Rachida El Idrissi (Militante, Association des Femmes Marocaines)
Originaires du Maroc et issues la plupart du temps de la classe moyenne marocaine, des étudiantes arrivent en Belgique au début des années 1970 pour entamer des études supérieures. Observant la situation d’impuissance que connaissent les femmes marocaines en Belgique, vis-à-vis, par exemple, de l’administration, une partie d’entre elles s’organisent pour leur expliquer le fonctionnement de la société belge. Rachida El Idrissa nous confie ici son parcours militant.
En tant que personne venant d’un pays où la question du statut de la femme ne se discute pas au niveau du public et où la question des droits humains, de l’expression, n’est pas courante, mon arrivée dans les années 1970 dans un pays en pleine remise en question et de changement des mentalités fut une découverte. Surtout l’arrivée dans une école sociale et la possibilité de travailler cette question du social ont été particulièrement nouvelles. C’était quelque chose pour moi d’inexplicable par rapport à cette possibilité d’être dans un pays démocratique, de pouvoir dire les choses et d’être aussi capable d’être entendue sans risque. C’est quelque chose de magique et qui, en tout cas dans ces circonstances-là, permettent effectivement d’aller de l’avant et de pouvoir prendre des chemins auxquels nous n’étions pas préparés.
Associations musulmanes
Après avoir commencé mes études à Mons, je suis arrivée à Bruxelles où j’ai découvert des mouvements, des associations telles que l’UNEM – Union Nationale des Étudiants Marocains. C’est un syndicat d’étudiants marocains qui travaillaient à l’ULB. Je me suis intégrée dans l’UNEM ainsi que dans d’autres associations à l’époque telle que le RDM – Regroupement Démocratique Marocain – et également des syndicats et d’autres. Il y avait un foisonnement d’associations d’immigrés qui ont été lancées dans ces années 1970. Et dans le cadre de ces associations, en tant que femmes, on s’est rendues compte du fait que bien que ces associations avaient des positions contre l’impérialisme et la répression, elles ne percevaient pas la question de la femme comme prioritaire. Par ailleurs, les femmes n’arrivaient pas à faire entendre leurs voix et avaient donc du mal à se positionner.
Naissance des mouvements féministes
C’est pour cette raison que plusieurs étudiantes, mais également des associations, des femmes au foyer, des travailleuses et d’autres se sont regroupées dans le but de créer quelque chose pour les femmes et par les femmes afin de pouvoir justement mener quelque chose capable de défendre ce dont les femmes ont besoin.
La volonté était d’une part de défendre effectivement les droits des femmes et porter des revendications concrètes, mais également pouvoir s’organiser, échanger et réfléchir ensemble. Et comme dans le cadre des mouvements féministes de l’époque, l’association avait pour objectif de partir dans une logique de contestations et de revendications pour dénoncer ce qui se passait et réclamer des droits. L’association s’était donc organisée sous forme d’association de fait. Il n’y avait pas de chef, ni de responsable, pas de hiérarchie ou quoi que ce soit. C’étaient les femmes, intellectuelles ou autres, car tout le monde avait les mêmes droits, qui collaboraient entre elles en respectant une égalité manifeste. Au niveau financier aussi, toutes participaient financièrement et y adhéraient. L’objectif était effectivement de dénoncer les inégalités, de revendiquer, mais en même temps de pouvoir donner des outils aux femmes pour acquérir plus d’autonomie, pour pouvoir s’armer pour défendre leurs droits.
Le but était aussi de pouvoir aider les femmes à comprendre les enjeux sociopolitiques de l’époque parce qu’à ce moment-là, la femme immigrée était doublement voire triplement discriminée : en tant que femme d’abord, en tant qu’immigrée ensuite et enfin en tant que travailleuse. Et ces trois critères, elle devait y faire face à tous les niveaux parce que la femme n’avait pas de statut, elle n’était pas reconnue. Elle restait à l’arrière-plan et n’avait pas de droits propres. Lorsqu’il y avait des problèmes d’ordre privé ou autre, elle était face à elle-même, sans possibilité de recours. Il y avait aussi la question pour les jeunes filles qui avaient atteint 14 ans, âge légal pour la fin de la scolarité obligatoire à cette époque-là,. Cet âge atteint, on les faisait sortir de l’école pour pouvoir rester à la maison, pour garder les enfants ou pouvoir être mariée, etc.
C’était une époque où il n’y avait pas de politique d’accueil, pas de reconnaissance ou de dispositifs pour les immigrés en général et pour les femmes en particulier. Les activités que l’association proposait concernaient donc en priorité l’alphabétisation. Celle-ci est d’abord organisée par les immigrés eux-mêmes dans les syndicats et les associations. Sur le terrain, les communautés elles-mêmes organisaient déjà au sein même de certaines familles des cours en soirée et les hommes s’organisaient pour pouvoir apprendre le français. Ce n’est que par la suite que ça s’est structuré et mis en forme. Et comme pour d’autres choses, c’est à partir du terrain, à partir de ce qui se passe et de ce que les associations vivent sur le terrain que des initiatives émergent. Par la suite, les politiques récupérèrent la main pour pouvoir à ce moment-là financer et cadrer l’ensemble.
Activités et ateliers
Alors il y avait l’alphabétisation ainsi qu’un programme d’ateliers d’initiation à la vie sociale, que l’on appelle maintenant Programme d’Accueil des primo-arrivants. C’est une initiative qui a été mise en place dans les années 1970 à partir du terrain. Les immigrés qui arrivent et qui vivent cette situation ont davantage conscience des besoins et de ce qu’il faut mettre en place. Il y avait également des groupes de discussion au sein des associations avec des thèmes tels que celui du statut familial de l’époque, la Mudawana. C’était quelque chose de dramatique principalement pour les femmes. Il y avait également des groupes d’échange de parole pour parler de leur vécu et de leurs difficultés. C’était quelque chose qui se faisait à l’extérieur de la maison. Il y avait aussi des ateliers théâtre avec les femmes qui faisaient le scénario. Les femmes choisissaient également les thèmes, souvent liés à leur vie au quotidien et notamment à des situations familiales, à la question des déboires administratifs, parfois à des quiproquos parfois humoristiques avec la commune ou, par exemple, lors des retours, à la douane dans le pays d’origine. L’association s’est également beaucoup investie dans la Journée de la femme, lors des manifestations, des projections de films et des débats.
Il y avait également des rencontres avec des femmes politiques et/ou militantes de pays différents, notamment avec des femmes d’Amérique latine où, à cette époque, le combat était également très présent. L’écrivaine égyptienne, Nawel Sadaoui, est, par exemple, venue nous parler de la question de l’excision et du statut de la femme. Il y avait également l’importance des ateliers de couture et de tricot. On partait aussi de ce que les femmes savent faire, entrainant donc un échange de savoirs et de savoir-faire.
L’association a beaucoup participé à des mobilisations comme la lutte contre le racisme, le droit des étrangers, la régularisation des sans-papiers. C’était à chaque fois un investissement très fort et une mobilisation des femmes. Une autre mission de l’association était d’interpeller les pouvoirs publics par rapport, par exemple, à la question du statut juridique, de mobiliser des avocats et des juristes. C’était assez important pour pouvoir, en tout cas, défendre ce droit face aux politiques, aux avocats, aux magistrats qui ne connaissaient pas forcément ces situations. Il fallait donc les interpeller pour leur demander de prendre en compte ces problèmes et ces difficultés.