Florence Loriaux (Historienne, CARHOP asbl)
Travail et maternité font-ils bon ménage ? Au cours de l’histoire, pouvoirs publics, scientifiques, Église, presse, moralistes… se sont montrés souvent assez unanimes pour dénoncer la situation des femmes au travail et inciter ces dernières à retrouver rapidement la sphère familiale et privée afin de se consacrer à ce qui a été considéré comme leur première fonction « naturelle » : la maternité. Avec l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail à partir du 19e siècle, les législateurs (au plan national et international) se sont saisis de la question de la protection de la maternité et ont peu à peu élaboré un dispositif législatif allant du congé de maternité forcé et non rémunéré à une protection sociale prenant la forme d’assurance maternité. Aujourd’hui, les femmes sont intégrées dans le monde du travail comme le prouve leur taux d’activité. Mais malgré ces avancées, force est de constater que les discriminations à l’encontre des travailleuses enceintes sont encore légions. La potentielle fonction maternelle des femmes sert encore de prétexte à un refus d’engagement et la grossesse reste un prétexte au licenciement abusif. La maternité continue à être un obstacle à l’emploi des femmes comme en témoigne l’enquête de 2010 de l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes[1]. Entre la mise en place de mesures spécifiques visant à protéger les travailleuses enceintes et les risques de discriminations pouvant en découler, les débats sur la question tenus dans les assemblées parlementaires, les cénacles médicaux, les associations féminines et féministes, les organisations syndicales ont souvent été houleux et passionnés entre partisan-e-s et opposant-e-s de toute forme de réglementation.
L’histoire de la maternité et de son rapport à l’activité professionnelle des femmes est donc un sujet éminemment complexe et large dont toutes les facettes ne peuvent être abordées au travers de ce seul numéro de Dynamiques. Histoire sociale en revue, la revue du CARHOP. Nous avons cependant veillé à adopter une approche pluridisciplinaire en donnant la parole non seulement à des historien-ne-s mais aussi à des scientifiques relevant de disciplines multiples telles la sociologie, l’économie, la démographie ou les sciences juridiques, ainsi qu’à des responsables d’associations. De la sorte, nous espérons porter des regards croisés sur une question dont le traitement a fortement évolué depuis deux siècles et qui concerne deux des activités au cœur des enjeux féministes, à savoir la reproduction sociale et la production économique.
Quand les États se penchent sur la question de la (future) mère travailleuse
Parce que la notion de « protection de la maternité » émerge vers la fin du 19e siècle dans de nombreux pays européens et s’inscrit dans leurs législations nationales dans le cadre de politiques sociales mais également de politiques familiales, il est intéressant de pouvoir comparer les dispositifs mis en œuvre et le temps qui a été nécessaire pour assurer cette protection. Ainsi, l’article de l’historienne Anne Cova[2], consacré à la situation en France sous la IIIe République analyse la genèse et le cheminement de l’idée de protection de la maternité dans les hémicycles, retrace les grandes étapes de la mise en place de l’assurance-maternité et montre le rôle des mouvements féministes et leur travail de lobbying envers les parlementaires. Si Anne Cova s’interroge sur le retard de la France en la matière, on est loin cependant du retard enregistré par la Belgique.
La situation belge
Alors que le travail des femmes au début du 19e siècle ne fait l’objet d’aucune véritable remise en question, l’enquête commanditée par le gouvernement en 1843 révèle la condition ouvrière et la situation des femmes au travail. Ce sont surtout sur les travailleuses des mines que se concentrent les observations. Ainsi, en 1868, l’Académie royale de médecine de Belgique met sur pied une commission chargée d’étudier leur condition particulière. En 1869, le docteur Hyacinthe Kuborn[3] chargé de rédiger les conclusions, publie le Rapport sur l’enquête relative à l’emploi des femmes dans les travaux souterrains[4] des mines qui témoigne que la pénibilité du travail des femmes peut non seulement provoquer des déformations physiques mais, et surtout, porte atteinte aux fonctions reproductrices. Le rapport adopté par l’Académie en décembre 1869, par 19 voix sur 21 recommande « la prompte suppression du travail des femmes dans la mine ».
Après les grandes grèves de 1886, une commission d’enquête sur le travail industriel[5] est mise sur pied. Le travail des femmes fait l’objet d’une série de questions auxquelles répondent de nombreux témoins. Mais qu’il s’agisse d’employeurs ou de travailleurs, les réponses sont assez concordantes : dans une vision familiale bourgeoise, le rôle des femmes (principalement des femmes mariées) apparaît devoir être prioritairement la gestion de leur ménage. En outre, si les femmes doivent être amenées à travailler que cela soit de préférence dans des activités s’exerçant à domicile.
De cette enquête émaneront les premières lois touchant à l’organisation du travail dont cette première mesure protectrice relative au travail des femmes et à la maternité inscrite dès 1889 dans la loi sur le travail des femmes et des enfants (loi du 13 décembre 1889). De manière très laconique, l’article 6 de la loi stipule que « les femmes ne peuvent être employées au travail pendant les quatre semaines qui suivent leur accouchement ». Ce congé postnatal n’étant couvert par aucune indemnisation, le coût de la maternité est entièrement à charge de la travailleuse. Pourtant, parmi les députés, les libéraux Jules Giroul (1857-1920) et Charles Sainctelette (1825-1898) avaient proposé d’indemniser cette interruption forcée. Leur amendement[6] ne sera pas adopté, la majorité des parlementaires préférant laisser le soin de la prise en charge de ces jeunes mères et de leur enfant à la charité et à l’assistance.[7] Des œuvres (œuvre de la layette, œuvre maternelle, œuvre de la goutte de lait…) ne tardent d’ailleurs pas à se développer pour leur venir en aide. Elles sont souvent organisées dans un réseau philanthropique dans lequel s’investissent des femmes issues de la bourgeoisie.
Comme le constate Hedwige Peemans : « Tous ceux qui, notamment parmi les historiens, continuent à faire de cette loi sur le travail des femmes et des enfants une grande étape de progrès social semblent ne pas savoir ou être indifférents au fait que ce ˝progrès˝ n’est nullement social puisqu’il ne repose pas sur la socialisation d’un risque individuel mais fait, au contraire, peser le coût de ce ˝risque˝ (celui de perdre son salaire) sur la seule travailleuse-mère qui le subit »[8]. Effectivement, les caisses de mutualité sont alors peu accessibles aux femmes en raison du montant de la prime à payer, de la nécessité d’obtenir l’autorisation de leur mari pour s’y inscrire et qu’en outre, peu de caisses accordent des indemnités d’incapacité de travail pour le repos d’accouchement ou couvre tout simplement les frais d’accouchement. La fin du 19e siècle voit l’émergence d’un important mouvement mutualiste féminin porté par des associations de travailleuses et des associations de femmes comme la Ligue ouvrière féminine chrétienne ou les Femmes Prévoyantes socialistes avant d’être peu à peu absorbé dans des mutualités à base familiale durant l’Entre-deux-guerres.
La loi de 1889 prévoit également l’interdiction du travail de nuit aux jeunes femmes de moins de 21 ans tout comme leur accès aux travaux souterrains dans les mines. Mais derrière cette loi, sous couvert d’apparente humanité, se dissimule un autre objectif que celui de protéger les futures mères. Dans un contexte de crise économique, se traduit la volonté de réduire la main-d’œuvre en retardant l’entrée des filles sur le marché du travail. Or la portée restrictive de cette loi, qui ne concerne que le secteur industriel, ne protège en rien les travailleuses de l’agriculture, du commerce, du travail à domicile, de la domesticité… principaux réservoirs d’emplois pour les femmes. Ces dispositions, qui limitent légalement leur accès au travail, ont pour effet de les placer dans une situation défavorable sur le marché et d’introduire le principe de discrimination entre les sexes. Ainsi, plutôt que de se consacrer à l’amélioration des conditions de travail pour l’ensemble des travailleurs, l’État choisit de traiter de manière spécifique les travailleuses : « après avoir désigné la reproduction comme le rôle principal de la femme, l’État renforça le statut secondaire de ses activités productrices »[9]. L’émergence de politiques natalistes rappelle que « la mission de l’État est de veiller sur le sort des générations futures, protéger la mère, c’est protéger l’enfant vivant comme l’enfant à venir »[10]. C’est dans ce contexte de réglementation du travail des femmes que des associations féministes voient le jour afin de dénoncer les obstacles légaux et de lutter en faveur de l’émancipation des femmes[11].
Le sociologue et démographe Michel Loriaux[12], se penche dans une perspective historique sur la question du rapport de l’activité professionnelle des femmes avec leur rôle domestique d’entretien du foyer et d’élevage des enfants en soulignant que longtemps la tendance sociétale a été de limiter les activités des femmes mariées. Il rappelle que le débat autour de la femme au foyer est récurrent avec des options qui ont pu varier fortement selon les contextes socio-économiques et les besoins de l’industrie en main-d’œuvre et s’attarde sur la situation de l’Entre-deux-guerres, période de crise au cours de laquelle le travail des femmes, et plus particulièrement celui des femmes mariées, est remis en question[13]. Les associations de femmes sont elles-mêmes à l’époque divisées sur la question du travail des femmes. Si les syndicats et les organisations féminines revendiquent l’interdiction du travail de nuit, l’interdiction du travail à certains postes, en revanche, les organisations féministes, comme par exemple le Groupement de la Porte Ouverte, sont contre une protection spécifique des femmes sauf pour les femmes enceintes. Par exemple, pour Louise Van de Plas, fondatrice du Féminisme chrétien de Belgique en 1902, « tout ce qui outrage la famille et obnubile le sens moral conspire à ébranler l’édifice social »[14]. La mise en place de la première commission nationale du travail des femmes en 1935 permet d’étudier la question de la protection spécifique des femmes.
Actuellement, alors que l’activité est devenue majoritaire au sein de la population féminine, Michel Loriaux précise que la question débattue par les économistes est surtout celle du sens de la relation activité-fécondité et de la pression que le travail extérieur fait peser sur la fécondité des familles.
La protection de la maternité s’invite au cœur du débat international
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, une dimension internationale à la question est apportée lorsque, dès sa création en 1919, l’Organisation internationale du travail (OIT) inscrit dans ses préoccupations la question de la protection de la maternité. Premier instrument international destiné à protéger les travailleuses avant et après la naissance d’un enfant, cette norme définie dans la Convention n° 3 en 1919 prévoit le versement à la travailleuse, pendant toute la durée de son absence, d’une « indemnité suffisante pour son entretien et celui de son enfant dans de bonnes conditions d’hygiène »[15] ainsi qu’un congé prénatal obligatoire de six semaines et un congé postnatal facultatif de six semaines.
La convention fait l’objet d’une nouvelle révision en 1952 (Convention n°103). Le Conseil National des Femmes Belges (1905) y consacre un numéro de sa revue en présentant différents avis que soulève « le délicat problème de la protection de la maternité »[16]. Adèle Hauwels, secrétaire du Groupement de la Porte Ouverte, Maria Nagels, secrétaire adjointe à la CSC et M. Ledrus du Ministère du Travail, malgré leurs divergences de vue, ont pour point commun de dénoncer une protection outrancière.
En 2000, le texte (qui est ratifié par très peu d’États) fait l’objet d’une nouvelle mise à jour (Convention n°183). Curieusement, la Belgique ne ratifiera aucune de ces conventions comme nous le rappelle Patricia Biard, responsable du Service syndical des Femmes de la CSC et Blanche Garcia, permanente CSC Brabant wallon.
La mère travailleuse et la mortalité infantile
Les femmes ont toujours travaillé, mais lorsque se développe la révolution industrielle du 19e siècle, « la nouvelle organisation du travail rend l’éloignement de la mère plus visible »[17]. Pourtant, bien que la main-d’œuvre féminine représente un important intérêt économique pour de nombreux secteurs industriels en raison de la faiblesse de son coût, se développe contradictoirement un discours moralisateur se voulant le garant d’un modèle familial bourgeois mais auquel adhère également le monde ouvrier.
Cette représentation des femmes et de la maternité est produite par des hommes (moralistes, théologiens, médecins…) dont certains n’hésitent pas à considérer que le travail des femmes (du moins celui des femmes mariées) est la cause de la question sociale du 19e siècle et de la destruction de la famille. En outre, un discours culpabilisant fait porter sur les épaules des femmes la responsabilité de deux phénomènes démographiques que sont la baisse de la natalité[18] et la hausse de la mortalité infantile comme en témoigne cet extrait de l’enquête sur la condition ouvrière et le travail des enfants de 1843 : « L’observation a démontré que c’est surtout pendant les premières années de la vie que la mortalité est plus forte dans la classe ouvrière. Cela se conçoit d’autant mieux que les mères sont souvent absentes du ménage, et que les enfants sont privés des soins appropriés à leur âge et à leur délicatesse. »[19] En 1909, Élise Plasky, inspectrice du travail depuis 1901, écrit dans son ouvrage Protection et l’éducation de l’enfant du peuple en Belgique que « c’est l’enfant du peuple, c’est l’enfant du travailleur, c’est l’enfant de l’ouvrière qui fournit le gros contingent de la mortalité infantile. Combien n’en est-il pas de ces petites existences échouant au lugubre nécrologe et qui auraient été belles d’énergie et d’activité pour la cause du travail, principal facteur de la prospérité nationale !»[20].
Avec la création de l’Œuvre nationale de l’enfance (ONE)[21] en 1919, c’est une véritable école des mères qui se met en place sous le contrôle des médecins. Les principes de base de la puériculture et de l’hygiène infantile sont diffusés par l’intermédiaire des crèches. Le développement des consultations de nourrissons, des organisations des Gouttes de lait où l’on distribue du lait pur et stérilisé, la distribution de brochures, l’organisation de conférences… contribuent à sensibiliser les familles mais surtout les mères. Tandis que les médecins prônent le retour à l’allaitement maternel, des campagnes de communication de santé publique sont organisées autour des soins à apporter à l’enfant. Elles visent à modifier ou à influencer le comportement des mères. L’historienne Marie-Thérèse Coenen[22] présente l’analyse d’un corpus d’affiches diffusées par l’ONE depuis les années 1920 jusqu’aux années 1980 et montre l’évolution du registre des messages adressés aux mères et préconisant des comportements maternels.
Où se situent les limites de ce système de protection de la maternité ?
Dans leur étude sur l’influence que le travail professionnel peut avoir sur la reproduction tant des hommes que des femmes, Laurent Vogel et la journaliste Marie-Anne Mengeot rappellent que « dès le début de la révolution industrielle, l’exploitation des travailleuses a soulevé des inquiétudes quant à la reproduction de l’espèce humaine. Plus que la santé et le bien-être des femmes en tant que tels, c’était leur rôle, tant biologique que socialement construit, dans la reproduction de l’espèce qui justifiait une intervention étatique. Il fallait réglementer le travail des femmes et des enfants pour éviter une dégénérescence de l’espèce »[23].
Depuis la loi de 1889 et alors que le taux d’activité des femmes continue à augmenter, de nouvelles dispositions législatives interdisent en 1908 à toutes les femmes le travail de nuit dans l’industrie et en 1911, les travaux souterrains, les pouvoirs publics mettant en avant les risques médicaux encourus par la femme en tant que future mère[24]. Si en août 1922, la loi sur le contrat de travail des employés prévoit d’accorder un mois de rémunération aux femmes venant d’accoucher, ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1948, que des indemnités sont versées aux mères six semaines avant et six semaines après l’accouchement (loi du 17 mars 1948). Même si le système n’est pas encore parfait, il marque un tournant important dans la reconnaissance de l’indemnisation : « De cette époque, on put observer l’une des caractéristiques qui allaient rendre si complexe notre système légal de protection de la maternité : la même situation est régie à la fois par le droit du travail (au point de vue des relations professionnelles entre la travailleuse et son employeur) et par le droit de la sécurité sociale (au point de vue de l’indemnisation du congé). »[25] Cette mesure permet aussi de rattraper le retard enregistré vis-à-vis de la Convention n°3 de l’OIT (1919) et d’anticiper sur la Convention n°103 de 1952. Pour certaines organisations féministes, le congé de maternité ne doit pas être spécifique mais assimilé à une incapacité de travail. Pour d’autres, la maternité n’est pas une maladie et nécessite une autre reconnaissance en tant que fonction sociale comme en témoigne en 1973 la députée socialiste Germaine Copée-Gerbinet : « Il est vrai aussi que sur le marché du travail, toutes les femmes, quelle que soit leur formation professionnelle, subissent de lourds handicaps du seul fait qu’elles sont amenées à mettre des enfants au monde. Faire peser le coût des mesures de protection de la maternité sur la main-d’œuvre féminine c’est, dans une certaine mesure, augmenter la vulnérabilité économique de la femme et la maintenir dans des conditions d’embauché, de salaire et de promotion difficiles. Pourtant, on ne peut laisser sans garantie, ni protection la maternité qui assure la survie de l’avenir de notre société. Nous souhaitons un système de compensation qui répartirait sur l’ensemble des employeurs la charge des coûts de la maternité. Nous refusons d’assimiler la maternité à une maladie ou à un handicap. Nous voulons qu’elle soit reconnue comme une fonction sociale »[26].
Le texte de 1948 ne traite cependant pas des risques d’exposition des travailleuses enceintes et des enfants à naître. C’est l’arrêté royal du 28 février 1963 portant sur le règlement général de la protection de la population et des travailleurs contre le danger des radiations ionisantes qui interdit l’exposition de la travailleuse enceinte ou allaitante. Au Conseil national du travail, les représentantes syndicales font également avancer les choses : l’avis n°231 approuvé le 5 mai 1966 par le Conseil sur la protection de la maternité met en route le dispositif demandant la prolongation du congé de maternité, une interdiction de licenciement durant la période de grossesse et les trois mois après l’accouchement et un assouplissement de la réglementation en matière de sécurité sociale pour la mère au travail.
Quant à l’arrêté royal n°40 du 24 octobre 1967 qui dépoussière la loi de 1889 sur le travail féminin, il souligne que la protection des femmes au travail doit être avant tout déterminée en fonction de leur rôle maternel et familial. Le congé de maternité est ainsi porté à 14 semaines tandis que la stabilité d’emploi de la travailleuse enceinte et l’interdiction de la licencier est inscrit dans l’article 8. La protection contre le licenciement veille à ce que l’employeur ne mette fin au contrat de travail que pour des motifs étrangers à son état de grossesse ou à l’accouchement. En termes de santé, ces nouvelles prescriptions légales visent à mettre la femme enceinte à l’abri de tout contact avec des agents chimiques, physiques ou/et biologiques, ainsi qu’à l’écarter des procédés industriels ou encore des conditions de travail incompatibles avec la grossesse. Ce texte est complété par l’arrêté royal du 24 décembre 1968 qui précise dans son article 1er qu’il est interdit d’occuper les travailleuses enceintes ou allaitantes aux travaux de peinture comportant « l’usage de la céruse, du sulfate de plomb ou de tout produit contenant des pigments pour autant que ces produits renferment plus de 2 % de poids de plomb calculé à l’état métallique ». L’article 2 définit les agents chimiques et physiques desquels il faut écarter la travailleuse. Pour les syndicalistes, c’est une victoire[27]. C’est aussi le temps où les syndicats se penchent sur la question du statut de la travailleuse. La FGTB en 1967 et la CSC en 1968 rappellent que « la travailleuse est une femme à part entière » et que la maternité est une fonction sociale qui concerne l’ensemble de la société.
En 1971, dans la loi du 16 mars qui coordonne l’ensemble de la législation du travail, les mesures protectrices traduites en mesures d’interdiction sont synthétisées mais sans y apporter de nouveaux éléments et maintiennent l’interdiction du travail de nuit pour les femmes malgré les démarches des associations féministes. Quant à l’arrêté royal du 2 mai 1995, transposant la directive européenne 92/85, il oblige chaque employeur à procéder à une évaluation des risques auxquels serait soumise la travailleuse au cours de l’exécution de son travail et ce avant qu’elle n’annonce sa grossesse. Un aménagement provisoire des conditions de travail est possible en collaboration avec la médecine du travail. Si de tels aménagements ne sont pas possibles, la travailleuse est écartée de son poste de travail et émarge à l’assurance maladie-invalidité.
L’intervention du juriste Laurent Vogel[28] sur « la maternité comme anomalie » nous montre les limites des systèmes de protection de la maternité actuellement en place qui ne tiennent pas compte des nouveaux risques. Si la législation se focalise sur les femmes enceintes qui ont signalé leur grossesse à l’entreprise, les substances toxiques pour la reproduction et les perturbateurs endocriniens concernent aussi bien les femmes et les hommes et leur action toxique peut se produire bien avant que ne commence la protection. Pire, pour la plupart des reprotoxiques, ce sont les premières semaines de la gestation qui sont les plus préoccupantes.
« Qui gardera les enfants ? »[29]
Dès le 19e siècle, la garde des enfants en bas âge est, pour de nombreuses femmes exerçant une activité professionnelle, une préoccupation majeure. Effectivement, à qui confier les nourrissons et les enfants les plus jeunes lorsqu’on travaille plus de 12h par jour et si l’entourage familial ou immédiat (enfants plus âgés, grands-parents, voisins) ne peut répondre à la demande ? Les observateurs sociaux s’inquiètent de l’éducation de la future génération ouvrière. Sensibilisés à la situation assez souvent dramatique des mères ouvrières, des associations philanthropiques, des entreprises et des administrations communales organisent dès 1845 les premières crèches. Les objectifs prioritaires sont de protéger les enfants, de tenter d’éradiquer la mortalité infantile mais également d’éduquer les mères.
Aujourd’hui, comme le dénoncent les associations de femmes (par exemple, Vie féminine ou les coordinations belges de la Marche mondiale des Femmes), la pénurie de structures d’accueil et de place d’accueil pose toujours problème tant pour les enfants de 0 à 3 ans (accueil de la petite enfance) que pour les enfants en âge scolaire (garde avant et après l’école, les congés scolaires, les mercredis après-midi). Les coûts des places varient selon que l’accueil soit subventionné ou privé. Dans une répartition traditionnelle des rôles sociaux, les femmes sont majoritairement plus concernées par ce problème, même si aujourd’hui les hommes prennent peu à peu leur place dans la répartition des tâches domestiques et familiales[30].
En 2016, l’asbl Amazone, Carrefour de l’Égalité de Genre, a lancé une campagne et un label entreprise #Enfants admis, avec un slogan optimiste Happy parents, happy employees, happy employers. Ils visent à rendre visible et à encourager les bonnes pratiques des entreprises et des organisations dans le soutien à la parentalité tant vis-à-vis de la mère que du père. Marie-Thérèse Coenen a rencontré Marleen Teugels, Directrice d’Amazone à l’origine de cette initiative.
Finalement, on se souviendra que la formule « Une société enfants admis » était déjà un slogan lancé par la Ligue des Familles dans les années 1970 et qu’elle illustre bien à quel point le trilogie « femme-famille-fécondité » est au cœur d’enjeux sociaux qui continueront encore longtemps à faire débat dans la mesure où les rôles assignés traditionnellement aux femmes ne sont pas figés pour l’éternité et qu’ils sont susceptibles d’évoluer en même temps que les contextes sociétaux continueront à se transformer pour le pire ou le meilleur.