Gertraud Langwiesner (Responsable adjointe et militante féministe – Vie Féminine)
Vie Féminine est un mouvement féministe d’éducation permanente créée en 1920 qui travaille en priorité avec des femmes des milieux populaires mais aussi avec des femmes issues de l’immigration italienne, grecque et espagnole d’abord dans les années 1960 et ensuite marocaine et turque dans les années 1970. Aujourd’hui, les femmes arrivent de tous les coins du monde et se retrouvent dans notre réseau.
Concrètement, nous avons pu ouvrir des espaces et mettre sur pied des Maisons Mosaïques dans la région bruxelloise dès 1980. Il s’agit de permettre aux femmes de se poser dans un espace de rencontre pour élaborer des projets dans leurs quartiers et mener des projets personnels, individuels et collectifs d’émancipation. Chaque semaine, les Maisons Mosaïques mettent en contact 700 femmes accompagnées d’animatrices permanentes. Beaucoup de femmes qui sont impliquées dans les projets, ont des ressources ou investissent du temps dans les ateliers de manière bénévole. Chaque militante peut s’inscrire pour un échange de savoir. Cette dimension s’explique par la volonté de Vie Féminine de s’impliquer avec les femmes et les bénévoles.
Apport des femmes migrantes au mouvement
Travailler en milieu populaire signifie que l’on est confronté depuis longtemps dans certaines régions à des femmes issues de l’immigration italienne et espagnole. Quand, dans les années 1960, les femmes marocaines et turques sont arrivées, le travail interculturel était déjà une pratique courante au sein du mouvement. Les membres de Vie Féminine ont alors mis en place l’action spécialisée « Femme immigrée » pour mettre en lumière toute cette réalité très spécifique
C’est à l’occasion de cette action spécialisée, à travers notamment les ateliers Alpha et le travail sur les statuts juridiques, que nous avons constaté les limites dans cette approche. Par exemple, les femmes déploraient le manque de confrontation avec d’autres femmes et nous disaient : « Cette situation spécifique que je vis, j’ai envie de la partager avec d’autres femmes. » Cette réflexion amena un profond changement dans le mouvement pour élargir ce travail spécifique et ainsi intégrer la situation des femmes immigrées de tous les secteurs au sein du mouvement. C’était un passage d’une action spécialisée à un travail interculturel réfléchi dans une approche d’interculturalité basée sur la confrontation des processus mis en place tels que la notion d’identité, de tolérance, de culture que les femmes de différents réseaux partagent.
Aujourd’hui qui sommes-nous ? En 2000, notre organisation est devenue un mouvement féministe, social et interculturel historiquement attaché au mouvement ouvrier chrétien. Ces dernières années, nous avons entamé une réorganisation de notre travail afin d’y intégrer une dimension interculturelle beaucoup plus globale et transversale afin d’élargir notre champ d’action.
À la base de cette réflexion, la constatation de trois cas de système de domination qui se renforcent et qui se conjuguent, à savoir : le patriarcat, le racisme et le capitalisme qui profite de ce système et renforce l’exclusion des femmes.
Dans cette perspective, nous avons réalisé, en collaboration avec d’autres mouvements comme Vie Féminine, un travail sur le droit des femmes de l’immigration. Ce travail s’inscrit dans un mouvement global qui se mobilise pour tous les droits des femmes en solidarité sur le droit des femmes migrantes. Cette initiative part des conditions particulières des femmes immigrées. Lorsqu’on se préoccupe des droits des femmes en général, on réfléchit à la méthode que l’on va employer pour travailler par exemple sur le racisme qui renforce l’exclusion des femmes, sur le chômage, sur les violences conjugales ou encore sur le non-paiement des pensions alimentaires.
Ces dossiers sont toujours réalisés avec les femmes et prennent comme point de départ les questions spécifiques que ces migrantes amènent avec elles. Il s’agit donc de garder une vigilance vis-à-vis du combat mené avec les femmes afin que celui-ci ne se retourne pas contre elles. On voit immédiatement l’importance de situer le combat dans une optique de solidarité entre les femmes et non dans une opposition qui débouche sur des lois qui, bien que bonnes pour la majorité des femmes, en exclut d’autres.
On peut aussi donner l’exemple de la circulaire « Tolérance zéro » qui, en matière de violences conjugales, ne s’applique pas aux femmes arrivées par le biais du regroupement familial. Cette problématique a été mise en lumière par les femmes migrantes. Un autre exemple est la mise en place des titres-services afin de faciliter la tâche de certaines femmes au détriment des autres.
Il est donc essentiel pour nous de se poser à chaque fois la question : à quelle femme telle mesure va profiter et à qui va-t-elle faire du tort ? Cette vigilance constante est l’objet de la résolution du congrès de Vie Féminine en 2010 qui instaure le principe suivant : « Dans une société égalitaire, solidaire et juste, les femmes sont solidaires entre elles. Un changement positif dans la vie d’une femme ne se fait pas au détriment des autres femmes. »
Dans ce questionnement permanent, il est important de se poser la question suivante : pourquoi avons-nous supprimé l’action spécifique aux femmes migrantes ? De manière plus générale, l’éducation permanente est une autre méthodologie de l’éducation permanente féministe dans laquelle nous puisons les ressources nécessaires pour élaborer nos actions avec les femmes des milieux populaires. Depuis sa création, Vie Féminine travaille à l’émancipation individuelle et collective des femmes. C’est pourquoi nous avons créé un outil de méthodologie qui s’appelle maintenant « Éducation permanente féministe » qui se décline en fondements, en objectifs généraux, opérationnels et en moyens.
Question de la répudiation en Belgique
Le problème de la reconnaissance de la répudiation en Belgique illustre de manière concrète la façon dont les femmes issues de l’immigration influencent les projets et leur réalisation. C’est début des années 1990 que la question de la répudiation fait son apparition au sein des préoccupations portées par le mouvement. À l’époque, les femmes, qui fréquentent nos espaces et les Maisons Mosaïques, font part de leur crainte de rentrer dans leur pays pendant les grandes vacances, car cette période pouvait être mise à profit par leur mari pour les répudier et leur confisquer les papiers. Face à ces situations, Vie Féminine a décidé d’organiser des permanences juridiques dans plusieurs lieux pour soutenir les femmes concernées. Des réseaux de solidarité ont été mis en place pour maintenir des contacts avec les femmes retournées au pays durant les vacances. Nous nous sommes alors mobilisées en installant des numéros de téléphone, des réseaux de solidarité au cas où une femme resterait au pays. De plus, bien que la répudiation soit officiellement interdite en Belgique, certains agents de l’État civil l’actaient à l’administration communale. De toute évidence, à un travail de renforcement et d’information des femmes sur leurs droits devait donc impérativement se greffer un travail d’action collective et politique. Dans la fin des années 1990, une première action symbolique est lancée à Vie Féminine via une pétition demandant la suppression de la mention « répudiée » sur la carte d’identité des femmes marocaines vivant en Belgique. Finalement, nous avons pu obtenir gain de cause puisque le ministre de l’Intérieur, le libéral Antoine Duquesne (gouvernement Verofstadt I – coalition libérale-socialiste-écologiste), donna l’ordre aux administrations communales de ne plus mentionner le terme « répudiée » sur les cartes d’identité. Ensuite, ce fut tout un travail politique pour empêcher que la répudiation soit reconnue dans les conventions bilatérales avec le Maroc, comme dans le Code de droit international privé.
Pendant la Marche Mondiale des Femmes en réseau en 2000, nous avons inscrit dans le volet « Violence » cette revendication, la suppression de la reconnaissance de la répudiation. En 2001, Vie Féminine a lancé une plateforme « Répudiation » qui rassemble environ 35 associations. Cette plateforme réaffirme notre refus de la reconnaissance de la répudiation en Belgique et demande aux autorités politiques de trouver des solutions plus globales et durables pour les femmes ayant un statut juridique lié à la fois au Maroc et à la Belgique. Au final, la loi n’interdit pas la répudiation, mais l’article 57 du Code de droit international privé la rend très difficile.