant fonctionné, 8 sont créés par des sociétés savantes locales : le Cercle de l’enseignement populaire de Tournai, par exemple, lance un comité local en se greffant sur une société qui a déjà pour objet principal la diffusion des connaissances. Ils adhèrent aussi à la Ligue de l’enseignement pour obtenir son appui. Cette initiative des sociétés locales est interprétée comme le signe évident d’une aspiration spontanée de la base vers la haute culture scientifique. L’Extension universitaire répond, dans ce cas précis, à un besoin préexistant à sa création.

À quelle catégorie socioprofessionnelle appartiennent les fondateurs et dirigeants des comités locaux ? Répondent-ils aux critères souhaités par les initiateurs de l’Extension universitaire en représentant toutes les classes sociales et spécialement de la classe ouvrière ? C’est difficile à estimer. Nous savons ainsi que le Comité de Tournai est composé d’un avocat, docteur en sciences politiques et administratives (président), du bibliothécaire de la ville (secrétaire), d’un industriel échevin, d’un médecin ex-échevin et d’un avocat, membre de la Chambre des représentants. Tous sont domiciliés et demeurent à Tournai. L’exécutif du Comité d’Ixelles est composé d’un avocat, conseiller communal (président), d’un étudiant en droit à l’ULB (secrétaire), d’un instituteur (trésorier), de l’inspecteur cantonal de l’enseignement primaire, d’un médecin et de 5 professeurs de l’ULB dont Léon Leclère, Émile Vandervelde et trois médecins. La direction des comités locaux est sans conteste entre les mains d’intellectuels et de membres de la bourgeoisie. Les ouvriers ne sont pas présents. Seul le Comité de Bruxelles compte une femme, Isabelle Gatti de Gamond, socialiste et féministe éclairée, promotrice de l’enseignement secondaire pour jeunes filles. Il faut souligner aussi l’engagement des étudiants de l’ULB, des enseignants, des élus communaux et, parmi les membres des professions libérales, des avocats et des médecins.

Le budget

Responsables de toute l’organisation matérielle des cours, les comités locaux doivent en supporter tous les frais, à savoir la location de la salle, le chauffage, l’éclairage, les indemnités de déplacement, l’hébergement de l’enseignant, les gratifications aux appariteurs, les frais de secrétariat et toutes les dépenses dues à la campagne de propagande. Il faut y ajouter les frais d’impression des syllabus. Les droits d’entrée, qui doivent rester modérés s’ils veulent préserver le caractère démocratique de l’initiative, constituent la seule recette. Il en résulte des déficits récurrents ce qui peut expliquer la disparition de certains comités ou l’hésitation à se lancer dans l’aventure. La vente des cartes d’inscription ne suffit pas à couvrir les frais. Les subsides sont donc nécessaires soit via l’adhésion à la Ligue, soit via les pouvoirs locaux qui peuvent intervenir de diverses manières avec une aide financière ou un soutien matériel. Ixelles obtient ainsi de l’administration communale un subside fixé à 150 francs et la salle de la Justice de paix.

Comité local Nombre de cours Budget 1893-1894 Dépense moyenne pour un cours
Bruxelles 4 Dépenses : 1.349,75
Recettes : 1.200,00
Déficit : 149,75
300 francs
Ixelles 3 Dépenses : 521,64
Recettes : 296,69
Déficit : 225,04
150 à 200 francs
Namur 2 Dépenses :  367,95
Recettes : 243,00
Déficit : 124,95
150 à 200 francs
Tournai 1 Dépenses : 302,00
Recettes : 145,00
Déficit : 157,00
300 francs

Tableau réalisé d’après les rapports d’activités annuels des comités locaux, p. 167 (Archives de la ville de Bruxelles).

Prix demandé en 1893-1894
Ixelles :
– 1 franc pour un cours de 6 leçons
– 2 francs pour le total des cours, soit 3 cours de 18 leçons
        50 % de réduction pour les groupes et les sociétés qui prennent 10 cartes.
Tournai :
– 1 franc pour un cours de 6 leçons (idem à Namur)
– 25 centimes pour une leçon

La pédagogie

Les cours se donnent le soir ou le dimanche après-midi et portent sur la médecine, la biologie, la géographie, les sciences appliquées, le droit, l’économie, etc. Ils comprennent 6 leçons au minimum, 10 ou 12 généralement et exceptionnellement 20 leçons. La tendance au fil des années est de réduire le nombre de cours vu que le public déserte au fur et à mesure de l’avancement des leçons.

(Archives de l’ULB, Bruxelles).

Dans le modèle anglais, après le cours, les étudiants se retrouvent en classes autonomes au sein desquelles ils entreprennent spontanément, sans l’aide d’un professeur, des activités scientifiques. Ils deviennent capables de prendre en main leur propre développement intellectuel ce qui est bien le but de l’enseignement extensionniste. Mais les classes ne fonctionnent pas partout ou travaillent de manière irrégulière et variable selon les comités locaux. Le public est réticent à une participation active au cours et les professeurs ne parviennent que rarement à obtenir de leurs élèves des travaux écrits et encore moins à les décider de subir des épreuves sur la matière. Seul le principe des cours composés de plusieurs leçons portant sur un sujet unique est suivi. Il n’y a pas d’examen et aucune extension universitaire en Belgique ne délivre de diplôme. La Katholieke Vlaamse Hogeschool Uitbreiding à Anvers, avec son école d’infirmières et son école commerciale, fait figure d’exception. Les extensions anglaises et américaines par contre organisent des « systematic course » qui visent à donner une formation complète dans un domaine précis, avec des cours préparatoires à l’université ou à l’école normale ou des cours permettant d’obtenir au terme d’une série d’épreuves, un grade universitaire. Cela représente une autre dimension.

Par la suite, les dirigeants des deux extensions bruxelloises concurrentes cherchent à adapter la méthode aux besoins culturels et au niveau intellectuel de la population, en particulier des milieux ouvriers qui jusqu’alors ne témoignent que peu d’intérêt pour cette forme d’enseignement. Ainsi le système des conférences à thème unique, banni dans un premier temps, est introduit après 1900. Par ailleurs, tous les moyens pour rendre concret le contenu des cours sont utilisés : projections lumineuses, excursions scientifiques, visites guidées de villes et des musées, etc. Ces nouveaux procédés contribuent à rendre l’enseignement des extensions plus attrayant et par conséquent plus populaire. Peut-être faut-il voir ici l’influence ou la concurrence bénéfique des universités populaires qui se développent à partir de 1900.

La participation aux cours est un indicateur de mesure de l’impact des extensions. À Gand, elle oscille entre 40 à 50 auditeurs par cours et certaines leçons peuvent attirer jusqu’à 300 personnes. À l’Extension de l’Université libre de Bruxelles, la participation varie entre 150 et 200 personnes par cours. Certains en rassemblent plus de 500. La majorité des participants sont des personnes de la moyenne bourgeoisie. Les ouvriers sont minoritaires. L’Extension universitaire n’atteint donc pas son but et ne parvient à toucher les masses laborieuses, mais les universités populaires rencontrent également ce problème. Le manque de loisirs, le manque d’instruction élémentaire de la classe ouvrière en un temps où n’existe pas la scolarité obligatoire, peuvent expliquer ce désintéressement. L’absence de motivations pour les choses intellectuelles et culturelles constitue une autre explication, mais la cause est peut-être à rechercher dans l’absence d’intérêt des travailleurs dans le choix de sujets qui ne les concernent pas directement. Lors de la création de la Centrale d’éducation ouvrière (CEO), Émile Vandervelde et le POB tentent de résoudre cette adéquation entre le public et les programmes. C’est la distinction principale que fait Henri De Man quand il présente les formations proposées par la CEO : « Il ne s’agit pas, comme on faisait dans de trop nombreuses universités populaires, de traiter un jour de la découverte du Pôle Nord, un autre de la faune de l’île de Java, les fois suivantes la philosophie de Spinoza, les anneaux de Saturne, les mœurs des Polynésiens, les crimes de l’inquisition, etc.

Il est bien plus intéressant de permettre, par exemple, à un médecin hygiéniste de se livrer devant un auditoire composé d’une grande partie des familles ouvrières d’une localité, à l’apostolat de la brosse à dents ou de la baignoire, ou à un architecte urbaniste de parler de ce que devrait être l’habitation ouvrière, ou à un ingénieur ou à un militant d’exposer aux femmes du village mineur l’utilité, la fatigue, le danger et la grandeur du travail des mineurs, ou encore à un géologue d’aller dans un village carrier parler des conditions géologiques qui sont la base de l’industrie locale. » [9]

Si le mouvement ouvrier s’empare de la formation de ses militants, il ne faut pas sous-estimer l’apport indirect des extensions. En attirant de nombreux instituteurs et institutrices, elles exerçèrent sur l’enseignement primaire une influence bénéfique. Par ailleurs, certains comités locaux se transformèrent en véritables foyers de vie culturelle.

Tableau récapitulatif de l’activité de l’Extension universitaire de Bruxelles

Années 1892-1893 1893-1894 1894-1895 1895-1896 1906-1907
Comités locaux 1 13 11 8 31
Cours 2 25 19 ? 15

Tableau récapitulatif de l’activité de l’Extension libre de Bruxelles

1894
1895
1895
1896
1896
1897
1897
1898
1898
1899
1899
1900
1900
1901
1901
1902
1902
1903
1903
1904
Comités
locaux
10
10
14
19
21
25
30
34
37
37
Cours
19
19
22
30
34
40
45
45
54
49
Auditeurs*
3250
4150
4650
4850
5290
5600
6200
6500
6700
7200

*Chiffres approximatifs

Ces données sont publiées dans les rapports annuels du Comité central de l’Extension universitaire de Bruxelles et du Comité de l’Extension de l’Université libre de Bruxelles. [10] Les deux extensions ont une dimension nationale. On peut s’imaginer l’importance qu’elles auraient eue si la scission n’avait pas eu lieu. Avec un total de 50 à 60 comités locaux, l’organisation aurait égalé ses consoeurs britanniques.

Notes
[1] Cette analyse se base sur la recherche réalisée par l’auteure. Elle reste d’actualité et a le mérite de présenter une étude de cas. Stessel, M., Les extensions universitaires en Belgique (1892-1914), Mémoire de licence en histoire UCL, Louvain,1977, 219 p.
[2] Manifeste de l’Extension universitaire de Bruxelles, Bruxelles, p. 2, cité dans Stessel, M., op.cit., p. 65.
[3] Ibidem.
[4] Archives de l’ULB, Procès-verbal de la séance du Conseil d’administration, 21 juillet 1893, à 14 h , cité par Stessel, M., op.cit., p. 113.
[5] Claessens, V., « Rapport présenté à l’assemblée générale du 19 octobre 1893 », Bulletin de la Ligue de l’enseignement, vol. 1, Bruxelles, 1893, p. 46.
[6] DegÉe, J.-L., Le mouvement d’éducation ouvrière. Évolution de l’action éducative et culturelle du mouvement ouvrier socialiste en Belgique (Des origines à 1940), Bruxelles, 1986, p. 33-34 (Histoire du mouvement ouvrier en Belgique, 9).
[7] Rapport annuel du Comité central, année académique 1906-1907, Bruxelles, 1907, p. 6, cité dans Stessel, M., op. cit., p. 107.
[8] Hirsch, A., Huisman, M., L’extension universitaire belge, ce qu’elle devrait être, ce qu’elle est, Bruxelles, 1895, p. 17, cité dans Stessel, M., op.cit., p. 154.
[9] De Man, H., Le mouvement d’éducation ouvrière en Belgique, Bruxelles, Centrale d’éducation ouvrière, 1922, p. 15.

[10] Voir Stessel, M., op. cit., p. 201.

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

Stessel, Michèle et Coenen, Marie-Thérèse , « L’Extension universitaire de Bruxelles 1893-1914 », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 4, décembre 2017 [En ligne], mis en ligne le 17 décembre 2017. URL : http:// www.carhop.be/revuescarhop/