Camille Vanbersy (historienne et archiviste au CARHOP asbl)
Comme les différents articles de ce numéro de Dynamiques. Histoire sociale en revue ont déjà pu le mettre en lumière, les écoles de devoirs constituent un champ d’étude et de recherche important et encore à explorer. Pour tout qui s’intéresse à cette thématique, les archives et collections conservées au CARHOP sont une source précieuse.
La période chronologique couverte par les différents articles de ce numéro s’étend de 1973 à 1985, tout en s’ouvrant aux problématiques contemporaines grâce aux témoignages qui seront présentés dans le prochain numéro de février 2021. Les archives conservées au CARHOP éclairent en effet principalement cette période de naissance des mouvements mais peuvent également renseigner sur l’évolution que connaissent les écoles de devoirs par la suite. À titre d’exemple, les archives déposées par la Jeunesse maghrébine asbl conservent différents documents de type administratif : rapports, programmes d’activités, de stages, formations des animateurs, préparation de colloque… rassemblés dans le cadre de la Coordination des écoles de devoirs de Bruxelles asbl (CEDD)[1].
La plus belle porte d’entrée pour cette thématique se trouve au sein des archives de militant.e.s et plus particulièrement dans le fonds d’archives Rosa Collet. Ce fonds d’une grande richesse, et déjà présenté en détail par ailleurs, témoigne des multiples facettes de l’action de Rosa Collet au sein du mouvement chrétien bruxellois et plus particulièrement de ses actions envers les plus jeunes. Les documents présents permettent de cerner dans les détails la vie quotidienne et les grands enjeux qui traversent les vécus de ces écoles comme en témoigne l’article de Marie-Thérèse Coenen. Ce fonds constitue malheureusement une exception, et les traces des écoles de devoirs se font plus ténues dans les papiers d’autres militant.e.s. Cependant, la réalisation de ce numéro a également permis d’enrichir les collections du CARHOP par l’apport de documents d’archives de la part des intervenants, des témoins et des acteurs sollicités pour la réalisation des différents articles. Jos Palange, actif au sein d’Hypothèse d’école a déposé, après que ceux-ci aient nourri la rédaction de l’article, brochure, procès-verbaux de réunions, exemplaires de périodiques… Espérons que ce numéro donne l’envie à d’autres d’en faire autant et permette de sauver la mémoire de ces initiatives[2] !
D’autres fonds de militant.e.s, tels les documents d’André Louvet[3], conservent également quelques exemplaires de brochures ou de périodiques liés aux écoles de devoirs et à Hypothèse d’école. Ces revues rendent compte tout à la fois des réflexions, des questionnements de ces institutions et des activités menées par les écoles.
Afin de trouver les appuis, qu’ils soient logistiques, humains, financiers…, nécessaires à la réalisation de leurs missions, les écoles de devoirs s’adossent parfois à d’autres institutions plus grandes et bénéficiant de reconnaissance. Dès lors, les fonds de ces structures étant plus systématiquement conservés[4], les traces des écoles de devoirs se font plus nombreuses. Remarquons cependant que celles-ci donnent une image plus administrative et factuelle des réalités : rapports d’activité, procès-verbaux de réunions…, mais peu de réalisations d’enfants contrairement aux archives récoltées par Rosa Collet par exemple. De plus, les fonds d’organisations tels que le Mouvement ouvrier chrétien (MOC) ou Vie féminine permettent également d’ouvrir des fenêtres plus ou moins larges sur leur vécu et d’élargir à d’autres perspectives géographiques là où les papiers de militant.e.s précédemment mentionné.e.s s’intéressent principalement à la Région bruxelloise. La réalité namuroise est effleurée au travers des archives de Vie féminine et du MOC de Namur. Le CIEP[5] de l’arrondissement de Namur a, à titre d’exemple, publié en 1984 une étude intitulée Quartier et société se voulant une « réflexion issue de la pratique d’une école de devoirs et de différentes activités avec des enfants du quartier Saint-Nicolas à Namur »[6]. Ce travail donne à voir les conditions dans lesquelles travaille l’école de devoirs et les questions qui traversent le travail avec les enfants : stimulation, langage… Ces quelques informations seront grandement complétées par la consultation des archives aujourd’hui encore conservées dans les locaux du CIEP de Namur.
Les archives du MOC de Tournai témoignent de l’action de celui-ci dans la dynamique des écoles de devoirs avec notamment l’organisation, avec Jeunesse et Santé[7] et des animateurs du CIEP, d’une école à Tournai.
On y trouve également la trace de recherche de financements et de formations pour les animateurs et animatrices de la région ou encore le lancement d’une école dans la région de Mons-Borinage à l’initiative de l’école d’alphabétisation Mons-Borinage installée à Hornu[8] et pour laquelle un dossier complet d’information donne les raisons de sa création, ses terrains d’action, la méthode… Les papiers de Louis Boulvin[9], secrétaire du MOC de Mons, conservent également quelques documents intéressants relatifs à l’école d’alphabétisation ou encore un dossier produit par Hypothèse d’école « Commission publique d’enquête. L’affaire du Bon Pasteur » relatif au licenciement abusif d’un professeur[10].
Ces archives contiennent également un dossier préparatoire au projet « La courte échelle », une initiative de rattrapage scolaire dans la région tournaisienne pour laquelle une réflexion et un questionnaire sur le travail scolaire à domicile, élaborés par le Groupe « Carence de l’école » d’Hypothèse d’école de Charleroi[11], sont utilisés.
En effet, rapidement, les écoles de devoirs interagissent entre elles et avec d’autres acteurs qu’elles rejoignent au point de vue des thématiques ou des ressorts géographiques. Les archives du MOC de Bruxelles témoignent des partenariats noués entre cette institution, les écoles de devoirs et d’autres partenaires dans une volonté de décloisonner les actions au sein des quartiers dans le cadre, par exemple, de projet de zones d’éducation prioritaire (ZEP)[12] ou de réflexion sur leurs pratiques respectives.[13] Elles témoignent également de l’organisation d’une journée de rencontre réunissant les écoles de devoirs du Brabant wallon autour de quatre grandes thématiques : la stimulation, les écoles de devoirs et le quartier, les écoles de devoirs et la famille et enfin, les écoles de devoirs et le secondaire.[14]
La richesse principale de ces archives réside dans la multiplicité des thèmes couverts. Elles témoignent premièrement des aspects administratifs et de l’organisation pratique des écoles ainsi que des écueils rencontrés lors de la réalisation de leurs activités. Procès-verbaux de réunions, rapports, demandes de financements, d’appuis… décrivent la réalité organisationnelle de ces associations. On découvre également bon nombre de brochures, de tracts, d’invitations, de coupures de presses et autres affiches révélant la multitude des animations proposées en parallèle au soutien scolaire et leur permettant de financer leurs travaux (barbecues, etc.).
Ces archives renseignent également sur les profils des acteurs principaux de cette histoire, les animateurs et animatrices, les enfants et les familles qui gravitent autour des écoles de devoirs. Dès lors, les archives « papier » ne peuvent être appréciées à leur juste valeur sans le croisement avec les témoignages des acteurs. En effet, la collecte de la mémoire orale, avec toutes les précautions d’usage qu’elle suppose, donne une épaisseur supplémentaire à l’histoire qu’il est possible de tracer au travers des écrits.
Le vécu des enfants peut être lui aussi approché au regard des dessins, des devoirs, des productions diverses conservées soigneusement, par exemple, au sein des archives de Rosa Collet. Ces sources peuvent être alors complétées par les rapports de stage d’étudiant.e.s ou par les travaux de fin d’études conservés dans les hautes écoles ou au CARHOP[15], et qui, au détour de certaines lignes, livrent des morceaux de vécus, de la réalité quotidienne de ces écoles.
Ces travaux d’étudiant.e.s, comme en témoigne l’article de Marie-Thérèse Coenen « Les stagiaires & leurs mémoires : un certain regard sur les écoles de devoirs » paru dans ce n° 13 de Dynamiques, abordent la question des écoles de devoirs sous de multiples angles. Citons, par exemple, le rapport entre les écoles de devoirs et l’école obligatoire, l’alternative qu’elles peuvent représenter, les lacunes dont elles souffrent, mais également, le rapport au quartier… Les travaux plus récents s’ouvrent à d’autres thématiques comme les enjeux liés à la place croissante de l’informatique et le rôle des écoles de devoirs.
Enfin, ces travaux sont également parfois la seule trace qui reste des écoles de devoirs aujourd’hui disparues. Dès lors, les annexes de ceux-ci, conservant par exemple les statuts des asbl, constituent de précieuses archives.
Lorsque les écoles de devoirs commencent à s’organiser et à s’institutionaliser, des comités de liaisons, de coordinations se mettent en place. Les activités et les actions sont également documentées par les archives.
Outre ces problématiques liées directement aux écoles de devoirs et à leur fonctionnement, ces archives rendent également compte de leur lien et de leur implication dans des dynamiques et des thématiques plus vastes : rapport à l’école, immigration, précarité… sont autant de sujets pour lesquels les écoles de devoirs apportent un point de vue différent. Un dossier de presse conservé dans les archives de Jeunesse maghrébine met en lumière l’initiative liégeoise de « marrainage » mettant en relation les enfants bien souvent d’origine immigrée fréquentant les écoles de devoirs, et des familles « marraines » d’origine belge.[16]
Comme le souligne Marie-Thérèse Coenen dans son article, « la consultation des archives reste nécessaire pour comprendre l’origine du projet, sa finalité, les acteurs en présence, le public visé, les succès, les difficultés, le contexte sociopolitique, l’insertion dans le tissu associatif local, etc. Le caractère spontanée et militant de ces initiatives locales rend la conservation de leurs archives aléatoire et leur consultation difficile ». C’est pourquoi, sur des thèmes tels que celui des écoles des devoirs, plus encore peut-être que sur d’autres grandes thématiques, il est important que tout un chacun prenne conscience des trésors qui dorment peut-être sur les rayonnages de sa bibliothèque ou dans les caisses conservées à la cave ou au grenier et dont l’utilité immédiate semble dépassée, mais qui, pour l’historien et l’historienne mais également (surtout ?), pour les acteurs et actrices de terrain d’aujourd’hui peuvent représenter une source d’informations inestimable.
Notes
[1] Sur la Coordination des écoles de devoirs de Bruxelles asbl, voir le n° 14 de Dynamiques. Histoire sociale en revue qui paraîtra en février 2021.
[2] Pour tout renseignement relatif au dépôt de document d’archives, contacter camille.vanbersy@carhop.be.
[3] André Louvet, membre du comité fédéral du MOC de Bruxelles, a été président du MOC local de Schaerbeek de 1981 à 1989.
[4] Signalons également que la consultation des archives communales ou de CPAS peut en ce sens s’avérer intéressante.
[5] Centre d’information et d’éduction populaire, service du MOC.
[6] CARHOP, archives du MOC – Fédération de Bruxelles, n° 432.
[7] Organisation de jeunesse active en charge de la promotion et d’éducation à la santé auprès des jeunes, partenaire de la mutualité chrétienne qui en est la fondatrice.
[8] CARHOP, archives du MOC – Fédération de Tournai, n° 165.
[9] Pour plus d’informations sur Louis Boulvin, voir Neuville J., « Boulvin Louis », dans Rubrique Belgique, Site Web : maitron.fr, mis en ligne le 14 novembre 2013, dernière modification le 20 janvier 2020 URL : https://maitron.fr/spip.php?article150064
[10] CARHOP, archives du MOC – Fédération de Mons, n° 273 et 489.
[11] CARHOP, archives du MOC – Fédération de Tournai, n° 166.
[12] Pour lutter contre les écoles ghettos et favoriser l’égalité des chances à la réussite, la Fédération Wallonie-Bruxelles a accordé des moyens supplémentaires à des écoles et établissements scolaires situés dans des quartiers qui cumulent plusieurs « handicaps » socio-pédagogiques : population à faible revenu, taux de chômage élevé, logements de mauvaise qualité, etc. Ces zones d’éducation prioritaire bénéficiaient de normes scolaires plus basses, de moyens complémentaires calculés en périodes, professeurs et autres : finances, logopède, soutien pédagogique, médiation scolaire, etc. La Fédération bruxelloise du MOC a été très impliquée dans les zones d’éducation prioritaire.
[13] CARHOP, archives du MOC – Fédération de Bruxelles, n° 773 et 714.
[14] CARHOP, archives du MOC – Fédération de Bruxelles, n°432.
[15] CARHOP, Fonds Haute école ICHEC-ECAM-ISFSC – Département ISFSC.
[16] CARHOP, archives de Jeunesse maghrébine, n° 173.
POUR CITER CET ARTICLE
Référence électronique
Vanbersy C., « Les écoles de devoirs, des archives à découvrir pour une histoire à écrire », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°13, décembre 2020, mis en ligne le 07 janvier 2021, URL : https://www.carhop.be/revuescarhop/