Donner la parole aux migrantes : les actions de La Voix des Femmes

Séverine Micheroux (animatrice, La Voix des Femmes asbl)

Depuis plus de vingt-cinq ans, l’asbl La Voix des Femmes travaille avec un public de femmes migrantes ou issues de l’immigration.  Ces femmes sont soit très peu alphabétisées ou connaissent à peine le français. En général, parmi les femmes de notre public, quelques-unes travaillent mais la majorité d’entre elles dépendent financièrement du conjoint, de l’aide du Centre public d’action sociale (CPAS) ou des allocations de chômage. La plupart  sont venues dans le cadre d’un regroupement familial mais nous accueillons également des femmes en séjour précaire et/ou sans-papiers. Ces dernières années, nous recevons de plus en plus de primo-arrivantes. Un grand nombre d’entre elles se retrouvent, suite à une séparation ou à un divorce, seules avec leurs enfants. Le manque de formation, de travail et la précarité financière sont souvent liés à d’autres problématiques telles que des mauvaises conditions de logement, des problèmes de santé tant physique que mentale, dans certains cas, des problèmes de violence au sein du couple ou de la famille, le manque d’autonomie et le confinement dans la sphère domestique.

Les activités de l’asbl tentent de rencontrer autant que possible les demandes diverses de ce public : accueil social, cours d’alphabétisation et de français langue étrangère (FLE), soutien scolaire et animations destinées aux jeunes, développement d’ateliers et de projets. Notre travail s’inscrit dans une perspective féministe. Nous nous efforçons d’œuvrer à l’amélioration des conditions de vie de ces femmes et de ces jeunes filles, à leur émancipation et à les aider à acquérir des outils en vue d’une plus grande jouissance de leurs droits, d’une plus grande autonomie.

Afin de donner plus de visibilité aux femmes migrantes et de contribuer à une meilleure prise en compte de leur réalités, nous menons également un travail de sensibilisation, de formation.

Pour atteindre ces objectifs, l’association s’appuie sur les méthodes de l’éducation permanente reconnues par la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Organisées autour de quatre axes distincts, les activités proposées stimulent les capacités d’analyse et favorisent la prise de conscience des réalités de la société, cela afin de responsabiliser les femmes et leur permettre de prendre part à la vie sociale, économique, culturelle et politique. Notre travail d’éducation permanente s’inscrit dans l’axe 1 : « Actions et programmes d’éducation et/ou de formation, conçus et organisés par l’association, élaborés avec les membres et participant-es, en vue de permettre l’exercice de la citoyenneté active avec la perspective d’émancipation, d’égalité des droits, de progrès social, d’évolution des comportements et des mentalités, d’intégration et de responsabilité » tel que défini dans les textes communautaires.

Dans le cadre de cet axe, nous développons quatre thématiques d’action : Femmes et droits, Femmes et interculturalité, Femmes et politiqu(e)s et Femmes, formation et emploi.

En nous inspirant des pratiques de l’éducation permanente, nous avons développé des modules d’animation qui intègrent les principes suivants :

  • Partir de la réalité des femmes, de ce qui les affecte et les indigne ;
  • À partir des réalités individuelles, chercher des expériences récurrentes et analyser les contraintes, les handicaps ;
  • Ajouter de nouvelles notions aux connaissances individuelles : la co-construction des connaissances, des savoirs ;
  • Augmenter la puissance d’agir en favorisant la prise de parole, en encourageant les pratiques artistiques, les différentes formes d’expression et de mobilisation et ainsi contribuer à une émancipation de notre public ;
  • Porter dans l’espace public les indignations et les revendications en vue d’une transformation sociale.

Nous privilégions les pédagogies ascendantes. Nous nous appuyons sur des méthodes actives (étude de cas, jeu de rôle, mise en situation, photo langage, ateliers d’écriture, etc.) qui placent les participantes au cœur du processus d’apprentissage et en capacité de réagir face aux difficultés de la vie quotidienne. Nous avons développé des modules d’animations qui leur permettent de mieux être outillées et de bénéficier de la jouissance effective de leurs droits sociaux, culturels et économiques, tout en prenant conscience d’une série de réalités de société et d’obstacles à l’égalité entre les personnes.

Les moyens qui ont été octroyés par la FWB à La Voix des Femmes dans le cadre de la reconnaissance comme association d’éducation permanente ont permis à l’association de développer des actions qui s’inscrivent pleinement dans le champ d’application du décret. Cela a été possible grâce à un travail méthodique et rigoureux, à une professionnalisation de l’équipe, à l’expérimentation de méthodologies adaptées, à l’élaboration de modules d’animations qui correspondent à des besoins et à des attentes identifiés auprès de notre public. Tout ce travail  a permis d’acquérir en cinq ans une plus grande visibilité, d’élargir le champ d’action. Ce dernier ne se limite pas au travail effectué avec les femmes fréquentant notre asbl : grâce notamment à nos différentes actions menées , il touche un public de plus en plus vaste que ce soit au niveau des professionnels de l’action sociale que des institutions.

Le travail avec les femmes migrantes  est un travail difficile dans la mesure où il faut faire  faire face à des contraintes telles que le manque de connaissance de la langue, un faible niveau d’éducation, le manque d’autonomie de beaucoup de femmes, des représentations très figées sur un certain nombre de sujets, beaucoup de tabous et de croyances liées notamment à l’interprétation de prescrits religieux et culturels. Malgré ces freins, nous parvenons à réaliser un travail de qualité. Nous pensons que cela repose sur une connaissance pointue des besoins et des attentes de notre public, de notre proximité avec les femmes. Nos méthodes de travail sont continuellement revues afin de s’adapter aux difficultés qu’elles rencontrent. Les femmes s’impliquent parce qu’elles se sentent réellement parties prenantes d’un processus, parce qu’elles se sentent comprises, respectées et prises au sérieux.

Un autre obstacle rencontré est la prise en compte insuffisante des femmes migrantes dans les politiques et actions mises en œuvre par les pouvoirs publics. Le manque de prise en compte à la fois du genre et de l’origine ethnique se reflète dans les politiques de subsidiations.

Par le nombre et la diversité du public qu’elle accueille, l’asbl La Voix des Femmes constitue un observatoire privilégié des différentes problématiques liées aux femmes migrantes et issues de l’immigration. Afin de mieux rendre compte de ces problématiques et de les relayer à l’extérieur, l’association développe des activités de sensibilisation (animations, séminaires, conférences), de plaidoyer (interpellations, travail en réseau). Elle réalise des publications sur des questions ayant trait à notre public comme, par exemple, Le Livre Blanc de la Femme Migrante (2008) ; Le deuxième sexe de l’immigration (2011) ; Violence de genre : quelle protection réelle pour les femmes migrantes ? (2013).

Synergies

La Voix des Femmes effectue  un travail important en termes de participation à des réseaux et de développement de partenariats. Sa participation aux réseaux (Coordination bruxelloise de la Marche Mondiale des Femmes, Réseau mariage et Migration, Plateforme féministe socioéconomique, Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion…), ne se limite pas à l’adhésion formelle à un projet mais correspond à une réelle implication de l’association issue de sa volonté de partager son expertise sur les réalités de son public et de son aspiration à ce que celles-ci soient prises en compte. Ces synergies représentent également une opportunité de créer des alliances et des partenariats avec un certain nombre d’associations pour faire avancer et rendre visibles des questions autour desquelles la Voix des Femmes construit  un travail de plaidoyer.