Louise Di Senzo (bibliothécaire-documentaliste au CARHOP asbl)
Amélie Roucloux (historienne au CARHOP asbl)
Le 18 mars 2020, pour faire face à l’arrivée de la pandémie de la Covid-19, la Belgique entre en confinement, ce qui engendre des réalités variables. Ainsi, si le secteur de l’Horeca ferme ses portes, le secteur hospitalier est sur la brèche. Ces situations inédites amènent le Centre d’animation et de recherche en histoire ouvrière et populaire (CARHOP) à interroger des acteurs et actrices de terrain afin de prendre la mesure de ce qui s’y joue. Les milieux associatifs et syndicaux sont sollicités. Ils rendent compte de leurs réalités de travail et du sens que prend celui-ci face au confinement. Dans le même temps, ils révèlent leurs stratégies de résistance pour pallier aux conséquences de la crise sanitaire et à celles de la crise sociale, cette dernière prenant de l’ampleur de jour en jour. De facto, leurs publics s’inscrivent au centre de leurs réflexions et de leurs actions. C’est au cœur de ces questions que plonge l’équipe du CARHOP dans ce douzième numéro de Dynamiques. Histoire sociale en revue. Toutefois, l’extrême proximité temporelle de l’événement demande de définir un axe méthodologique.
L’histoire du présent, une méthodologie
Les historien.ne.s et le présent
Tout au long du 19e siècle, les historien.ne.s de profession se méfient du passé récent. Ils et elles craignent une trop grande proximité temporelle avec leur sujet. D’une part parce que cela risquerait d’entraîner un manque de recul pour évaluer, à charge ou à décharge, le phénomène étudié. D’autre part parce que les historien.ne.s craignent d’être embrigadé.e.s de manière (in)volontaire dans les turpitudes de l’actualité. Ils et elles privilégient donc l’étude de sujets éloignés de leur actualité, créant ainsi une césure stricte entre le passé et le présent.
Jusqu’à la moitié du 20e siècle, parler d’un événement récent est un exercice auquel les historien.ne.s se risquent peu. Puis, progressivement, les historien.ne.s questionnent de nouveaux champs d’investigation (histoire orale, histoire du genre, histoire populaire, etc.) et développent, pour ce faire, de nouvelles grilles de lecture de l’histoire, parfois inspirées d’autres sciences sociales. De plus en plus d’historien.ne.s constatent également qu’il est possible de replacer des évènements actuels dans une historicité plus longue. La césure entre le passé et le présent s’atténue.
L’étude du passé récent, voire du présent, commence à trouver une reconnaissance universitaire en France et en Belgique à la fin du 20e siècle. L’objectivité de l’historien.ne n’est plus interrogée par rapport à sa distance temporelle avec le sujet étudié, mais plutôt par rapport à son recul méthodologique avec ledit sujet. Parallèlement, la méconnaissance du futur et des (dis)continuités des trames historiques étudiées permet à l’historien.ne d’interroger les champs des possibles.[1]
L’outil historique en éducation permanente
Dans une optique d’éducation permanente, l’historien.ne donne la parole aux acteurs et actrices de l’histoire étudiée. De cette manière, ils et elles peuvent faire remonter un vécu, c’est-à-dire exprimer les enjeux auxquels ils et elles ont été confronté.e.s et les stratégies qu’ils et elles ont mis en place pour y faire face. Les historien.ne.s recueillent ces récits et les mettent en perspective dans un contexte social, politique, économique ou culturel plus large. Ainsi, l’outil historique utilisé en éducation permanente permet aux acteurs et actrices de s’approprier leur histoire, de l’inscrire dans un contexte plus large, et de la valoriser auprès du grand public.
Les rédacteurs et rédactrices de cette revue s’inscrivent dans cette dynamique et donnent la parole à des acteurs et actrices du tissu associatif et des syndicats. Ces dernier.ère.s reviennent sur la période de confinement en Belgique ainsi que sur son impact sur leurs publics et leur métier. S’effaçant parfois complètement au profit du récit des témoins, l’équipe du CARHOP utilise des méthodes qu’elle connaît bien pour porter et accompagner la parole des acteurs et actrices de terrain.
À noter toutefois que la temporalité de l’événement abordé est complexe pour les historien.ne.s. S’ils et elles peuvent dorénavant interroger le passé récent, voire le présent, la démarche n’en reste pas moins périlleuse pour l’étude de la période de confinement en Belgique. En effet, l’événement est court, isolé et très proche. Il est, dès lors, difficile pour les historien.ne.s d’utiliser leurs outils habituels (analyse comparative, analyse des « lignes de fuite » de l’événement, analyse détaillée de l’espace socioéconomique durant lequel survient l’événement, etc.). L’actualité de l’événement constitue une autre difficulté pour les historien.ne.s. En effet, si la phase de déconfinement débute en mai 2020 en Belgique, il n’est pas certain que l’émotivité qui a accompagné cet événement ait totalement disparu au moment de publier cette revue. Afin de ne pas être happé.e par les turpitudes de l’actualité, les rédacteurs et rédactrices proposent un regard photographique, tentant quelques constats et de ténus fils rouges. Un arrêt sur image qu’ils et elles historicisent parfois, c’est-à-dire situent dans le temps et l’espace.
Les archives et la documentation du présent
S’interroger et analyser les réalités de travail et les stratégies de résistance en période de crise requièrent un matériau documentaire et archivistique. C’est là que se rencontrent les deux finalités du CARHOP : la récolte et la conversation des documents et leur exploitation dans une démarche d’éducation permanente. En tant que centre d’archives privées, le CARHOP s’inscrit d’emblée dans une campagne nationale de récolte de traces relatives au confinement. À cette fin, il s’appuie sur des réseaux construits de longue date. L’Association des archivistes francophones de Belgique (AAFB)[2] et son pendant néerlandophone, le Vlaams vereniging voor bibliotheek, archief en documentatie (VVBAD), lancent ainsi la plate-forme Archives de quarantaine archief #AQA qui a pour but « de centraliser et relayer les initiatives des services d’archives durant la période de confinement, mais également d’encourager la collecte de toutes sources pouvant rendre compte de ce moment historique »[3]. Cette plate-forme concrétise à double titre un souhait de longue date de mutualisation. D’une part, elle constitue un centre de ressources pour les professionnels de la gestion de l’information. D’autre part, elle valorise, par le biais d’articles, tout type de ressources relatives à la mémoire du confinement, récoltées par les archivistes et produites par divers publics. Certaines d’entre elles constituent le matériau de base pour la réalisation des articles de cette revue.
https://archivesquarantainearchief.be/fr/
Le confinement met davantage en exergue les enjeux de la récolte et de la conservation des documents natifs numériques. Il nous demande inexorablement de sortir de nos habitudes, vu la non-proximité et les contraintes géographiques (plus de déplacements possibles). Couvrir l’ensemble de la masse documentaire issue de la toile semble quasi impossible. Le recours au réseau de partenaires s’avère, à cet égard, essentiel. La conservation, à long terme, des documents collectées exige un déploiement de nouvelles compétences, de mobiliser des moyens humains et techniques supplémentaires. Ce qui fait de cette démarche documentaire un processus tout aussi inconnu que la situation que nous vivons.
Chronique d’une crise annoncée
Début 2020, une crise sanitaire prend une ampleur mondiale et bouleverse le fonctionnement habituel des sociétés humaines. Le 18 mars 2020, le mot « confinement » est prononcé par le gouvernement fédéral belge et la population est plongée dans une situation encore inconcevable quelques jours plus tôt. Ce changement de paradigme produit des réalités disparates. Le confinement créé un violent coup de balancier qui accentue les inégalités socioéconomiques en Belgique. Par quelles trames historiques en est-on arrivé là ? Quels sont les outils dont disposent les communautés humaines pour faire face à ces crises ?
Naissance d’une pandémie & de pays mis en confinement
Les risques que représentent les épisodes épidémiques pour les sociétés ne sont pas inconnus. Depuis la fin du 20e siècle, de nouvelles épidémies apparaissent (VIH, fièvre hémorragique d’Ebola, etc.), d’autres ressurgissent (tuberculose, choléra, etc.), enfin quelques-unes voient leur distribution géographique s’accroître de façon très importante (dengue, virus West Nile, etc.). Outre les risques en matière de santé internationale, ces épisodes épidémiques ont un impact énorme au niveau socioéconomique pour les régions touchées.[4] Ces différentes évolutions des épidémies (certaines étant nouvelles, d’autres difficilement contrôlables) inquiètent les scientifiques qui en informent les gouvernements[5].
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) possède un outil de lutte contre la propagation de maladies infectieuses. Il s’agit du Règlement sanitaire international (RSI). Le texte invite les États membres à notifier à l’OMS l’émergence de « maladies quarantenaires » sur leur territoire. L’objectif est d’informer le monde sur l’émergence de maladie infectieuses et de faire des recommandations aux régions touchées.[6] Le RSI connaît de nombreux aménagements au cours du 20e siècle, jusqu’à aboutir à une forme obligatoire pour 196 pays signataires en 2005. Globalement, sa mission, bien que renforcée, consiste toujours « à éviter la propagation internationale des maladies, à s’en protéger, à la maîtriser et à y réagir par une action de santé publique proportionnée et limitée aux risques qu’elle présente pour la santé publique, en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux »[7]. Près de quinze ans plus tard, la pandémie de la Covid-19 laissera-t-elle le temps à l’humanité de réaliser l’équilibre entre les enjeux économiques et les enjeux sanitaires ?
Fin décembre 2019, des journaux signalent la multiplication de cas d’une nouvelle maladie en Chine, dont on ne comprend pas bien le fonctionnement. En une semaine, les quelques cas sont devenus quelques dizaines. Le 30 décembre 2019, le docteur Li Wenliang, ophtalmologue à l’hôpital central de Wuhan, lance l’alerte sur une possible future épidémie.
Début janvier 2020, la nouvelle maladie a maintenant un nom : « Coronavirus ». Mais l’État chinois reste discret sur celle-ci. Sur le plan intérieur, peut-être veut-il éviter des mouvements de panique dans la population ? Sur le plan extérieur, peut-être que, dans l’imbroglio des enjeux internationaux, il n’a pas intérêt à ce que ses interlocuteurs ne s’inquiètent de trop ? Les autorités chinoises rappellent à l’ordre le docteur Li Wenliang, l’accusant de propager des rumeurs et de faire de faux commentaires ayant gravement perturbé l’ordre social.[8] L’OMS, alertée, lance un processus de recherche pour mieux comprendre ce nouveau coronavirus.
Le 20 janvier 2020, les autorités chinoises reconnaissent que le virus se transmet entre êtres humains et déclarent que le nouveau coronavirus constitue une urgence sanitaire. Le 30 janvier 2020, le Comité d’urgence au titre du RSI parvient à un consensus et l’OMS déclare que la flambée constitue une urgence de santé publique de portée internationale. La maladie devient officiellement une épidémie. Selon les termes de l’OMS, cela signifie que le virus se propage chez un grand nombre d’individus non immunisés dans une région donnée.[9] En février 2020, malgré la multiplication des signes inquiétants (augmentation du nombre de décès en Chine, intensification des travaux de l’OMS, premiers cas de contamination en Europe), les pays européens semblent mesurer difficilement le danger.
Au sein de l’Union européenne, les gouvernements des États membres tergiversent quant à l’attitude à adopter face à l’arrivée du nouveau coronavirus. Est-il vraiment dangereux ? N’est-ce pas seulement qu’une vilaine grippe ? Est-il nécessaire que la population porte un masque dans les espaces publics ? A-t-on des masques en suffisance pour les services hospitaliers et d’aide aux personnes ? Doit-on confiner la population ou tabler sur une contamination collective en vue de développer une immunité de groupe ? Les services hospitaliers pourront-ils tenir le choc face à la deuxième solution ? Mais peut-on prendre le risque d’arrêter les mouvements de l’économie, au risque de la déstabiliser gravement et de mettre en péril certains de ses acteurs ? De plus, peut-on confiner toute la population européenne, au risque de mettre en difficulté les plus fragiles d’entre elle ? Les regards se tournent vers l’OMS.
Le 11 mars 2020, l’OMS déclare que, « profondément préoccupée à la fois par les niveaux alarmants de propagation et de sévérité de la maladie, [elle] estime que la COVID-19 [le nouveau coronavirus] peut être qualifiée de pandémie »[10]. L’épidémie devient officiellement une pandémie. Selon les termes de l’OMS, cela signifie que la propagation du virus est désormais mondiale. Les pays, qui ont lié leurs plans de gestion du nouveau coronavirus à la déclaration de pandémie de l’OMS, peuvent maintenant franchir un cap au niveau stratégique.[11]
Le 18 mars 2020, l’OMS et ses partenaires lancent le programme SOLIDARITY afin de récolter les données du monde entier pour trouver les traitements les plus efficaces contre le nouveau coronavirus. Ce même jour, en Belgique, le gouvernement fédéral décide de mettre toute la population belge en confinement afin de limiter la propagation du virus sur le territoire, ne permettant les sorties que pour les déplacements strictement essentiels.
Naissance d’une crise socio-économique & mobilisation citoyenne, associative et syndicale en Belgique
À partir de ce mercredi-là, la population belge se retrouve dans une situation inattendue, inconnue et angoissante. Malgré la propagation progressive du virus dans le monde depuis le mois de janvier, la société belge n’est pas préparée à être confrontée à des mesures aussi drastiques. Le confinement et le recours massif au télétravail brisent tout une série de liens sociaux. Très vite, la population fait preuve de créativité pour recréer du lien et de la solidarité (échanges sur les réseaux sociaux, applaudissement à 20 heures pour le personnel hospitalier, confection de masques en tissu, banderoles aux balcons et aux fenêtres, etc.). Toutefois, le confinement n’entraîne pas les mêmes réalités pour tout le monde.
Toute une série de travailleurs et de travailleuses sont en première ligne pour faire face à la crise sanitaire et socioéconomique : les éducateurs et éducatrices, les aides-soignant.e.s, le personnel hospitalier, etc. Pour elles et eux, la crainte d’une contamination crée un sentiment d’anxiété. Ils et elles craignent d’être contaminé.e.s et de contaminer leurs proches. Dans certains cas, ils et elles voient leurs collègues tomber malades.
Pour les personnes confinées, le temps s’arrête et l’espace se restreint. Une partie de la population, moins menacée sur les plans économique, social et affectif, questionne le fonctionnement habituel de la société ainsi que ses dérives (surconsommation, écocides, temps passé sur le lieu de travail au détriment de la famille, utilité des outils numériques, etc.). Elle questionne également l’organisation et la mise en œuvre du travail (possibilité de faire des réunions efficaces à distance, possibilité d’exercer une partie du travail à domicile, etc.).
Pour une autre partie de la population, la réalité est toute autre. Des personnes se retrouvent privées de toute une série de soutiens qui atténuent habituellement une situation déjà précaire, qu’elle soit économique, sociale ou encore affective. Parmi les entreprises et les commerces, le confinement précipite la faillite des plus fragiles. Pour pallier à ces situations, divers moyens sont mis en place. Le droit passerelle[12] sont débloqués pour aider les indépendant.e.s et les organisations syndicales sont sur la brèche pour aider les personnes qui peuvent bénéficier du chômage économique temporaire. Enfin, des travailleurs et travailleuses du tissu associatif et des organisations syndicales se mobilisent rapidement pour les personnes qui s’enfoncent dans la précarité.
Le tissu associatif et les organisations syndicales exercent un rôle en tant que corps intermédiaire. Ce terme désigne des « institutions de l’interaction », formule développée par Pierre Rosanvallon qu’il situe entre le niveau de l’individu et celui de l’État. En Belgique, depuis le 19e siècle, des initiatives culturelles, sociales, politiques, économiques et sanitaires émergent afin de soutenir et accompagner la population. Leur objectif est de travailler avec les publics autour d’une ou plusieurs insatisfactions, d’évaluer les moyens à déployer pour résoudre cette insatisfaction et d’agir pour la transformation de la société, notamment via le travail politique. Au cours du temps, ces initiatives tendent à s’institutionnaliser et à se professionnaliser.[13]
En mars 2020, la propagation du virus et le télétravail généralisé déstabilisent l’exercice des missions de ces corps intermédiaires. La soudaineté du confinement et l’angoisse de la contamination ébranlent leur fonctionnement habituel. Ils doivent faire preuve de créativité afin de poursuivre leur travail avec leurs publics dans un contexte où la précarité se renforce et les inégalités sociales augmentent. Le premier enjeu est de garder contact avec le terrain. Le tissu associatif et syndical, ainsi que la solidarité citoyenne, deviennent ultra-connectés. Certaines associations doivent maintenir le contact « en présentiel » avec leur public, tandis que d’autres multiplient les outils numériques pour rester au plus proche de leurs publics. Certaines associations renforcent leurs contacts entre elles et avec les pouvoirs publics afin de solutionner au mieux les conséquences socioéconomiques du confinement.[14]
Mobilisation de l’équipe du CARHOP
Dans ce numéro de Dynamiques. Histoire sociale en revue, l’équipe du CARHOP se mobilise pour marquer un temps de réflexion sur la période de confinement. L’événement est abordé dans l’optique de l’institution, à savoir comprendre le passé pour mieux se positionner dans le présent et se donner l’opportunité d’envisager des pistes pour l’avenir. C’est l’éducation permanente qui se donne pour mission de « voir, juger, agir » avec un collectif, pour le collectif. François Welter, Julien Tondeur, Marie-Thérèse Coenen, Josiane Jacoby, Anne-Lise Delvaux, Louise Di Senzo, et Renée Dresse relèvent le défi de l’histoire « du très récent », voire du présent. Ils et elles interrogent les acteurs et les actrices du tissu associatif et des syndicats à propos des dynamiques qui sont mises en place pour faire face aux conséquences du confinement sur la population belge.
François Welter, à travers le cas du CARHOP, interroge la place que peut occuper l’historien.ne dans la mobilisation contre les effets des crises socioéconomiques. Pour ce faire, il détaille les enjeux du métier d’historien.ne et ceux de la conservation des archives, et les inscrit dans une historicité particulière. En filigrane, ce sont les outils dont disposent les historien.ne.s pour esquisser les impacts de la crise et en dresser une ébauche d’analyse qui sont exposés aux lecteurs et aux lectrices. La récolte des archives et des témoignages, ainsi que la méthodologie utilisée par les historien.ne.s, permettent ainsi de s’arrêter sur les causes et conséquences d’un événement, sur les situations qu’il provoque sur celles et ceux qui le vivent, et de se poser collectivement la question : « et maintenant, où allons-nous ? »
Julien Tondeur s’intéresse à l’initiative « Les Confins », lancée sur les réseaux sociaux par le Mouvement ouvrier chrétien (MOC) de Bruxelles durant le confinement. Dans le sillage de l’enquête ouvrière, l’initiative réceptionne des témoignages qui illustrent le quotidien des personnes précarisées. L’historien part à la rencontre de Thomas Englert, secrétaire fédéral du MOC de Bruxelles et coordinateur du Centre d’information et d’éducation populaire (CIEP) de Bruxelles, afin de découvrir les stratégies mises en œuvre par le MOC de Bruxelles pour aider les publics dans le besoin. L’exacerbation des inégalités sociales, l’importance des actions collectives et des solutions politiques face à l’urgence socio-économique poussent Thomas Englert à interroger les enjeux de la société post-confinement.
Marie-Thérèse Coenen part à la rencontre de Carole Barbé, coordinatrice de Partenariat-Intégration-Cohabitation Laeken (PICOL) et présidente de la Coordination sociale de Laeken (CSL). Dans la forme, l’histoire croise le journalisme car, une fois n’est pas coutume, l’historienne s’efface presque complètement au profit de la narratrice. Ainsi, c’est un récit brut de son vécu et de ses constats de terrain qui parvient aux lecteurs et aux lectrices de cette revue. Durant le confinement, Carole Barbé envoie un appel à l’aide aux membres de la Coordination sociale de Laeken. Il faut revenir sur le terrain de toute urgence : la crise sanitaire se double d’une crise sociale et économique qui prend de l’ampleur de jour en jour. Face à l’urgence, Carole Barbé dépasse le cadre habituel de ses missions pour aider les personnes dans le besoin et renforcer les synergies associatives et citoyennes.
Josiane Jacoby s’aventure sur un terrain qu’elle connait bien. Et pour cause : depuis de nombreuses années, elle interroge les éducateurs et les éducatrices sur les enjeux et les évolutions de leur métier. Lorsque le CARHOP se lance dans l’initiative de récolte de témoignages, elle mobilise rapidement son réseau et récolte des récits « à chaud ». Trois témoins se prêtent à l’exercice durant le confinement : Chloé Antoine et Anna Fani, toutes deux éducatrices dans le secteur du handicap, et Luc Dubois, éducateur dans le secteur de l’aide à la jeunesse. Tous trois travaillent en résidentiel, c’est-à-dire que l’accompagnement du public se fait intra-muros, tout en maintenant des contacts extérieurs. Avec le confinement, les centres d’hébergement restent cloîtrés, personne ne sort. Cette situation ne manque pas d’interpeller la sociologue : s’agit-il d’un retour en arrière ? Quelle place pour l’autonomisation du public dans ce contexte ?
Anne-Lise Delvaux part à la rencontre de l’équipe de l’asbl Famisol. Famisol – contraction de « Familles Solidaires » – est un service d’aide précoce et d’accompagnement pour enfants de 0 à 18 ans, porteurs de handicap et leur famille. L’association travaille en non-résidentiel, c’est-à-dire que l’accompagnement du public s’effectue extra-muros, tout en ménageant un espace d’accueil et de soutien au sein de l’institution. Avec le confinement, tous les enfants sont renvoyés dans leur famille. Pour les travailleurs et les travailleuses, l’enjeu est de parvenir à maintenir le contact avec le public malgré toutes les mesures qui mettent à mal les liens sociaux. Afin d’assurer l’accompagnement et le soutien aux enfants et à leur famille, l’équipe multiplie les stratégies créatives et tente de surmonter les obstacles créés par la distanciation physique avec leur public.
Louise Di Senzo relâche quelque peu sa surveillance attentive du centre de documentation du CARHOP pour s’atteler à l’exercice de l’interview et de la rédaction. Avec le confinement, les centres doivent fermer leurs portes au public. La bibliothécaire-documentaliste voit son métier se modifier brutalement. N’ayant plus accès aux collections papiers, elle renforce son travail de veille documentaire afin de récolter sur le réseau les sources numériques, dite « natives ». Elle suppute que cela est également le cas pour les autres centres de documentation. Elle s’intéresse alors au centre de documentation HELHa Cardijn à Louvain-la-Neuve et interroge les stratégies du centre pour tenter d’assurer ses missions auprès des étudiant.e.s qui fréquentent habituellement le lieu.
Renée Dresse s’intéresse à l’action syndicale durant le confinement dans le secteur des soins de santé. En première ligne, face aux conséquences sanitaires de la pandémie de la Covid-19, les travailleurs et les travailleuses des services hospitaliers et des maisons de repos et de soin voient leur travail profondément bouleversé et doivent faire face à une situation inédite et angoissante. L’historienne interroge des délégué.e.s syndicaux qui témoignent, sous un nom d’emprunt, des négociations qu’ils et elles mènent pour assurer des conditions de travail suffisamment protectrice pour le personnel : obtention de matériel de protection, lutte contre l’épuisement professionnel, écartement des personnes à risques, etc. En filigrane, ce sont les risques de voir des professions tomber en pénurie de personnel qui apparaissent.
Notes
[1] Outre les études pionnières de Marc Bloch, voir Dosse F., L’histoire en miettes ; Des Annales à la « nouvelle histoire », Paris, La Découverte, 2005 (La Découverte Poche/Sciences humaines et sociales, 195) ; Garcia P., « L’histoire du temps présent : une histoire comme les autres ? », Mélanges de la Casa de Velázquez, n° 48-2, mis en ligne le 5 octobre 2018 URL : http://journals.openedition.org/mcv/8403, page consultée le 17 août 2020) ; Leduc J., Les historiens et le temps. Conceptions, problématiques, écritures, Paris, Le Seuil, 1999 (Collection Points Histoire, 259) ; Soulet J.-F., L’histoire immédiate. Historiographie, sources et méthodes, 2e édition, s.l., Armand Colin, 2012.
[2] L’AAFB est une association de professionnel.le.s qui réunit, entre autres, de nombreux centres d’archives privées francophones. Ses missions principales sont de fédérer les représentants des différents secteurs du monde archivistique belge francophone, de promouvoir le métier d’archiviste et de sensibiliser à la conservation et à la valorisation des archives.
[3] Voir Site de la plateforme : https://archivesquarantainearchief.be/fr/.
[4] Gessain A., Manuguerra J.-C., Les virus émergents, Paris, Presses universitaires de France, 2006 (Que sais-je ?, 3761), mis en ligne le 13 mars 2010 URL : https://www.cairn.info/les-virus-emergents–9782130555438.htm
[5] Gonzalez S., « Historian Frank Snowden: May we be ‘forever changed’ by coronavirus », YaleNews, 8 april 2020. URL : https://news.yale.edu/2020/04/08/historian-frank-snowden-may-we-be-forever-changed-coronavirus, page consultée le 9 septembre 2020.
[6] Delga S., « 38. Un droit international public de la santé contraignant pour les États ? », dans Kerouedan D. (dir.), Santé internationale ; Les enjeux de santé au Sud, Paris, Presse de Sciences Po, 2011, p. 483-493.
[7] « Qu’est-ce que le Règlement sanitaire international ? », dans Site Web de l’Organisation mondiale de la santé, mis en ligne le 29 juin 2016 URL : https://www.who.int/features/qa/39/fr/, page consultée le 20 juillet 2020.
[8] Lepropre O., « Coronavirus : un médecin chinois, lanceur d’alerte et muselé par les autorités chinoises, est décédé », levif.be, mis en ligne le 5 février 2020 URL : https://www.levif.be/actualite/international/coronavirus-un-medecin-chinois-lanceur-d-alerte-et-musele-par-les-autorites-chinoises-est-decede/article-normal-1248665.html, page consultée le 20 juillet 2020.
[9] « Coronavirus : pandémie ou épidémie, quelles différences ? », lefigaro.fr, mis en ligne le 11 mars 2020 URL : https://www.lefigaro.fr/sciences/coronavirus-pandemie-ou-epidemie-quelles-differences-20200311, page consultée le 29 juillet 2020.
[10] « COVID-19 – Chronologie de l’action de l’OMS », dans Site Web de l’Organisation mondiale de la santé, 27 avril 2020 URL : https://www.who.int/fr/news-room/detail/27-04-2020-who-timeline—covid-19, page consultée le 20 juillet 2020.
[11] « Coronavirus : pandémie ou épidémie, quelles différences ? »,…
[12] Le droit passerelle est une allocation financière mensuelle de douze mois maximum avec maintien de certains droits sociaux pendant quatre trimestres maximum, accordée aux indépendant.e.s.
[13] Pour aller plus loin : Machiels C. et Roucloux A., 25 ans de concertation sociale et politique, Bruxelles, CESSoC, 2019.
[14] Pour aller plus loin : « Travail social et Covid-19 : par-delà l’oubli », Alter Échos, n° 485, juillet 2020 ; « Résister et agir en confinement », L’Esperluette, n° 104, avril-mai-juin 2020, p. 9-12.
POUR CITER CET ARTICLE
Référence électronique
Di Senzo L. et Roucloux R., « Introduction au dossier : Mobilisations syndicales et associatives face à la crise sanitaire et sociale », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°12, septembre 2020, mis en ligne le 15 octobre 2020. URL : https://www.carhop.be/revuescarhop/