Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)
Dominique Dognié est bibliothécaire depuis 1989 et bibliothécaire en chef depuis 1991. Sa passion pour l’histoire fait qu’il est curieux de tout ce qui touche au passé de la bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode et de la commune en général. À l’occasion du centenaire de la loi Destrée, la bibliothèque communale de Saint-Josse présente une petite exposition, avec des affiches, des photos ainsi que les traces éparses de son passé. Nous le rencontrons le 3 juin 2021 dans sa bibliothèque[1]. Son témoignage fait le lien entre l’ancienne bibliothèque, telle qu’elle fonctionne quasi depuis sa fondation et la « nouvelle » bibliothèque qu’il dirige, orientée vers les publics, l’ouverture, l’accessibilité de tous et toutes, l’animation à la lecture et la découverte du livre, très loin des seuls prêts et accès à la lecture qui caractérisaient l’ancienne bibliothèque. C’est un pan de cette histoire qu’il nous dévoile :
« Je suis bibliothécaire depuis 1989 et bibliothécaire en chef depuis 1991. Étant habitant de Saint-Josse depuis plus de 53 ans, je connais bien Saint-Josse, sa population et son évolution. J’ai la chance d’avoir travaillé avec des bibliothécaires qui étaient en fin de carrière, qui avaient été engagés en 1953. C’est en discutant avec eux que j’ai eu une vue sur pratiquement toute l’histoire de la bibliothèque.
La bibliothèque de Saint-Josse a déjà comme atout d’être une bibliothèque très ancienne parce qu’elle date de 1859. La Belgique a à peine 29 ans quand cette bibliothèque est créée. On a très peu de documents. On en trouve des traces dans les Bulletins communaux. Il semblerait qu’auparavant, il y avait déjà une salle de lecture, ce n’est pas très clair, qui était tenue par des professeurs, mais la bibliothèque officielle a existé réellement à partir de 1859. À l’époque, c’était souvent des professeurs qui faisaient cela en horaire complémentaire. Charles Rogier qui a habité Saint-Josse, qui est un acteur incontournable de la Révolution, membre du Gouvernement provisoire, ministre de l’Intérieur et puis Premier ministre, est une personnalité importante qui a habité à Saint-Josse. Il a fait un don important de livres. Eugène Van Bemmel, qui était conseiller communal à l’époque, avait fait remarquer à cette occasion, que la bibliothèque de Saint-Josse était la première bibliothèque de Belgique[2] même s’il se trouve que ce n’est peut-être pas certain, mais en tout cas, 1859, c’est quand même respectable et c’est beaucoup plus ancien que d’autres. À l’époque, comme toutes les bibliothèques, elle s’appelait bibliothèque populaire et il s’agissait bien d’une bibliothèque destinée à la population de Saint-Josse et non pas d’une bibliothèque spécialisée destinée à des chercheurs, des professeurs, etc. »[3]
L’appel de Bruno Liesen à se pencher sur l’histoire des bibliothèques locales, comme autant de maillons d’une histoire politique et socio-culturelle de nos sociétés, nous incite à passer à l’acte. Pourquoi ne pas remonter aux sources de cette vénérable bibliothèque et de ses pères fondateurs[4] ? Dominique Dognié est intéressé. Il m’installe dans son bureau et m’ouvre son fonds précieux. Son collègue Filippo Virgilio, qui fournit l’iconographie de cet article, est demandeur. Enseignant dans la formation de bibliothécaire à horaire décalé, cette monographie l’intéresse. N’est-ce pas le rôle de l’historien.ne, attaché.e à un centre d’histoire sociale développant des pratiques d’éducation permanente, de permettre à ceux et à celles qui agissent aujourd’hui dans les secteurs socio-culturels, dans ce cas-ci la lecture publique, de se réapproprier leur histoire et d’en tirer non seulement quelque fierté mais aussi d’inscrire leur action d’aujourd’hui dans la continuité de celle-ci ? Il y a là un cercle vertueux. Les bibliothécaires contemporains nous parlent de leurs missions d’aujourd’hui, l’historien.ne fait émerger quelques fragments du passé de la bibliothèque. L’article se divise en deux parties, la première évoque l’histoire de la fondation de la bibliothèque, la seconde est consacrée au témoignage de Dominique Dognié, comme acteur bibliothécaire depuis plus de 30 ans. L’une et l’autre s’articulent pour situer la bibliothèque populaire de Saint-Josse, dans le temps, à savoir 150 années de présence locale au service de l’accès aux livres et à la lecture.
Partie I : Fragments d’histoire (1858-1958)
Pour retracer l’histoire de la bibliothèque communale, les bulletins communaux de Saint-Josse-ten-Noode (BC), publiés à partir de 1858, sont une source précieuse. Ils rapportent les débats, les budgets alloués, les nominations et démissions des bibliothécaires et des bibliothécaires-adjoints. Nous avons procédé par sondage autour de périodes-clés : la fondation, le cinquantième anniversaire, la Guerre 1914-1918 et l’après-guerre avec le contexte de la loi Destrée, la Deuxième Guerre mondiale et l’anniversaire du centenaire de la bibliothèque. D’autres sources peuvent être exploitées : les catalogues, les archives communales, la presse locale, etc. Pour la période plus récente, les archives sauvées et conservées à la bibliothèque communale donnent des informations sur l’entre-deux-guerres et sur les années 1950. Faute de temps et d’inventaire, nous avons consulté les documents sélectionnés et présentés dans le grand hall de la bibliothèque, dans le cadre du centenaire de la Loi Destrée. Il s’agit donc de quelques « fragments » d’une histoire qui se révèle riche, complexe et qui offre de nouvelles perspectives de recherche.
1858-1859 : la bibliothèque populaire, une œuvre auxiliaire de l’école
La décision d’ouvrir une bibliothèque populaire est proposée au Conseil communal de Saint-Josse-ten-Noode le 17 septembre 1858. L’intérêt des édiles communaux n’est pas nouveau. En 1858, le pouvoir communal accorde au Conseil de salubrité publique, un budget conséquent de 500 francs pour lancer les bases d’une bibliothèque spécialisée dans les matières d’hygiène publique. À l’occasion de la réorganisation des écoles primaires[5] et de l’ouverture d’une nouvelle école primaire gratuite, rue du Chalet, la commission de l’instruction publique[6] propose que l’effort d’instruction populaire de la commune se complète d’une classe du soir pour adultes et d’une bibliothèque communale[7] :
« La bibliothèque communale, bien qu’elle sorte de la sphère de l’école et qu’elle puisse en être entièrement indépendante, serait cependant, dans notre pensée, le complément de l’instruction populaire. Elle aurait son local rue du Chalet et serait placée sous la direction de l’instituteur en chef. Elle serait à l’usage des instituteurs, des anciens élèves de nos écoles et des habitants de la commune. Une allocation de 300 francs est proposée pour acquérir des ouvrages en français et en néerlandais. Un subside annuel de 100 francs et les dons des habitants de la commune nous permettraient d’entretenir et de développer cette utile institution. »[8]
Le projet est toutefois suspendu en attendant de voir si la commune a les ressources pour faire face à ces nouvelles dépenses.[9] Le budget de 1859 prévoit 400 francs pour la mise en route de la bibliothèque tandis que les années suivantes, le subside de fonctionnement de 100 francs apparait dans les comptes.[10]
La proposition émane de la commission de l’Instruction publique. Les conseillers communaux Guillaume Tiberghien[11] et Eugène Van Bemmel[12] en sont membres. Professeurs à l’Université libre de Bruxelles, élus conseillers communaux de Saint-Josse, ils y défendent leur projet d’une instruction publique obligatoire et gratuite et soutiennent concrètement toutes les initiatives d’éducation populaire qui sont mises à l’ordre du jour du Conseil : cours pour adultes, école de dessin, académie de musique, cours de chants, soirées populaires initiées par la Baronne Van Crombrugghe[13] en 1864 avec la Ligue de l’enseignement et plus tard, l’Extension universitaire de l’ULB (1896) et l’Université populaire de Saint-Josse (1902)[14], etc. Une bibliothèque est un outil au service de l’éducation du peuple. Tant qu’il sera bourgmestre, Jacques Gillon[15] soutiendra cette initiative qui précède de plusieurs années la circulaire Vandenpeereboom (1862) qui encourage les communes à ouvrir des bibliothèques populaires.[16]
La bibliothèque est installée dans une salle de la nouvelle école de la rue du Chalet – qui deviendra ensuite l’école n°7, et aujourd’hui, l’école fondamentale communale Joseph Delclef –. Monsieur Jacobs, instituteur en chef est nommé bibliothécaire, une fonction qu’il exerce à titre gratuit.[17] Sa première mission est de proposer une liste d’ouvrages indispensables à acquérir et de rédiger le premier règlement présenté et adopté par le Collège, le 17 septembre 1858.
Le règlement concerne tant les méthodes de travail des bibliothécaires que les principes qui doivent guider l’usage des ouvrages par les lecteurs et lectrices. La première mission de la bibliothèque est le prêt de livres, ce qui suppose une traçabilité. Les ouvrages sont pourvus du cachet de la commune, ils sont inscrits dans un catalogue avec un numéro d’ordre, le nom de l’auteur, le titre de l’ouvrage, le format, l’édition, le nom du donataire et une colonne pour les observations. Chaque mouvement, les entrées comme les sorties, est consigné dans un registre qui reprend le numéro de catalogue, le titre de l’ouvrage prêté, le nom et l’adresse de l’emprunteur, la date de sortie de l’ouvrage, la date de rentrée et une colonne d’observations pour l’emprunteur et pour le bibliothécaire. Les ouvrages se prêtent pour 15 jours, prêt renouvelable une fois. L’article 9 précise que « quiconque rapportera un ouvrage taché ou déchiré sera tenu d’en remettre un nouvel exemplaire dans les 15 jours ».[18] Ces emprunteurs indélicats peuvent être exclus du prêt. Le Collège est informé de ceux et celles qui ne rentrent pas les ouvrages et peut sanctionner. Enfin au 1er septembre, le bibliothécaire est tenu de faire au Collège un rapport sur l’état de la bibliothèque, sur les ouvrages acquis ou reçus dans l’année. Désormais, la bibliothèque est en ordre de marche.
La bibliothèque ouvre ses portes
La bibliothèque ouvre ses portes le 1er mars 1859 et met à la disposition du public quelques 103 titres. Dominique Dognié évoque ce qu’était à l’époque le métier de bibliothécaire et cette pratique est restée longtemps de mise. Il souligne l’importance d’avoir un catalogue à jour !
« À l’époque, où il n’y avait pas encore l’accès direct aux livres. Il fallait chercher dans les fichiers et les répertoires et puis demander au bibliothécaire qui allait chercher les livres. Il se perchait sur des échelles. J’ai encore connu des personnes qui m’ont parlé de cette époque ».[19]
Le public qui la fréquente régulièrement est assez limité : « Jusqu’ici, les livres se prêtaient à domicile pour une période de 15 jours aux instituteurs, soit aux élèves sortis de nos écoles, soit aux habitants de la commune ».[20] Pour une population de Saint-Josse de 18 800 habitant.e.s, la commune a deux écoles primaires gratuites, la première située rue Nevraumont et la seconde, la nouvelle école communale primaire, rue du Chalet. Elles sont fréquentées en 1860 par 765 élèves, 408 garçons et 357 filles. Parmi ces enfants, près de 200 (115 garçons et 84 filles) appartiennent aux familles secourues par le bureau de bienfaisance, qui conditionne son aide aux familles à la fréquentation des enfants de l’école primaire. L’école d’adultes compte 230 élèves inscrits. Toujours en 1860, la commune élargit son offre avec l’ouverture d’une école payante de demoiselles et un jardin d’enfants pour les deux sexes, pour répondre aux demandes des employé.e.s, des bourgeois.e.s, des rentières et rentiers habitant la commune et qui peuvent prendre en charge les frais d’instructions de leurs enfants. Le budget des écoles primaires s’élève à 15 200 francs, celui de l’école d’adultes à 1 000 francs.[21] En 1862, le bourgmestre constate que la bibliothèque est fréquentée par les anciennes et anciens élèves des écoles primaires gratuites communales et celles et ceux qui suivent l’école d’adultes ; « ils sont heureux de trouver les moyens de poursuivre chez eux les études commencées à l’école, de fortifier les connaissances qu’ils ont acquises et d’en étendre le cercle ; la bibliothèque leur procure une distraction à la fois utile et agréable qui les éloigne des récréations abrutissantes et corruptrices ».[22] Pour attirer de nouveaux publics, d’autres moyens sont nécessaires : élargir l’offre de livres, avoir une salle de lecture éclairée et chauffée… Les idées ne manquent pas.
Un souci permanent : augmenter l’offre de livres
Le nombre de titres proposés au prêt augmente régulièrement : 130 en 1861, 335 en 186 et 600 en 1863. À chaque Conseil communal, le bourgmestre rend compte des donations et propose d’envoyer une lettre de remerciement. En août 1861, le bourgmestre adresse une requête au ministre de l’Intérieur, Charles Rogier, dans laquelle il demande de bénéficier des ouvrages conservés dans les réserves de son ministère.[23] Ce dernier salue l’initiative : « une institution de ce genre ne peut manquer de produire les meilleurs résultats aussi, je félicite le Conseil de la décision qu’il a prix (sic) et je me fais un plaisir de contribuer au succès et au développement de la Bibliothèque dont il s’agit en mettant à votre disposition un certain nombre de documents et d’ouvrages… ».[24] Désormais, chaque mois, le ministère fait parvenir des revues, des ouvrages d’intérêt général et technique. En 1862, la donation du Gouvernement s’élève à 92 titres dont plusieurs périodiques.
Parmi les donateurs privés, il y a lieu de mentionner le bourgmestre, Jacques Gillon et les conseillers communaux, Guillaume Tiberghien et Eugène Van Bemmel. Le premier fait un don de plus de 80 ouvrages en 1862 et le second, une donation de 62 titres en 1863. Des habitant.e.s, des anciens élus communaux, des littérateurs ou publicistes déposent leurs œuvres ou les collections qu’ils possèdent. Parmi les donateurs, Joseph Dauby[25] mérite une mention particulière. Cet ouvrier typographe, chef d’atelier à l’imprimerie Lesigne à Saint-Josse[26], propose, en juillet 1859, de donner gratuitement à l’école du soir d’adultes, un cours sur la condition économique des classes ouvrières, ce que le Conseil accepte avec empressement. En mars 1860, il dépose un exemplaire de son cours Économie populaire, qu’il a édité sous forme de syllabus. En 1863, il fait don d’un exemplaire de son ouvrage De l’organisation des sociétés de secours en Belgique, ainsi que de ses autres publications.[27] Par la suite, il fait partie des donateurs réguliers. Pendant tout le 19e siècle, les donations sont une source régulière d’approvisionnement de la bibliothèque, avec comme conséquence, un certain éclectisme dans les collections (voir le point sur le catalogue).
Une nouvelle expansion
Après quatre années de fonctionnement, lors du Conseil communal du 12 septembre 1862, Guillaume Tiberghien présente au nom de la commission de l’Instruction publique, un projet d’ouverture d’une salle de lecture.[28] L’avis de la section est positif. Le succès rencontré par la salle de lecture de la bibliothèque populaire communale à Liège[29] sert de référence :
« La classe ouvrière de notre commune n’est pas moins instruite ni moins prévoyante que celle des grandes cités du pays, comme le prouvent la fréquentation de notre école d’adultes et les nombreuses sociétés de musique et d’assistance que nous avons prises sous notre patronage. Il y a donc lieu d’espérer qu’elle participera plus largement aux bienfaits de la bibliothèque communale si l’on donne à cette institution une publicité plus étendue et si l’on offre aux habitants peu aisés de la commune un local où ils puissent consulter les livres en rapport avec leurs goûts ou leurs professions. Une salle de lecture éclairée et chauffée dans les soirées d’hiver vaut mieux pour l’étude que la chambre commune où sont entassés tous les membres de la plupart des familles peu favorisées de la fortune. Les ouvriers qui vont chercher des distractions au dehors trouveront un emploi plus utile de leurs loisirs dans la salle de la bibliothèque et n’y seront pas exposés à perdre à la fois leurs économies et leur santé ».[30]
Le Conseil doit également se prononcer sur un crédit extraordinaire de 300 francs pour les aménagements nécessaires et pour l’impression d’un catalogue. Il propose de revoir le statut du bibliothécaire, de sortir du bénévolat et de la gratuité et de fixer une indemnité de fonction. Le budget de la bibliothèque passe de 100 à 500 francs par an : 150 francs pour le bibliothécaire, 100 francs pour le bibliothécaire-adjoint, 50 francs pour le concierge et 200 francs pour l’achat de livres et cartes. Ces propositions ne soulèvent que peu de commentaires, si ce n’est la question budgétaire. Van Bemmel insiste : si la commune a été la première à instituer une bibliothèque populaire communale, la plupart des communes de Belgique s’engagent dans cette voie et affectent un budget de 500 francs à leur bibliothèque « c’est-à-dire exactement ce que l’on nous demande aujourd’hui ».[31] La proposition mise aux votes est acceptée dans son principe tandis que le volet financier est reporté à l’examen du budget.
Le catalogue, un outil de promotion de la bibliothèque
Le premier catalogue sort en 1863, après validation par la commission de l’Instruction publique. C’est un petit fascicule de 52 pages publié par l’imprimeur Lesigne, situé au numéro 2 de la rue de la Charité à Saint-Josse.[32] Il reprend les quelque 592 titres, regroupés en 10 thématiques : Philosophie & éducation morale, Hygiène, Législation-économie politique-bienfaisance-statistique, Linguistique et histoire littéraire, Lettres et beaux-arts, Histoire et géographie, Sciences physiques et mathématiques, Sciences naturelles, Sciences agricole-industrielle-commerciale, Agriculture-horticulture et économie ménagère, Industrie et commerce, Mélanges-critiques-journaux. Les ouvrages francophones sont majoritaires. Certains conseillers, comme l’avocat Lucien Jottrand[33], sont très attentifs à l’acquisition d’ouvrages d’auteurs flamands, langue parlée par la grande majorité de la classe ouvrière : 25 % des titres sont en néerlandais, particulièrement dans les sections des œuvres littéraires, les ouvrages sur la linguistique et les ouvrages techniques. La bibliothèque est abonnée au Journal de l’ouvrier et à Het zondagsblad, ainsi qu’à une revue, De toekomst. Maandschrift voor onderwijzers, sans doute un dépôt du bibliothécaire, qui est néerlandophone.[34] Il est également un donateur régulier.
Quelle offre de lecture est proposée aux lecteurs et lectrices ?
Les trois sections qui, ensemble, constituent la plus grande partie des écrits conservés par la bibliothèque sont les Lettres et Beaux-Arts (25,17%), Histoire et géographie (17,90%) et Sciences agricoles, industrielles et commerciales (14,02%). Les sections Philosophie et morale, Législation-économie politique-bienfaisance-statistique, Linguistique-histoire littéraire et Mélanges-critiques-journaux représentent chacune entre 5% et 10%. Les sections hygiène, sciences physiques et mathématique et sciences naturelles occupent les 9% restants.
L’approche par grandes disciplines, montre que les sciences humaines sont, ensemble, prédominantes. Elles représentent 51% du total (philosophie et morale, lettres et Beaux-Arts, linguistique et histoire littéraire, mélanges-critiques-journaux), et cela sans même intégrer l’histoire et la géographie (18%). Les sciences techniques et naturelles, quant à elles, sont minoritaires, soit à peine 21% des publications.
Un quart des 592 publications sont des écrits en langue flamande (149). 58% des 149 publications en flamand concernent les sciences humaines, avec, encore une fois, une part importante d’ouvrages dans la catégorie Lettres et Beaux-arts (30%). Les publications classées en Linguistique et histoire littéraire sont également nombreuses (19%) et représentent même plus de la moitié des 50 publications françaises et flamandes qui composent la section. L’histoire et la géographie constituent 14% des publications ; les sections relatives aux sciences techniques et naturelles concernent un quart des publications flamandes.
En prenant un peu de hauteur, deux éléments émergent de cette analyse statistique :
– Les publics de la bibliothèque populaire de Saint-Josse ont principalement accès à des publications relatives aux sciences humaines, parmi lesquelles les lettres et les beaux-arts occupent une part substantielle (25%). La bibliothèque participe donc à une conception d’éducation populaire à portée généraliste, qui participe à la démocratisation de la culture. La priorité ne semble pas être l’acquisition de connaissances techniques utiles uniquement à l’économie, au travail.
– Les publications rédigées en flamand sont minoritaires et axées principalement sur la littérature ou l’histoire. Il y a là une attention envers les classes populaires qui, en 1860, à Saint-Josse, parlent essentiellement le flamand, alors que la fréquentation « naturelle » de la bibliothèque, serait plutôt la bourgeoisie, les fonctionnaires, les employé.e.s, ceux et celles qui ont du temps et les moyens de se former et de s’informer. La bibliothèque s’enrichit aussi essentiellement par des donations, les titres déposés sont aussi le reflet des préférences culturelles des donateurs et donatrices.
Le règlement de la bibliothèque, révisé, est publié dans les premières pages du catalogue. La salle de lecture est accessible le dimanche matin de 9 à 12 heures et le lundi de 18 à 21 heures. Il est interdit de fumer, de causer ou de faire du bruit dans la salle de lecture. Il est interdit de calquer les gravures et les cartes, d’apposer sur les livres des marques, notes, réflexions ou de plier les pages.[35] Pour le reste, le règlement reprend les mesures adoptées précédemment.
Ce catalogue est un véritable outil de promotion de la bibliothèque. Il est distribué aux élèves qui sortent des écoles communales, aux adultes qui suivent les cours du soir, aux notables et aux chefs d’entreprise, à charge de ces derniers de les distribuer à leurs employé.e.s, fonctionnaires, ouvriers et ouvrières pour les inviter à fréquenter la bibliothèque. Une circulaire accompagne cette distribution :
« En vous envoyant un exemplaire de ce catalogue, nous éprouvons la satisfaction de pouvoir annoncer que la salle de lecture a été ouverte, sous les auspices les plus favorables, au local de l’école communale, rue du Chalet, n°1 et nous saisissons cette occasion pour venir vous exprimer l’espoir de vous voir coopérer à notre œuvre moralisatrice par des dons en livres ou en argent. Nous vous engageons tout particulièrement, M.[onsieur], de recommander la fréquentation de la bibliothèque, en vue de propager une institution digne de la bienveillante sympathie de tous les hommes qui s’intéressent au développement de l’instruction et qui désirent en étendre les bienfaits à toutes les classes de la société… »[36]
L’opération est un succès. Les donations affluent, ce qui double le nombre de volumes en prêt (828 ouvrages en tous genres). L’ouverture de la salle de lecture, le 13 avril 1863, a également un effet positif sur la fréquentation de la bibliothèque. 1 512 volumes sont prêtés pour la lecture à domicile en l’espace de quatre mois : « Ce chiffre à une époque de l’année où le travail laisse peu de loisirs, en dit plus que les phrases les plus belles, que les considérations les plus brillantes et répond victorieusement à ceux, en petit nombre, il est vrai, qui contestent encore l’utilité de cette institution populaire ».[37] Ce succès pose néanmoins quelques problèmes. Le 29 juin 1863, le bibliothécaire demande au Collège un budget de 50 francs pour protéger les ouvrages : « Depuis l’ouverture de la salle de lecture, la bibliothèque populaire est fréquentée beaucoup plus qu’auparavant : il y a continuellement cent à cent cinquante volumes entre les mains, pour la lecture à domicile. Vous comprendrez que les livres brochés ne peuvent résister longtemps à une circulation non interrompue ».[38] Le Collège lui alloue le montant demandé.[39]
Dans le rapport annuel sur la situation administrative de la commune, la bibliothèque est une petite rubrique dans le chapitre de l’Instruction publique. Il est fait mention du nombre de livres disponibles, de la fréquentation et de l’importance de tenir à jour le catalogue. En 1864-1865, le bibliothécaire signale 4 216 prêts. Le catalogue est réimprimé. En 1867-1868, les prêts s’élèvent à 5 786 titres. Pour une fois, l’information s’accompagne d’un commentaire.
« Ce chiffre est éloquent ; il fournit la preuve de l’immense utilité de l’institution des bibliothèques populaires. Cependant nous ne pouvons nous empêcher d’ajouter que, là où l’ouvrier prend goût à la lecture, la bibliothèque contribue puissamment à apporter le bonheur et le bien-être au sein des familles. Il est à notre connaissance que des pères de famille qui avaient l’habitude de dépenser au cabaret leur argent et leur santé, sont parvenus à vaincre leur ruineux penchant, grâce aux distractions moralisatrices que leur offre la bibliothèque populaire ; aujourd’hui, ils trouvent leur grand plaisir à passer les longues soirées en faisant des lectures en commun au milieu de la famille. Quoique ce ne soit là que des faits isolés, ils nous permettent d’espérer que d’autres profiteront de l’exemple et qu’ils parviendront à se généraliser peu à peu. La commune pourra se glorifier d’un pareil succès »[40].
La bibliothèque n’est plus seulement un complément utile à l’instruction mais également une œuvre morale !
En 1868, les travaux d’agrandissement de l’école communale de la rue du Chalet, entraînent la fermeture de la bibliothèque du 1er août 1868 au 24 octobre 1869. Le Collège, pour relancer l’activité, décide de réimprimer son catalogue : « les nombreux lecteurs qui la fréquentaient autrefois sont revenus au bout de fort peu de temps (…). Le goût de la lecture se répand de plus en plus et la bibliothèque est de mieux en mieux fréquentée. Aussi, l’administration communale pour faciliter au public le choix des ouvrages, a décidé de faire réimprimer le catalogue et de le distribuer aux lecteurs »[41]. Située à l’entresol de l’école, la bibliothèque dispose désormais d’une salle spacieuse ce qui est un plus.[42]
En 1876, la construction d’une nouvelle école, rue Saint-François s’achève. Le Conseil adopte un budget pour l’équipement des salles de classes, mais également pour le mobilier pour la bibliothèque populaire communale, en vue de son installation dans ces nouveaux locaux avec la salle de lecture attenante.[43]
1908 La bibliothèque a 50 ans
Inaugurée quasi en même temps que l’école de la rue du Chalet, la bibliothèque ne bénéficie pas des festivités organisées pour le cinquantième anniversaire de l’école primaire communale. Il est vrai que l’enjeu est autre : affirmer, politiquement, l’urgence d’adopter la loi sur l’instruction primaire obligatoire et gratuite pour tous les enfants. Au Conseil communal du 24 juin 1908, le conseiller Goens rappelle cet anniversaire et propose à cette occasion de publier un nouveau catalogue, la dernière édition remontant à 1894 :
« Messieurs, le 7 septembre, il y aura 50 ans que le Conseil communal de Saint-Josse-ten-Noode décréta la création d’une bibliothèque dans la commune (…). Depuis lors cette œuvre n’a fait que prospérer tant au point de vue du nombre des lecteurs qu’au point de vue du nombre de livres acquis par la bibliothèque. Cette longue période mérite, messieurs, d’être commémorée d’une façon quelconque…. Je proposerai de renouveler le catalogue de la bibliothèque. Le catalogue existant ne correspond plus à l’état de la bibliothèque. En effet de nombreux livres n’y figurent pas comme il en est aussi un certain nombre de disparus parmi ceux qui y sont renseignés[44] ».
Sa proposition est acceptée, mais désormais chaque année un supplément annuel sera édité « de façon à le tenir à jour facilement et sans grand frais ». Le budget de 1900 prévoit 300 francs de crédit extraordinaire et 25 francs au budget ordinaire pour l’édition de supplément annuel.[45] Le budget de la bibliothèque s’élève désormais à 2 000 francs et 25 francs pour le complément au catalogue.
En sa séance du 19 juin 1912, le Conseil communal installe une commission de réorganisation de la bibliothèque populaire communale. Sa mission est de revoir le classement des ouvrages, établir un nouveau catalogue et simplifier si possible le système « dans l’intérêt des lecteurs, la simplification des recherches et des progrès des idées modernes en matière de bibliothéconomie[46] ». En sont membres, les conseillers communaux Goens et Vander Brugghen, bibliothécaire en chef, Stroeykens, Charles Pergameni, archiviste à la Ville de Bruxelles [47], Monsieur Chalet, directeur de l’école moyenne de Saint-Josse-ten-Noode, Monsieur Broodcoorens, attaché à l’administration communale et les demoiselles Closset, femme de lettres[48], et Rémy, régente à l’école moyenne de Saint-Josse-ten Noode. La commission est présidée par l’échevin de l’Instruction publique, Monsieur Poplimont. Le 9 octobre 1913, après plus d’un an de réunion et de travail, la commission rend compte de ses travaux. Sa mission s’achève avec la présentation d’un rapport circonstancié sur une nouvelle proposition de classement de la bibliothèque, la création de nouvelles fiches et un plan de classement synthétique des matières par ordre alphabétique.[49]
Ce travail met en évidence l’intérêt de recourir dans ce domaine à des personnes éclairées. Le président propose de mettre en place une commission consultative permanente de la bibliothèque populaire et soumet à l’approbation du Conseil un règlement organique et un budget de 200 francs pour son fonctionnement : « Il est composé de 5 membres au moins, nommés par le Conseil communal parmi les personnes qui s’occupent spécialement des bibliographies de littérature, de sciences, d’histoire, de géographie ou de sociologie, et sont en mesure de fournir d’après leurs études personnelles, des indications utiles au sujet d’ouvrages qu’il convient d’acquérir pour enrichir la bibliothèque communale.[50]»
Le mandat est de trois ans, renouvelable par moitié. La Première Guerre mondiale perturbe quelque peu cet ordonnancement. Aussi, en 1923, sont maintenus dans leur mandat, E. Stroeykens (bibliothécaire et secrétaire de la commission), Charles Pergameni (archiviste de la Ville de Bruxelles), Monsieur Chalet (directeur) et Mademoiselle Rémy (régente). Les nouveaux membres sont Mesdemoiselles Lambrichs et Levie (conseillères nouvellement élues) ainsi que Messieurs Gaspar et De Vuyst.[51] Certains sont encore membres en 1947, mais beaucoup sont démissionnaires ou décédés.[52] La commission est mixte, hommes et femmes, mais aussi composée d’expert.e.s et d’élu.e.s (après 1921). Qui sont-ils ? Chacun.e mériterait une recherche spécifique.
La bibliothèque pendant l’occupation
La Première Guerre mondiale ne semble pas avoir freiné la fréquentation de la bibliothèque à en croire le rapport du bourgmestre au Conseil du 12 novembre 1919.
« Pendant l’occupation, le nombre de lecteurs à la bibliothèque populaire, rue Saint-François, (nouvelle école des Tournesols) n’a cessé de progresser. Le tableau des lecteurs en témoigne 1914 -1915 : 916 lecteurs La moyenne par an est de 1 147 lecteurs alors qu’elle n’est que de 350 en temps normal. Les prêts ont augmenté dans les mêmes proportions. En conséquence, un grand nombre de volumes sont hors d’usage. La Commission de la bibliothèque, dans sa séance du 2 octobre 1919, approuve la liste des livres à renouveler ».[53] Elle demande l’adoption d’un crédit extraordinaire de 6 000 francs, à imputer, sur proposition du bourgmestre, sur l’article 54 du budget extraordinaire de 1919 (crédit de guerre). |
Le contexte social et politique invite à redéfinir les priorités communales en matière de politique socio-culturelle. Georges Pètre[54], échevin de l’Instruction publique qui a la tutelle sur la bibliothèque, propose en séance du 3 septembre 1920, un vaste programme pour l’occupation des loisirs de la classe laborieuse.
« Le Collège » dit-il, « s’est déjà préoccupé de la nécessité de créer des services nouveaux pour faire face à un besoin nouveau, né des modifications dans l’organisation du travail. La réduction de la journée de travail laisse à l’ouvrier des loisirs. Il faut l’aider à les employer utilement. (…) Nous avons une bibliothèque populaire très fournie et bien composée, mais elle ne s’occupe que du prêt des livres au dehors et il y a des personnes qui ne trouvent pas chez elles les conditions nécessaires pour faire, à l’aise, de bonnes lectures. Nous pourrions organiser à leur intention, une salle de lecture dans le local contigu à la bibliothèque populaire, rue Saint-François. Ce local est suffisant pour recevoir trente lecteurs. (…) Dans ma pensée la salle de lecture devrait être ouverte tous les jours de 17 à 21 ou 22 heures. On y trouverait outre les livres de la bibliothèque, les revues, périodiques et illustrés les plus intéressants pour la classe ouvrière. Un fonctionnaire spécial serait chargé du service. Il devrait être choisi de manière qu’il puisse guider dans le choix de leurs lectures, ceux qui voudraient avoir recours à lui. Si nous trouvons un homme comprenant bien sa mission et faisant de ses fonctions un apostolat, la salle de lecture populaire peut jouer un rôle social considérable en contribuant au développement intellectuel de la classe laborieuse, et je vise ici les travailleurs intellectuels au même titre que les ouvriers ».[55]
Suivent les considérations financières induites par ce projet, le chauffage, l’éclairage, les abonnements et le traitement du fonctionnaire. Il ne s’agit plus d’un emploi accessoire confié à un instituteur mais d’un emploi principal[56], qui occuperait le temps de travail de celui qui en aurait la charge.
En 1921, le Conseil fixe le traitement du bibliothécaire en charge de la tenue de la salle de lecture pour adultes[57] et décide, vu aussi « le projet d’extension des activités liées à l’occupation des loisirs de la classe ouvrière »[58], la réimpression du catalogue, la dernière édition, datant de 1913 étant obsolète. Les modalités de sélection du futur bibliothécaire changent. La mission est confiée à un jury qui fait les propositions.[59] C’est un premier signe de l’influence de la Loi Destrée : la procédure de sélection du bibliothécaire. Le 4 octobre 1922, la perle rare est trouvée en la personne de Robert Boxus. Il est nommé à titre d’essai, pour un an, bibliothécaire de la salle de lecture, rue Saint-François et à titre définitif, le 6 février 1924. La bibliothèque est reconnue et subventionnée en 1922-1923.[60]
Cette reconnaissance permet de revoir l’indemnisation des bibliothécaires. C’est une première étape vers la reconnaissance d’un statut, même si les réticences restent fortes. En 1921, les bibliothécaires-adjoints revendiquent une augmentation de leur indemnité, en fonction de celle admise pour les instituteurs. Dans un premier temps, le Collège refuse d’assimiler la fonction de bibliothécaire à celle d’enseignant : « leur service est purement mécanique et n’exige pas les connaissances requises d’un instituteur ».[61] La demande est examinée au Conseil communal du 5 avril 1922 qui adopte la proposition de la conseillère communale MademoiselleLambrichs, d’accorder 200 francs l’heure semaine. Elle est soutenue dans sa motion par Leenders : « Même s’il n’y a pas de préparation, il faut convenir que le bibliothécaire-adjoint doit se tenir au courant à moins que vous ne le considériez que comme une machine et alors, autant prendre un commissionnaire à la gare du Nord ! ».[62] Le budget sera adapté et le bourgmestre en clôturant la question, précise : « ce vote nous montre l’heureuse influence des conseillères (nouveaux rires) ».[63]
En mai 1923, le départ à la retraite de Monsieur Ed. Stroeykens, bibliothécaire en chef depuis 22 ans, est l’occasion de revoir son organisation. La commission consultative, relayée par le Collège, propose de mettre la bibliothèque et la salle de lecture pour adultes sous la même direction et d’ouvrir le jeudi après-midi, une troisième plage réservée aux enfants et aux membres du personnel enseignant. La salle de lecture serait également ouverte à partir de 3 heures.[64] Le service « enfant » placé finalement le samedi après-midi, rencontre un succès immédiat. Cette décision s’inscrit dans la foulée de la mise en œuvre de la loi du 21 mai 1914, instituant l’obligation scolaire pour les enfants jusqu’à 14 ans.
« Le service de prêts de livres aux enfants institué à la bibliothèque populaire en vertu de la décision du Conseil communal du 3 octobre 1923, fonctionne depuis le mois de novembre 1923. La moyenne des prêts est de 107 livres à raison de deux livres par enfant. Le service est assuré par le bibliothécaire en chef, deux adjoints et le bibliothécaire de la salle de lecture qui, étant donnée l’affluence des jeunes lecteurs, se consacre à cette mission en dehors de ses heures de prestation soit de 16h30 à 17 heures ».[65]
Vu le succès et le nombre important d’enfants qu’il n’est pas possible de servir, il est demandé d’ouvrir une deuxième séance pour enfants le vendredi, et de prévoir des jetons de présence en conséquence soit un budget de 2 000 francs[66], ce qui est accepté.
La professionnalisation du métier !
Après la Seconde Guerre mondiale, il n’y a plus guère de discussion sur les fondements mêmes de la bibliothèque populaire communale. Les points discutés en Conseil sont uniquement ceux qui ont un impact budgétaire. Quand l’arrêté-loi du 10 janvier 1947 révise le statut pécunier du personnel communal, par ricochet, le barème et le statut du personnel de la bibliothèque sont adaptés aux nouvelles normes.
En 1956, le Collège revient à nouveau devant le Conseil. La rémunération des instituteurs ayant été augmentée, les bibliothécaires, dont le barème n’a plus changé depuis le 1er janvier 1946, doivent pouvoir bénéficier d’une valorisation proportionnelle, puisque leur base salariale de référence est le traitement communal de l’instituteur.[67] Ils sont désormais quatre à assurer le service de la bibliothèque populaire communale : A. Lamine, bibliothécaire en chef et trois adjoints, J. Declève, J. Smeekens et Guillaume Cludts.[68]
La vieille bibliothèque de la rue Saint-François ne répondant plus aux nouveaux critères de reconnaissance (ouverture aux publics, accès direct aux ouvrages) doit fermer ses portes. La bibliothèque déménage dans un pavillon situé au numéro 29 de la rue Scailquin. Désormais, elle ouvre cinq plages au public, soit 10 heures.[69] Dominique Dognié a encore eu la possibilité de visiter les anciens locaux et témoigne :
« La bibliothèque de la rue Saint-François était vraiment une bibliothèque à la DICKENS avec des galeries, des hauts rayonnages où il fallait vraiment se percher sur des échelles pour aller chercher les livres. Les lecteurs n’avaient pas accès aux livres et devaient passer par une commande ou une réservation du livre. Il ne reste que des rayonnages. J’en ai fait des photos lors de la restauration de la salle. »[70]
Les bibliothécaires, dont la plupart sont entré.e.s en fonction fin des années 1950-début 1960, sont Guillaume Cludts, bibliothécaire en chef et professeur de dessin et ses adjoints, Joseph Pycke (agent communal), Jean-Claude Degransart (sans indication de fonction), Francine Rémy (bibliothécaire), Georges Stiers (bibliothécaire), Marcel Violon (instituteur), Daniel Coteur (rédacteur communal). Ils se partagent les tâches de prêt, de surveillance de la salle de lecture et le service jeunesse. Tous sont au moins titulaires d’un certificat d’aptitude. Trois ont un graduat. Le fonctionnement de la bibliothèque populaire semble immuable. Il reste centré sur le prêt. Francine Delépine et Dominique Dognié arrivent en 1989 et cela bouge.
PARTIE II Dominique Dognié raconte sa bibliothèque
Nouvelles missions et nouveau métier[71]
« Quand je suis arrivé en 1989, il y avait encore des bibliothécaires-enseignants. J’ai eu un directeur d’école de Saint-Josse, un enseignant qui est devenu directeur ensuite d’une école à Schaerbeek, Francine Rémy, bibliothécaire à l’INSAS et Georges Stiers qui était bibliothécaire à l’école de vétérinaire. Ces personnes venaient comme bibliothécaires à Saint-Josse, en activité complémentaire. Elles n’habitaient pas la commune et n’y travaillaient en général pas non plus. À l’époque, la bibliothèque n’était ouverte que 12 heures par semaine dont 4 heures le week-end, le lundi et le vendredi.
Les deux bibliothécaires, Madame Rémy et Monsieur Stiers n’étaient pas très bavards. C’étaient des bibliothécaires à l’ancienne. Ils n’avaient pas du tout les mêmes rapports avec leur ancien chef qui avait quasiment le même statut qu’eux. Celui-ci était payé 12 heures et il en travaillait au moins 20. Il s’investissait vraiment beaucoup et avait un ancrage dans la commune en tant que professeur de dessin à l’Académie. Il faut attendre mon arrivée ainsi que celle de Francine Delépine[72], pour avoir les premiers bibliothécaires à temps plein. Eux n’étaient là que 4 heures [par] semaine donc les décisions, c’était nous qui les prenions. Ils nous voyaient débarquer et nous prenaient un peu pour des clowns. Nous amenions le changement, les nouvelles missions des bibliothèques.
Au départ, je n’étais pas bibliothécaire. J’ai une formation de traducteur interprète anglais-allemand. Je suis arrivé ici vraiment par hasard. J’avais fait la connaissance de Francine Delépine quand elle tenait le journal local KIOSK. Quand il a été supprimé, ce journal est devenu une association qui proposait des activités aux classes. Je l’ai suivie. L’ancien bibliothécaire en chef étant en fin de carrière, le Collège lui a alors proposé de devenir responsable de la bibliothèque. Comme tout se professionnalisait, nous sommes allés suivre les cours pour obtenir un certificat d’aptitude à exercer la fonction de bibliothécaire, mais entretemps, F. Delépine est devenue conservatrice du musée communal, l’Hôtel Guillaume Charlier et moi, je suis resté comme bibliothécaire responsable.
Dans les années 1980, un grand nombre de bibliothèques – et c’était notre cas – devaient se régulariser. La Communauté française (CF) a organisé des cours. C’était une formation accélérée. Cela a permis à des personnes qui n’étaient pas en ordre de qualification, de pouvoir excercer le métier et aux institutions de se mettre en ordre avec la réglementation. Le décret de la Communauté française de Belgique[73] de 1978 imposait le libre accès aux livres. La carrière de bibliothécaire s’est professionnalisée. On ne pouvait plus mettre n’importe qui sous peine de ne pas être reconnu par la CF et je trouve que c’était une bonne chose. Comme les missions des bibliothèques se diversifiaient, il fallait pouvoir compter sur des personnes avec des compétences pour faire bouger l’organisation.
Les pérégrinations de la bibliothèque
En 1976, la bibliothèque déménage dans un pavillon, à l’angle de la rue de l’Alliance et de la rue Scailquin. Pour la première fois, les rayonnages sont accessibles aux lecteurs et les livres sont en libre accès. Arrivé en 1989, j’y suis resté jusqu’en 2004. Ensuite, nous avons emménagé dans les locaux actuels[74]. Situés à l’arrière du bâtiment, on a le calme et un jardin. C’est vraiment un cadre idéal. Les anciennes bibliothèques permettaient de ranger beaucoup de livres. On pouvait aussi les stocker dans des locaux moins éclairés puisqu’on allait les chercher à l’arrière. Aujourd’hui, il faut des locaux beaucoup plus grands, plus lumineux. Tout est à disposition. Il faut une signalétique. Bref, ce n’est plus destiné aux professionnel.le.s du livre mais au public. C’est à nous de faire en sorte qu’il y ait une lisibilité et une facilité d’accès aux livres. Il a fallu repenser toute l’organisation, les horaires, avoir plus d’heures d’ouverture aux publics. Les anciens bibliothécaires ont continué à venir au rythme de 4 heures par semaine, mais la bibliothèque a très rapidement ouvert 20 heures puis 22 heures et maintenant on en est à 28 heures.
Le décret mission des bibliothèques de 1995 a également changé le mode d’organisation des bibliothèques en introduisant les partenariats, en favorisant l’inclusion de la bibliothèque dans le réseau associatif, etc. Nous avons créé, par exemple le « biblisitting ». Une puéricultrice était présente en semaine pour accueillir les petits enfants pendant que les mamans cherchaient des livres. Ces expériences ne se sont pas prolongées, mais pour des bibliothécaires qui travaillaient à l’ancienne, c’était impensable.
À l’époque, la section jeunesse ne représentait quasiment rien. S’il y avait trente bandes dessinées, c’est beaucoup. L’enfant pauvre de la bibliothèque, c’était sa section jeunesse, tout allait pour les adultes alors que Saint-Josse a la particularité d’être la commune avec la population la plus jeune de Belgique. Aujourd’hui, nous avons plus de lecteurs et lectrices de moins de 18 ans que d’adultes. Il a fallu étoffer nos collections et organiser une salle de lecture adaptée aux enfants. On est parti de vraiment loin !
Nous conservons également un fonds ancien et précieux, mais sinon, tout est en accès libre. En magasin, nous avons des livres repris au catalogue qui peuvent être empruntés, mais ils sont évidemment plus anciens.
Une bibliothèque, une petite ruche bourdonnante
Pour nous, en période normale de notre bibliothèque, les expositions se succèdent, les visites de classes et des groupes, les bibliothécaires qui se rendent dans les écoles ou dans les associations, tout cela fait partie de notre quotidien. En fait, notre bibliothèque est en chamboulement constant. Nous sommes toujours à la recherche de plus d’espace. Aujourd’hui, nous réaménageons dans les réserves un espace pour faire les animations avec les enfants, pour les ateliers d’écriture et des formations à destination des associations, etc.
Dans le nouveau décret mission, les partenariats sont essentiels. Nous en avons avec les écoles, avec les associations comme La Ruelle (centre d’expression et de créativité), La Barricade (espace intergénérationnel), Paroles, Calame (école de devoirs), SIMA (centre d’insertion socio-professionnelle) (…). On est situé à côté du Centre Amazone (centre de congrès et d’associations féministes), de l’Université des Femmes et de la bibliothèque Léonie La Fontaine.
Dans notre bibliothèque, nous avons créé le fonds « Bibliothèque en tous genres » (BTGE). On a commencé avec 150 livres autour du thème de la lutte contre les discriminations de genre. C’est notre cheval de bataille. Aujourd’hui, ce fonds possède 1 500 livres sur une collection de 36 000 volumes. C’est vraiment très important. Il se répartit en section adulte et en section jeunesse.
Dans notre sélection des livres de contes pour enfants, on donne la priorité aux bonnes pratiques. Il ne s’agit pas de dire : faites ceci, ne faites pas cela, mais ce sont des histoires où des héroïnes, des jeunes filles et des femmes n’ont pas le rôle passif qu’elles ont dans les contes traditionnels. Au lieu de pleurer en haut de leur tour pendant que le prince va se battre contre le dragon, elles vont s’occuper du dragon et le prince va cueillir des fleurs pendant ce temps-là, il ne pensera pas à faire la guerre et ça fera des congés à tout le monde. C’est l’idée. En section jeunesse, les ouvrages sont disséminés, avec simplement un point blanc discret au dos du livre, ce qui nous permet de le repérer et de le mettre en avant. Pourquoi ? Parce qu’à Saint Josse, on a une population qui a des difficultés avec la langue française. Ce sont les parents qui décident si les enfants viennent à la bibliothèque ou pas (…). Il faut à la fois, faire en sorte que les ouvrages non sexistes existent, mais que la bibliothèque ne soit pas rejetée en bloc à cause de cela. La communication est importante et basée sur la prudence pour être la plus inclusive possible.
Un projet en continuelle évolution
Les missions de la bibliothèque sont très larges. Nous organisons des expositions qui se suivent sans interruption. Ce sont des artistes de Saint-Josse comme ceux de la Cité Mommen, des peintres, des photographes, des sculpteurs. Nous proposons aussi des expositions thématiques comme celle de SIMA, présentée lors de la semaine communale consacrée aux genres. Tous les 14 février, nous proposons une contre Saint-Valentin, en partenariat, en général, avec l’Université des Femmes. C’est un cycle de conférences où nous essayons d’intéresser les élèves du Lycée communal pour les sensibiliser à l’égalité entre les hommes et les femmes. On travaille aussi avec des groupes d’alphabétisation. Cela suppose des recherches pour sélectionner des ouvrages accessibles et ce n’est pas évident pour les adultes, il faut trouver un type de roman qui soit une histoire pour adulte et non un livre de la section jeunesse même si ces derniers sont de qualité. Nous ne pouvons pas être infantilisants. Depuis, nous avons un fonds de romans simplifiés par catégories 1, 2 et 3, en fonction des degrés de difficultés ainsi que des grammaires adaptées aux personnes en apprentissage de la langue française. Nous avons aussi organisé « Lire à deux » : une activité vraiment intergénérationnelle. Une pensionnée et une personne d’un groupe alpha lisent ensemble un livre, l’idée est de faire un échange. Cela marche excessivement bien. Ces personnes qui n’ont normalement aucune chance de se rencontrer, se parlent et apprennent à se connaître.
Un maillon du réseau de la lecture publique
La bibliothèque fait partie du réseau de la lecture publique, plus particulièrement du réseau des bibliothèques de Bruxelles-Capitale. Il y a trois sources de financement. Nous avons un budget communal pour le fonctionnement (par exemple : achat de livres et leur équipement, achat de matériel informatique et du mobilier). En plus de ça, étant donné notre reconnaissance dans le cadre de la lecture publique, nous recevons aussi de la Communauté française des subventions-traitements et des subventions de fonctionnement. La COCOF également intervient financièrement avec des subsides pour l’achat de livres et de frais de fonctionnement.
Notre bibliothèque, reconnue depuis le Décret 1978, a obtenu récemment la reconnaissance en catégorie supérieure (Catégorie 2) dans le cadre du nouveau Décret 2009.[75]
Le public
Notre public est le reflet de la population de Saint-Josse : presque la moitié de nos lecteurs et lectrices a moins de 18 ans. Nous mettons en place des activités pour les tout-petits et pour les enfants (contes et ateliers créatifs), nous mettons à disposition des livres pour les jeunes adultes et des livres en exemplaires multiples pour les lectures scolaires.
Une importante partie de nos publics adultes est constituée de personnes qui ne maîtrisent pas ou peu la langue française. Elles font partie des publics de nos associations partenaires (cours d’alphabétisation et français langue étrangère). C’est aussi pour ce type de public que nous mettons en place de nombreux partenariats et des services spécifiques (entre autres des livres en « français facile », livres en langues étrangères, un service d’écrivain public et un service d’informaticien public).
La catégorie des seniors est, cependant, sous-représentée. En plus de livres en grands caractères, nous proposons pour eux, et pour toute personne à mobilité réduite, un service de livraison à domicile sur demande.
La période de confinement Covid 19 : fermeture et innovation !
Nous travaillons énormément avec les écoles à Saint-Josse. Ce travail a été interrompu à cause du Covid. Je me souviendrai toujours du jour où on a arrêté, c’était en mars [2020]. On nous a dit : on ferme tout ! C’était un lundi et ce jour-là, on avait 7 animations : du bibliothécaire se déplaçant dans les écoles, du bibliothécaire allant dans les associations, des groupes venant à la bibliothèque etc. Tout s’est arrêté du jour au lendemain. C’est vraiment très dur à vivre parce que cela change la mission des bibliothèques et modifie la place du livre, qui, à mon avis, n’est plus aussi prépondérante qu’elle ne l’a été. La bibliothèque devient ce qu’on appelle un troisième lieu. Des personnes rentrent, viennent faire des recherches sur Internet pour leurs travaux. Elles ne vont pas prendre un seul livre en main. C’est aussi cela une bibliothèque maintenant. Ce n’est plus uniquement le prêt de livres.
La bibliothèque communique beaucoup vers l’extérieur. Nous avons un catalogue collectif, partagé entre les bibliothèques publiques VUBIS et grâce au portail de la lecture publique, chaque bibliothèque est présentée de manière agréable. Nous pouvons inclure nos spécificités, tenir les gens au courant de nos animations. Pendant toute la période de fermeture contrainte, il a fallu se réinventer et montrer qu’on existait encore. On a créé cette page Facebook où on postait plusieurs fois par semaine, des lectures pour les enfants. Cela a marché excessivement bien. Un de mes collègues a fait d’autres vidéos illustrant les différents lieux de la bibliothèque, comment cela se passe quand on vient à la bibliothèque pour la première fois, etc. C’est très pratique. J’ai un autre collègue qui est spécialisé dans tout ce qui est la littérature actuelle. Auparavant, nous faisions cela en présentiel, avec des rencontres ou des brunchs littéraires. Maintenant, nous avons opté pour la forme de clip sur Facebook, avec les rencontres d’éditeurs, des auteurs de Saint-Josse etc. On essaie…On s’adapte. À la réouverture, on a fait du take away : les lecteurs réservaient les livres et passaient les prendre. Ensuite, il était possible de venir sur rendez-vous. Nos portes se sont réouvertes fin mai 2021. On a réorganisé les tables de lecture pour distancer davantage les personnes entre elles et quand il fait beau, on leur propose d’aller au jardin.
Une mission prioritaire : transmettre mon enthousiasme
Ma place est d’être au milieu des bibliothécaires, dans les rayons avec mes lectrices et mes lecteurs pour donner des conseils, pour transmettre mon enthousiasme, etc. C’est ça que je veux laisser. Quand je vois des personnes que j’ai connues petites filles de 6 ou 7 ans et qui sont maintenant mamans, qui reviennent avec leurs enfants et qui me disent : oui, je me souviens de vous, vous n’avez pas changé. Je me dis : voilà, j’ai fait ce qu’il fallait. J’ai fait en sorte que la bibliothèque soit un bon souvenir. Il y a des lectures imposées et des élèves qui ne vont venir que pour ces livres-là, mais même alors, on leur suggère d’autres titres. On leur dit qu’ici, tout est gratuit. C’est aussi une de mes réussites. À un moment donné, le prêt était payant et je suis parvenu à ce qu’on revienne à la gratuité. C’est gratuit pour tout le monde. Pour les enfants, c’est évident, c’est la réglementation, mais les adultes ne paient rien pour s’inscrire et rien pour emprunter des livres, tout est absolument gratuit.
On essaye d’accueillir un maximum de personnes. Si quelqu’un part de chez nous en n’ayant pas un livre, cela peut arriver, mais les renseignements, il les a. Il part avec une solution. C’est notre but.
En guise de conclusion : une belle histoire qui se prolonge au présent
L’idée d’organiser une bibliothèque populaire est adoptée au Conseil communal de Saint-Josse-ten-Noode en 1858. Elle ouvre ses portes aux habitant.e.s en 1859, précédant de quelques années, le premier arrêté royal stimulant la création de bibliothèques (1862), mais bien avant, la loi Destrée de 1921. En 2021, elle est toujours présente et active. Cette longévité est remarquable. Au départ, elle est pensée comme complément à l’instruction publique et organise seulement le prêt d’ouvrages. Avec le temps, elle cherche à élargir son audience et sa fréquentation. La bibliothèque s’adjoint une salle de lecture réservée aux adultes. Ce lieu augmente le confort de la lecture avec une salle éclairée et chauffée, et propose à la consultation, outre les ouvrages de la bibliothèque, des journaux et périodiques. Suite à la loi sur l’instruction obligatoire, elle dédie, à partir de 1923, deux plages d’ouverture aux enfants et professionnalise sa gestion avec la nomination d’une commission consultative de la bibliothèque. Cette approche historique reste partielle. Elle se base sur les bulletins communaux, les rapports administratifs annuels et les budgets et comptes de la commune. De l’ancienne bibliothèque (avant 1976), subsistent quelques archives ainsi qu’un fonds ancien conservés à la Bibliothèque. Ces documents doivent faire l’objet d’un inventaire. Ils donneront des renseignements sur l’état des collections, le public, la fréquentation, les nombres de prêts ainsi que sur son activité culturelle pour une période allant de 1923 à 1976. Ce travail reste à faire.
La deuxième partie de l’analyse est consacrée à la bibliothèque contemporaine, qui s’inscrit à la fois en rupture et en continuité de l’ancienne bibliothèque. Comme différences, nous pouvons pointer le développement d’outils, la diversité des publics, le profil des travailleurs et travailleuses, les modalités de subventionnement et le cadre légal qui ont enrichi les missions d’une bibliothèque locale. Les tâches du bibliothécaire se sont complexifiées. Connaître le livre ne suffit plus, il se fait aussi animateur, pédagogue et accompagnateur pour des publics très variés. Néanmoins par rapport à la bibliothèque populaire du 19e siècle, il reste en continuité avec la base, à savoir l’organisation du prêt et la mission de susciter l’envie de lire.
Notes
[1] Elle est située rue de la limite, n°2, 1210 Saint-Josse-ten-Noode.
[2] VAN BEMMEL E., « Histoire de Saint-Josse-ten-Noode et de Schaerbeek, Saint-Josse-ten-Noode, E. Van Bemmel, éditeur, 1869, p. 209.
[3] CARHOP, Interview de Dominique Dognié par Marie-Thérèse Coenen, juin 2021. Concernant la première bibliothèque populaire communale, Bruno Liesen précise qu’il s’agit de la commune d’Andenne, en 1848, LIESEN B., « Il y a 100 ans… la loi Destrée : La bibliothèque populaire devenait publique », Dynamiques 17.
[4] À cette époque, seuls les hommes sont éligibles comme conseillers communaux.
[5] La commune a déjà une école primaire située rue Nevraumont.
[6] Les dossiers après avoir été mis à l’ordre du jour du conseil communal, sont renvoyés pour examen en commission. La composition des commissions est fixée en début de mandat. Elles se composent d’un échevin qui a la compétence et de cinq à six conseillers. Le dossier de la bibliothèque est examiné par la commission de l’Instruction publique. Un rapport est ensuite présenté, discuté et adopté en séance au Conseil. En fonction des législatures, c’est la mention de section ou de commission qui est retenue, mais elle désigne la même instance interne au Conseil.
[7] Bulletin communal (BC), séance du 3 juillet 1858, p. 72-73.
[8] BC, séance du 3 juillet 1858, p. 72-73.
[9] Idem, p. 74.
[10] Les budgets annuels mentionnent pour le service de la bibliothèque, les montants suivants : 1859 : 400 francs ; de 1860 à 1862 : 100 francs ; de 1863 à 1870 : 500 francs ; 1871 : 750 francs ; 1872 : 800 francs.
[11] Tiberghien, Guillaume (1819-1901) : philosophe, professeur à l’Université libre de Bruxelles, membre du parti libéral, conseiller communal à partir de 1858, fondateur de la Ligue de l’enseignement en 1864. JURION F., « Guillaume Tiberghien », JAUMAIN S.(dir.), Dictionnaire d’histoire de Bruxelles, Bruxelles, Éditions Prosopon, 2013, p. 778.
[12] Van Bemmel, Eugène (1824-1880 ) : professeur, littérateur, docteur en droit de l’Université libre de Bruxelles, il y enseigne en 1849 la littérature et l’histoire politique. Il est conseiller communal de 1857 à 1870. Progressiste, il est le fondateur et président de Vlamingen vooruit, en 1858. Il est l’auteur d’un ouvrage sur la commune de Saint-Josse-ten-Noode et de Schaerbeek, publié en 1869. VAN DEN DUNGEN P., « Eugène Van Bemmel », JAUMAIN S. (dir.), Dictionnaire d’histoire…, p. 803-804.
[13] Van Crombrugghe Ida (Baronne, née de Kerkhove de Denterghem) (1820-1875) : libérale, elle se préoccupe d’éducation populaire dès 1850. Elle est connue pour avoir fondé les Soirées populaires de Saint-Josse, cycles de conférences destinées à la classe ouvrière dans le but d’enseigner les vertus de l’hygiène aux ménages ouvriers. GUBIN E., JACQUES C., PIETTE P., PUISSANT J. (dir.), Dictionnaire des femmes belges. XIXè et XXè siècles, Bruxelles, Éditions Racines, 2006, p. 162-163.
[14] À ce propos, voir : COENEN M.-T. (dir), « Les initiatives d’éducation ouvrière au 19e siècle : de la démarche intellectuelle à la formation militante ». Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 4, décembre 2017, https://www.carhop.be/revuescarhop/index.php/category/revue-0/revue-04/.
[15] Gillon, Jacques (1808-1869) : propriétaire, conseiller communal depuis 1840, bourgmestre de 1846 à 1867. Il a mené une politique d’urbanisation de la commune. GILLAIN J.-L., « Jacques Gillon », JAUMAIN S. (dir.), Dictionnaire d’histoire… p. 367.
[16] Voir LIESEN B., « Il y a 100 ans… la loi Destrée. La bibliothèque populaire devenait publique », Dynamiques n°17
[17] « Rapport de la situation et de l’administration des affaires de la commune pendant l’année 1859-1860 », annexe au BC, séance 17 octobre 1859, p. 137.
[18] BC, séance du 31 octobre 1862, p. 118-119.
[19] Idem.
[20] « Rapport sur la situation et l’administration des affaires de la commune, année 1860-1861 », annexe au BC, séance du 11 octobre 1861, p. 177-178.
[21] Idem, p. 195.
[22] BC, séance du 31 octobre 1862, p. 119-121.
[23] BC, séance du 2 août 1861, p. 130.
[24] BC, séance du 31 octobre 1861, p. 198.
[25] Dauby, Jean, François, Joseph (1824-1899) : typographe, militant de l’association libre des compositeurs typographes de Bruxelles, mutuelliste, publiciste, directeur du Moniteur belge (1858-1899). Il réside à Saint-Josse et intervient régulièrement dans les affaires communales. PUISSANT J., « Dauby Jean, François, Joseph », Maitron, https://maitron.fr/spip.php?article143230, mis en ligne le 27 novembre 2012, dernière modification le 27 décembre 2019, page consultée le 2 décembre 2021.
[26] Il fait preuve d’une certaine réserve puisqu’il signe sa lettre, « votre très humble et très respectueux administré, J. Dauby, ouvrier typographe ». Lettre adressée À Messieurs les Président et Membres du Conseil communal de Saint-Josse-ten-Noode, 24 juillet 1859, BC, séance du 16 septembre 1859, p. 104.
[27] BC, séance du 30 mars 1860, p. 26-27 ; BC, séance du 19 avril 1863, p. 67.
[28]« Rapport de la deuxième section : réorganisation de la bibliothèque », BC, séance du 12 septembre 1862, p. 79-81.
[29] La bibliothèque populaire communale de Liège est inaugurée le 9 février 1862. MESSIAEN J.-J., Lecture pour tous. Une histoire des initiatives de la Province de Liège en matière de lecture publique, Liège, Les éditions de la Province de Liège, 2021, p. 21.
[30] BC, séance du 12 septembre 1862, p. 79-80.
[31]Idem, p. 81.
[32] Jean Puissant, dans la biographie qu’il consacre à J. Dauby, précise qu’il entre à l’âge de 16 ans comme typographe dans cette imprimerie et qu’il en devient la cheville ouvrière. Il est possible que ce soit lui qui ait imprimé ce premier catalogue. PUISSANT J., « Dauby Jean, François, Joseph »…
[33] Jottrand, Lucien Léopold (1804-1877) : originaire de Genappe, il s’installe à Saint-Josse. Avocat, membre du Congrès national, il est élu au Conseil communal de Saint-Josse. Il professe des idées républicaines. Défenseur de la classe ouvrière, il a des sympathies pour le mouvement flamand. Au Conseil communal, il défend l’édition flamande du Bulletin communal et l’accès à la bibliothèque des classes populaires, qui à Saint-Josse parlent majoritairement le flamand, HASQUIN H.(dir.), Dictionnaire d’histoire de Belgique. Vingt siècles d’institutions. Les hommes, les faits, Bruxelles, Didier Hatier, 1988, p. 266.
[34] Dans le débat sur l’édition flamande du bulletin communal, Lucien Jottrand propose que l’instituteur en chef, M. Jacobs assure gratuitement la traduction de l’édition française en flamand pour limiter le coût. BC, séance du 12 février 1858, p. 11-12.
[35] Catalogue de la bibliothèque communale populaire de Saint-Josse-ten-Noode, Saint-Josse-ten-Noode, 1863, p. 4-5.[36]Administration communale de Saint-Josse-ten-Noode, « Rapport sur la situation et l’administration des affaires de la commune pendant l’année 1862-1863 », BC, séance du 9 octobre 1863, p. 198.
[37]Idem, p. 198-199.
[38]BC, séance du 3 juillet 1863, p. 138.
[39]Idem, p. 155.
[40]Administration communale de Saint-Josse-ten-Noode, Rapport sur la situation et l’administration des affaires de la commune pendant l’année 1867-1868, Saint-Josse-ten-Noode, 1868, p. 56. (tiré à part).
[41]Administration COMMUNALE de Saint-Josse-ten-Noode, Rapport sur l’administration et les affaires de la commune de SJTN, pour l’année 1869-1870, Saint-Josse-ten-Noode, 1879, p. 37 (tiré à part).
[42]BC, séance du 4 août 1865, p. 252.
[43] BC, séance du 12 juillet 1876, p. 290-291 ; séance du 17 janvier 1877, p. 10.
[44]BC, séance du 24 juin 1908, p. 365-366.
[45]BC, séance du 15 juillet 1908, p. 407, BC, séance du 28 décembre 1908, p. 946.
[46] BC, séance 19 novembre 1913, p. 603.
[47] Pergameni, Charles (1879-1959) : docteur en droit et en histoire, archiviste de la Ville de Bruxelles, cofondateur des universités populaires de Schaerbeek et de Saint-Josse, membre du Conseil général de la Ligue de l’enseignement.
[48]Serait-ce Marie Closset ? Cette femme de lettre connue sous le pseudonyme Jean Dominique (1873-1952), ancienne élève de Isabelle Gatti de Gamond, proche de l’anarchiste Élisée Reclus, et domiciliée à Saint-Josse. Elle fonde l’Institut belge de culture française, une école dont le siège est, avant 1914, situé rue des Côteaux à Saint-Josse, avant de s’établir à Ixelles et Uccle. Voir : VAN DEN DUNGEN P., « Parcours singuliers de femmes de lettres, Marie Closset, Blanche Rousseau et Marie Gaspar », Sextant, n°13-14 : Femmes de culture et de pouvoir, 2000, p. 189-210.
[49] BS, séance du 19 novembre 1913, p. 603.
[50] « Règlement organique de la commission consultative permanente de la bibliothèque populaire », BW, séance du 17 décembre 1913, p. 633.
[51] BC, séance du 10 janvier 1923, p. 50.
[52] Bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode, fonds anciens, registre du bibliothécaire en chef, 1932-1947.
[53] BC, séance du 12 novembre 1919, p. 599-600.
[54] Pètre, Georges (1874-1942) : avocat, membre du Parti libéral, il est élu conseiller communal en 1904. Il devient échevin de l’Instruction publique en 1913 et est bourgmestre de 1926 à 1942. Résistant il est pris en otage et assassiné par les Rexistes en 1942.
[55] BC, séance du 3 novembre 1920, p. 581-582.
[56] Ibidem.
[57] BC, séance du 3 août 1921, p. 418.
[58] BC, séance du 22 juin 1921, p. 242.
[59] BC, séance du 28 décembre1921, p. 711.
[60] Bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode, fonds archives anciennes de la bibliothèque, Registre. Statistique de l’année 1950. Ce document reprend la date de la création et la première année de subventionnement de la bibliothèque.
[61] BC, séance du 16 mars 1921, p. 139.
[62] BC, séance du 5 avril 1922, p. 253-254.
[63] Idem, p. 254.
[64] BC, séance du 1er août 1923, p. 357.
[65] BC, séance du 9 avril 1924, p. 94.
[66] Ibidem.
[67] BC, séance du 26 mars 1956, p. 108-109.
[68] BC, séance du 2 mai 1956, p. 157.
[69] Lundi, mardi, vendredi de 17 à 19 heures, samedi de 16 à 18 heures, dimanche de 10 à 12 heures.
[70] CARHOP, Interview de Dominique Dognié par Marie-Thérèse Coenen, juin 2021.
[71] Cette partie donne la parole à Dominique Dognié. Les intertitres et la conclusion sont de l’auteure. CARHOP, Interview de Dominique Dognié par Marie-Thérèse Coenen, juin 2021
[72] Future conservatrice du Musée Charlier, à Saint-Josse.
[73] Aujourd’hui appelée Fédération Wallonie-Bruxelles.
[74] Rue de la limite n°2
[75] Les critères sont à la fois qualitatifs et quantitatifs. Voir l’Arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 5 octobre 2016, modifiant l’annexe 2-2 de l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 19 juillet 2011 portant application du décret du 30 avril 2009 relatif au développement des pratiques de lecture organisé par le Réseau public de la Lecture et les bibliothèques publiques, 2016, https://bibliotheques.cfwb.be/fileadmin/sites/biblio/uploads/Legislation/ARRETE_19.07.2011_-_derniere_modification_14.12.2016.pdf, page consultée le 9 décembre 2021. Cet arrêté fixe les modalités de reconnaissance des bibliothèques locales, suivant un plan quinquennal qui doit présenter divers éléments. Pour être reconnu en catégorie 2, l’opérateur doit avoir un personnel ayant les titres requis, occupé à temps plein ; favoriser les pratiques de lecture ; favoriser l’organisation de la documentation adaptée pour que la population visée puisse participer à des actions dans une perspective d’éducation permanente et d’émancipation culturelle et sociale, individuellement et collectivement ; disposer d’un espace et d’équipement ad hoc (signalétique, salle de lecture, salle équipée d’ordinateurs, etc.) ; un renouvellement des titres (moins de 10 ans d’âge), une documentation accessible via Internet de manière autonome pour le public ; apporter aide et conseil pour y accéder (individuellement et avec des groupes) ; faire une évaluation annuelle ; être en relation avec les autres composantes du réseau de la lecture publique ; mettre un catalogue en ligne via le site de la bibliothèque et participer au catalogue collectif ; avoir une ouverture de 26 heures semaine, le mercredi après-midi et 4 heures le weekend ; mettre à la disposition du public des outils de recherche et une offre d’aide.
POUR CITER CET ARTICLE
Référence électronique
COENEN M.-Th., « 1859-2021 : 160 ans au service de la lecture. La bibliothèque populaire communale de Saint-Josse-ten-Noode », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°17 : 1858-2021. Quand la bibliothèque (s)’émancipe !, décembre 2021, mis en ligne le 17 décembre 2021. www.carhop.be/revuescarhop/.