Du côté des volontaires
Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)
L’apport et l’investissement des volontaires sont essentiels au bon fonctionnement des écoles de devoirs (EDD). Dominique Rossion et François Moors[1], dans leur évaluation des écoles de devoirs 2015-2017, précisent que 10 % des EDD n’ont aucun salarié, 24 % en ont un à deux, 49 %, trois à cinq, et 16 % six et plus. À côté des salarié.e.s, 71 % des EDD, soit trois sur quatre, peuvent compter sur des volontaires. C’est une contribution importante et nécessaire pour répondre aux demandes de soutien scolaire de celles et ceux qui s’adressent à eux. Les équipes pédagogiques se complètent également de stagiaires et des personnes embauchées sur d’autres statuts (ALE – Agence locale pour l’emploi, article 30 § 7 de la loi organique des CPAS – Centres publics d’aide sociale devenus en 2002 Centres publics d’action sociale, etc.).
Ci-dessous : Graphique n° 1, réalisé à partir des données fournies par Rossion D., Moors F., État des lieux des réalisations, besoins et enjeux des écoles de devoirs en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014-2017, Bruxelles, Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse, Fédération Wallonie-Bruxelles, octobre 2019, p. 6-7.
Salariés |
3,82 |
Volontaires |
6,57 |
Stagiaires |
1,16 |
Autres |
1,94 |
Brigitte Dayez-Despret est licenciée en philologie classique, diplômée des Facultés universitaires de Saint-Louis et de l’Université catholique de Louvain. Au début des années 1970, elle commence sa carrière d’enseignante dans deux institutions pour filles, au Lycée Mater Dei (Woluwé-Saint-Pierre) et à l’Institut des Dames de Marie (chaussée d’Haecht à Saint-Josse). Comme professeur de latin et de grec dans ces deux écoles, pendant plus de dix ans, elle organise des rencontres entre ces jeunes filles, issues de milieux très différents. Les premières viennent majoritairement de classes aisées installées à la périphérie verte de Bruxelles, les secondes appartiennent à ce qu’il est convenu d’appeler la seconde génération immigrée. Nées en Belgique, elles habitent avec leurs familles, les quartiers de la première ceinture, et restent culturellement très proches du pays d’origine. Un documentaire réalisé par Lista Boudalika, « Photo de classe »[1], relate cette rencontre. Il croise les regards des unes et des autres et aborde les préoccupations que peuvent avoir des jeunes du même âge, mais aussi les stéréotypes que véhicule chaque groupe sur l’autre.
Brigitte Dayez-Despret habite un quartier où la communauté turque est très présente. Pour entrer en contact avec elle, elle apprend le turc et participe à des rencontres avec des femmes, dans diverses associations. En 2000, elle s’engage comme enseignante bénévole à Bouillon de cultureS, au Groupe d’entraide scolaire (GES) et à l’école de devoirs d’@touts possible. Elle accompagne les jeunes, qui ont des difficultés en français, en latin et en grec, dans la réalisation de leur travail de fin d’études, etc. Quand elle arrive comme bénévole au GES, Brigitte Dayez-Despret organise également un atelier de culture, histoire et littérature turque, avec la participation de Nilufer Bozuk, mère d’une élève fréquentant le groupe. Le but de cet atelier est triple : faire connaître aux jeunes turcs de Belgique la richesse de leur histoire, de leur culture et de leur langue ; affiner leur connaissance de la langue française par l’exercice de traduction de textes turcs littéraires avec des mots adéquats ; et préparer un séjour en Turquie. Brigitte Dayez-Despret organise au moins de cinq voyages culturels en Turquie autour de thématiques comme la civilisation seldjoukide dans le centre de l’Anatolie ou encore la découverte d’Istanbul. Pour les jeunes qui suivent l’atelier, c’est une véritable aventure et une découverte intellectuelle[2].
20 ans de présence au Groupe d’entraide scolaire (GES), 20 ans de soutien à la réussite des études du secondaire et des études supérieures [2000-2020].
Brigitte Dayez-Despret
L’école de devoirs où je travaille depuis une vingtaine d’années s’appelle le GES (Groupe d’entraide scolaire). Elle a déjà une longue histoire, car elle fait partie d’une association bien connue à Schaerbeek, Bouillon de cultureS asbl qui fête cette année, en 2020, ses quarante ans.
Elle est née d’une prise de conscience, par quelques étudiants schaerbeekois, des difficultés rencontrées par les jeunes adolescent.e.s, né.e.s en Belgique, mais issu.e.s de l’immigration, de suivre un enseignement supérieur, d’y réussir, et d’obtenir un diplôme qui leur permettra de se lancer dans la vie professionnelle. Ces étudiants se sont mobilisés pour leur organiser une aide personnalisée et adaptée à leurs besoins intellectuels et sociaux.
Le GES est encore bien vivant aujourd’hui, et attire de plus en plus de jeunes. Il est organisé à Schaerbeek, rue Philomène, dans une ancienne école.
L’encadrement des étudiant.e.s qui fréquentent l’école de devoirs est fait de deux permanents rémunérés par des subsides, par un groupe de bénévoles généralement retraités et de travailleurs sous contrat dit article 60[1]. Chacune de ces personnes a sa spécialité et peut donc aider les étudiant.e.s dans son domaine. Les compétences des animateurs couvrent aussi bien les branches littéraires (français, néerlandais, anglais, histoire) que scientifiques (mathématiques, sciences, géographie, sciences économiques). Chaque étudiant.e a l’occasion de rencontrer personnellement et individuellement un professeur, de lui exposer ses difficultés, de recevoir des explications adaptées et de revenir aussi souvent qu’elle ou il le veut, car le GES est ouvert toute la semaine de 16 heures à 17 heures et le samedi sur rendez-vous[2].
Le secteur accorde son aide aussi bien aux adolescents du secondaire supérieur qu’à ceux des universités et des hautes écoles, ce qui est relativement rare à Bruxelles et donc très précieux !
Les étudiant.e.s du GES, tant garçons que filles, avec une majorité de ces dernières pour le secondaire, sont d’origine turque et marocaine pour la plupart, mais aussi de différents pays comme le Cameroun ou l’Éthiopie ou la Syrie et l’Irak.
J’ai de nombreux exemples de réussite de jeunes suite à leur passage au GES. Jamal, devenu ingénieur civil, a assumé la présidence du conseil d’administration du GES. Rûkije est diplômée de l’Institut Marie Haps comme traductrice en anglais-turc. J’ai assisté à la défense de son mémoire à Louvain-la-Neuve. Ȿukriye est diplômée en sciences bancaires ; je l’ai retrouvée par hasard dans une banque. Elle garde un excellent souvenir de son passage au GES. Sakine, qui a décroché un diplôme pour enseigner l’anglais et le néerlandais, est devenue professeur aux Dames de Marie. Gülsün Alan est devenue journaliste, spécialiste des questions qui concernent la Turquie, au journal Euro News. Pour elle, le GES a été important, et elle en garde un souvenir nostalgique. Elle m’a interrogée en turc sur l’évolution du quartier… Yavuz Gürgün, diplômé de l’EPHEC (École pratique des hautes études commerciales), a ouvert son agence immobilière à Saint-Josse-ten-Noode. Il est très reconnaissant au GES et nous aide chaque année à remplir les feuilles d’impôt. Döne Dagyaran[3], licenciée en droit, est avocate au barreau de Bruxelles. Elle a épousé un Kurde et nous avons été son témoin à son mariage. Elle a aussi fait une carrière politique comme conseillère communale et conseillère du CPAS à Saint-Josse-ten-Noode. Halima est une infirmière diplômée. Je l’ai accompagnée dans la réalisation de son travail de fin d’études qui fut une épreuve difficile à surmonter.
Il n’y a pas que l’étude et la réussite des épreuves diplômantes. Sur le plan relationnel, il y a des belles expériences de journées passées ensemble dans les Ardennes, animateurs et jeunes confondus, dans les années 2000 à 2010, au temps du responsable Dominique Dal.
Si le GES fournit à chacun une irremplaçable aide intellectuelle, il enrichit aussi les étudiant.e.s d’une expérience humaine très positive, car, tant avec leurs pairs qu’avec leurs animateurs, ils ont l’occasion d’y créer des relations très épanouissantes, et l’écoute qu’ils y trouvent leur permet d’être eux-mêmes et de communiquer facilement leurs idées et leurs sentiments. Pour les animateurs aussi, le secteur est source d’épanouissement. La plupart d’entre eux sont d’anciens professeurs. Tous s’accordent à reconnaître que le GES leur apporte le meilleur de l’enseignement. Le récipiendaire est motivé, la relation est individuelle et positive, la réponse aux innombrables questions posées est enrichissante, car elle exige ouverture d’esprit, rigueur, écoute et recherche ! Pour terminer, je dirais que le travail au GES est vraiment gratifiant, tant pour les jeunes que pour les animateurs !
[1] Rossion D., Moors F., État des lieux des réalisations, besoins et enjeux des écoles de devoirs en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014-2017, Bruxelles, Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse, Fédération Wallonie-Bruxelles, octobre 2019. Ce document est consultable en ligne : URL : https://oejaj.cfwb.be/fileadmin/sites/oejaj/uploads/PublicationsTravaux/Rapports_d_evaluation/Etat_des_lieux_EDD/Rapport_2014-17.pdf.
[2] BOUDALIKA L. (réal), Photo de classes, Bruxelles, CVB, 1992.
[3] Bouillon de cultureS, Rapport d’activités 2001-2002 présenté à l’assemblée générale du 30 avril 2002, Schaerbeek, 2002, p. 41. Voir le témoignage de Döne Dagyaran, qui a participé à cet atelier et à un séjour culturel à Istanbul, p. .
[4] Ce sont des personnes qui, relevant de l’aide sociale, bénéficient d’un contrat de travail dans le cadre de l’article 60 § 2 de la loi organique des CPAS. Elles sont attachées à des associations partenaires du CPAS pour favoriser leur insertion socioprofessionnelle. Le contrat dure en général un an à un an et demi.
[5] L’ouverture du samedi concerne essentiellement les étudiants de la promotion sociale qui suivent des cours du soir ou des étudiants pensionnaires ou résidant dans une cité universitaire.
[6] Voir : « Du côté des « usagères » des écoles de devoirs un parcours singulier : Döne Dagyaran, avocate », dans Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 14 : Les écoles de devoirs (partie II) : Des expériences militantes, mars-juin 2021, mis en ligne le 1er juin 2021.
POUR CITER CET ARTICLE
Référence électronique
DAYEZ-DESPRET B., « Les écoles de devoirs et les volontaires, regard de Brigitte Dayez-Despret », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 14 : Les écoles de devoirs (partie II) : Des expériences militantes, mars-juin 2021, mis en ligne le 1er juin 2021. URL : https://www.carhop.be/revuescarhop/