Catégorie : 07) Revue n°7, septembre 2018 : Questionner le sens du travail social, hier et aujourd’hui
Éditorial
Christine Machiels (directrice du CARHOP asbl)
Aujourd’hui comme hier, les travailleurs sociaux s’interrogent sur le sens de leurs pratiques professionnelles et sur les finalités implicites de leur travail. Pour nourrir le questionnement contemporain, on peut s’inspirer de ce que les travailleurs sociaux d’une génération précédente ont pu témoigner de leur métier, de leurs pratiques. La période 1970-1980 est en effet marquée par une interrogation radicale sur l’existence même du travail social comme corps professionnel et mode d’intervention de la société sur elle-même, mais aussi par un champ d’expérimentation, d’exploration en vue de renouveler les pratiques. Pourquoi ? Quels sont les questionnements ? Ont-ils évolué ? Quelles sont les issues ou les alternatives proposées ?
Ce court argumentaire, que je vous livre dans sa première mouture, a servi de point de départ à la construction des numéros 7 (septembre 2018) et 8 (à paraître) de la revue Dynamiques. Histoire sociale en revue, dédiés au sens du travail social hier et aujourd’hui. Rédigé à plusieurs mains, il est le fruit d’une réflexion menée par une poignée d’enseignant·e·s en histoire sociale, impliqués dans la formation de bachelier Assistant social, qui se réunit régulièrement au CARHOP[1]. Le pari est alors de lancer l’idée d’une histoire partagée entre anciens et futurs praticiens… Ce dossier explore les possibilités d’ouvrir ce chantier d’histoires, de faire surgir les sources et ressources qui l’éclairent, de transmettre des questionnements d’hier pour mieux les prolonger aujourd’hui.
Notes
[1] Ce groupe se réunit sous l’impulsion de Paul Lodewick à partir de 2015. Il est composé de Pierre Tilly (coord.), Christine Machiels, Luc Blanchard (HELHa), Florence Loriaux (HELMo), avec le soutien du CARHOP. Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une réflexion initiée par l’ABFRIS (Association belge francophone pour la formation, la recherche et l’intervention sociale) sur les mutations du travail social, qui donnera lieu à une exposition réalisée par La Fonderie à la fin de l’année 2018. Le comité de lecture des n°7 et 8 de Dynamiques est en partie une émanation de ce groupe d’enseignants, avec également la contribution de Renée Dresse (CARHOP, ISFSC).
Introduction au dossier : Travail social et transmissions. Un chantier prioritaire !
Christine Machiels (historienne au CARHOP asbl, enseignante à l’Institut Cardijn-HELHa)
À plusieurs reprises, depuis 2015, une poignée d’enseignant·e·s en histoire sociale, impliqués dans la formation de bachelier Assistant social se donnent rendez-vous au CARHOP pour échanger sur leurs pratiques. Le projet, qui anime concrètement ce groupe, est de construire un outil pédagogique qui donne aux étudiant·e·s des repères et des capacités de réflexion sur les métiers du travail social au travers d’une approche privilégiant le temps long[1]. Parmi leurs préoccupations, ces enseignants identifient comme cruciale la question de la mémoire collective du secteur, qui, intuitivement, apparaît comme la grande absente au sein des métiers du travail social. À tout le moins, des témoignages de terrain, il revient que la logique de transmission collective n’est pas réellement au cœur des processus d’apprentissage des métiers, d’une génération de travailleurs sociaux à l’autre. Pure coïncidence ou effet du temps, au moment où le projet est lancé, le comité de rédaction de la revue Empan publie, à l’occasion de leur 100e numéro, un dossier intitulé « Travail social : le moment de transmettre ». L’un des contributeurs, Alain Roquejoffre, pose un constat qui entre en résonance avec nos propres questionnements : « Transmettre dans la formation des travailleurs sociaux a toujours été essayer de construire une place jamais assurée dans un secteur professionnel où, le plus souvent, l’hégémonie de l’action, le primat de la pratique, la méfiance à l’égard de la théorie occupent en grande partie le champ des représentations. Les évolutions récentes sont en passe de réduire l’acte de transmettre à la diffusion d’une idéologie managériale et techniciste au détriment des fondamentaux des sciences sociales, de l’incertitude du résultat des pratiques et de la complexité du sujet »[2].
Difficile dans ces conditions de « tirer les leçons du passé », selon la formule consacrée, mais surtout, de construire des repères et une identité durable pour ce domaine de l’activité humaine qui a pris de plus en plus de place dans les sociétés contemporaines. Or, à l’heure où nous parlons, l’enjeu de la transmission nous semble d’autant plus essentiel pour le travail social, qu’un flou relatif entoure le secteur social, marqué par sa diversité, et qui ne lui permet pas toujours d’avoir une lisibilité suffisante aux yeux de ses propres acteurs comme dans le chef du monde extérieur.
Ces questions ne datent pas d’hier. Elles sont souvent, par nature et du fait des spécificités du travail social, récurrentes. Comment impliquer aujourd’hui une génération de jeunes travailleurs sociaux dans ce débat ? L’une des voies pédagogiques explorées est de proposer une approche rétrospective et réflexive sur le travail social, à partir de l’analyse de quelques étapes du cheminement du secteur depuis les années 1970-1980. Ces années de crise économique et sociale, qui mettent sous pression le système de la sécurité sociale, sont aussi celles de la diversification des professions du social, de la multiplication des pratiques en milieu ouvert, de l’élargissement des lieux de l’intervention sociale, du développement du travail social en réseau. Cette période est marquée par de profonds questionnements sur la légitimité du travail social. À partir de l’analyse des tentatives de réponse, ou du moins, des interrogations des acteurs et actrices de terrain du social durant la période choisie, le pari est de mettre en évidence des pratiques (et des contradictions) qui peuvent sans conteste éclairer des enjeux contemporains comme des évolutions, en termes de continuités et de ruptures, qui sont autant « le fruit de contextes, de circonstances idéologiques, de fonctionnements »[3], que de l’action propre des travailleurs sociaux.
Ce chantier exploratoire suppose deux démarches : la première est de faire émerger les sources et les ressources, tous supports confondus (archives, documents audiovisuels, sonores, publications, témoignages, dessins et caricatures, etc.), qui reflètent ce que des travailleurs sociaux ont pu dire de leur métier, de leurs pratiques, et comment ils se sont représentés la société, l’environnement dans lesquels s’inscrit leur action. La seconde est d’en proposer une analyse sociohistorique, susceptible d’apporter un regard contemporain sur la façon dont les travailleurs sociaux s’interrogent sur le sens de leurs pratiques, de leur action et des aides qu’ils apportent aux populations marginalisées, des années 1970 à aujourd’hui. L’appel à contributions de la revue Dynamiques, lancé début 2018, est une invitation à relever ce double défi.
Nous avons reçu plusieurs réponses à cette invitation ; les points de vue proposés sont historique mais aussi sociologique, économique, philosophique, sociopolitique ou juridique. Entre l’argumentaire de départ et les textes arrivés, il y a des écarts que nous ne voulons certainement pas ignorer parce qu’ils font évoluer la réflexion et ouvrent le chantier de l’histoire du travail social à de multiples perspectives innovantes. Nous décidons de réunir les textes dans deux numéros de la revue Dynamiques. Dans le présent numéro, on interroge la formation, la professionnalisation, les pratiques et l’identité des métiers du social. Le second numéro, à paraître au mois de décembre, porte sur la contextualisation et l’analyse des mutations du travail social, au regard de l’évolution de l’État social et des politiques liées. La coupure est artificielle, tant les points de vue se croisent : elle vise surtout à proposer deux dossiers cohérents. De même, il faut rappeler les limites de l’approche : elle met le focus sur le travailleur social (ses questions, ses pratiques, ses métiers, sa formation), plutôt que sur l’évolution du travail social et ses usagers (qui est en soi un chantier d’histoire à investir).
Les contenus du premier numéro nous invitent tout particulièrement à réinterpeller un article écrit par le sociologue, Abraham Franssen, en 2000 sur « l’éternelle expression de la conscience malheureuse des travailleurs sociaux », à partir d’un travail de recherche et d’enquête orale mené avec des assistants sociaux en Belgique francophone[4]. Pour le sociologue, il y a bien des mutations qui bouleversent les métiers du travail social aujourd’hui (« la tempête »), mais le questionnement du sens est présent depuis plusieurs décennies. Il note la persistance d’un débat, d’une tension, liée à la définition même du travail social dans un cadre institutionnel et normatif contraignant (« le crachin »), mais aussi, et il s’agit là d’une troisième interprétation de ce malaise, la stratégie des travailleurs sociaux de faire de la « plainte » une « construction discursive qui donne sens à leur expérience professionnelle » pour répondre à un besoin de reconnaissance sociale (« le parapluie »).
Comment ce débat se décline-t-il dans le temps ? Pour éclairer la manière dont la question a pu être posée par les professionnels de l’intervention sociale eux-mêmes, à trois moments de l’histoire, Jacques Moriau propose l’analyse de trois sources publiées : la revue Esprit de 1972 celle de 1998 et le Manifeste du travail social de 2016. L’analyse fait apparaître trois postures : la première, radicale, remet en cause l’existence même de l’intervention sociale (1972) ; la seconde, plus nuancée, dénonce les tensions liées aux missions associées de travail social et de contrôle (1998) ; la troisième porte sur la capacité de résistance du travailleur social dans le contexte de l’État social actif (2016).
Pour définir la « crise d’identité » des travailleurs sociaux, A. Franssen évoque la tension entre la face positive du métier qui donne du sens, et celle, plus obscure, du « rôle qu’on voudrait leur faire jouer ».
Cette tension n’est pas présente avec la même intensité dans tous les métiers. Elle peut être particulièrement forte dans des institutions qui incarnent tout à la fois des missions de prévention, de répression et de contrôle. Avec l’historien Hubert Deschamps, nous explorons une histoire méconnue : celle des assistantes sociales qui entrent à la police au début des années 1950 via des préoccupations liées à la protection de l’enfance et à la prostitution. Comment les tensions sont-elles vécues dans le travail social de la police des années 1970 à la réforme des polices (2001) ?
Une manière de prendre distance par rapport aux tensions vécues, témoignant de cette « crise d’identité », est de recourir à l’ironie ou à l’humour. Avec Florence Loriaux, nous découvrons que le travailleur social des années 1970-1980 est au cœur de la caricature lorsqu’il est « agent de pouvoir » : rarement pour dénoncer une situation, la caricature a plutôt vocation à mettre en jeu les tensions vécues par les travailleurs sociaux eux-mêmes, pour permettre d’en rire (là aussi, il s’agit d’un « parapluie »).
L’analyse de Florence Loriaux fait également entrevoir toute la polysémie du vocable « travailleur social » qui apparaît dans les années 1970 et recouvre alors des métiers historiques (assistants sociaux, éducateurs spécialisés, animateurs socioculturels).
Sous l’influence de la construction du secteur associatif et de l’élaboration de politiques institutionnelles complexes, les métiers du social se multiplient ces dernières décennies. Comment s’identifier à la figure du « travailleur social » ? À partir du secteur de l’éducation permanente et de la cohésion sociale à Bruxelles, Lionel Francou fait entrevoir une réflexion sur l’identité du travailleur social, moins liée à un diplôme, une formation ou une mission, qu’à des pratiques professionnelles, précisément touchées par son lot d’incertitudes, qui, au final, renvoie toujours à la même question : c’est quoi « agir en travailleur social » ?
Les quatre approches ont en commun de revisiter à plusieurs moments de l’histoire les tensions, le malaise, la crise d’identité des travailleurs sociaux, décrits par A. Franssen, en mobilisant une variété de sources. Certaines, revues ou manifestes, sont publiées : les travailleurs sociaux y témoignent d’une réflexion sur leurs pratiques mais aussi sur le rôle et le lien avec l’État et les usagers, par exemple (contribution de Jacques Moriau). Si elles ont également aussi pour vocation d’être médiatisées, les caricatures portent l’expression du « malaise », cette fois extériorisé, pour se distancier des tensions effectivement vécues, sur le terrain (contribution de Florence Loriaux). À mi-chemin entre la construction discursive et le témoignage de terrain, les mémoires des écoles sociales nous révèlent les dessous des métiers spécifiques comme celui des assistantes de police (contribution d’Hubert Deschamps). Dans deux des contributions, la part belle est également donnée aux témoignages, collationnés dans le cadre de la recherche, qui laissent entrevoir la subjectivité des questionnements (contributions d’Hubert Deschamps et de Lionel Francou).
C’est l’importance de cette parole des travailleurs sociaux, comme matériau pour comprendre les mutations du travail social des années 1970 à nos jours, que nous avons voulu mettre en avant en clôturant le dossier par un cahier spécial réalisé à partir d’une rencontre avec Marie-Christine Renson, assistante sociale aux Services sociaux des quartiers à Schaerbeek depuis 1974. « Le travail et les pratiques sociales ne sont pas sans histoire : les usagers non plus ; les professionnels sur le terrain ou en formation également » écrivait Joseph Rouzel pour introduire un numéro de la revue Le sociographe, spécialement dédié au thème « L’histoire en pratiques » (septembre 2000). Et pourtant, poursuit-il, « il semble que les travailleurs sociaux se présentent comme sans histoire, sans mémoire, comme si chaque génération remettait sur le métier l’invention des figures du social ».[5] Et pourtant, quand une « histoire singulière » se raconte au travers de l’interview, elle rencontre, de manière plus ou moins consciente, une histoire professionnelle, une histoire des institutions, une histoire des « usagers », mais aussi une histoire sociale de quartiers. Elle révèle, en interstices, les évolutions historiques de questionnements, issus des pratiques, sur le sens du travail social, hier et aujourd’hui. La démarche ici n’est qu’exploratoire, elle ouvre bien des chantiers dans un objectif de mémoire, d’histoire, et surtout, de transmissions.
Notes
[1] Ce module pédagogique a été construit collectivement en 2016 par des enseignants d’histoire sociale, sous l’impulsion de Paul Lodewick, Pierre Tilly (coord.), Christine Machiels, Luc Blanchard (HELHa), Florence Loriaux (HELMo), avec le soutien du CARHOP. Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une réflexion initiée par l’ABFRIS (Association belge francophone pour la formation, la recherche et l’intervention sociale) sur les mutations du travail social, qui donnera lieu à une exposition réalisée par La Fonderie à la fin de l’année 2018. Le comité de lecture des n°7 et 8 de Dynamiques est en partie une émanation de ce groupe d’enseignants, avec également la contribution de Renée Dresse (CARHOP, ISFSC). Cette introduction au dossier thématique de Dynamiques a été rédigée sur base des réflexions, des échanges et des documents produits dans le cadre de ce projet.
[2] Roquejoffre A., « Transmettre dans la formation des travailleurs sociaux », Empan, 2015/4 (n°100), p. 101.
[3] Gaberan P. et alii, « Introduction », Empan, 2015/5 (n° 100), p. 11.
[4] Franssen A., « Les assistants sociaux : le crachin, la tempête, le parapluie », Les politiques sociales, n° 1-2, 2000, p. 49-66.
[5] Rouzel J., « Histoire(s) en pratiques », Le sociographe, n° 3, septembre 2000, p. 8 et ss.
POUR CITER CET ARTICLE
Référence électronique
À quoi sert le travail social ? Trois époques, trois réponses !
Jacques Moriau
(sociologue, assistant chargé d’exercices, chercheur contractuel,
ULB, Institut de sociologie, METICES)
Avec la professionnalisation du travail social au début des années 1970 émergent toute une série de préoccupations quant à ses objectifs, ses effets réels, son sens. Au détour d’un entretien, à l’occasion d’une manifestation, dans l’une ou l’autre prise de parole publique se font entendre de la part des intervenants critiques et interrogations à propos du métier, de ses missions et de ses finalités. Rares sont cependant les sources qui rassemblent de façon concise et explicite les réflexions portées par les professionnels sur leurs pratiques.
En France, deux publications vont permettre de poser ces débats en des termes qui seront repris pour discuter également de la situation belge. Il s’agit de deux numéros de la revue Esprit, datés de 1972 et 1998, entièrement consacrés aux questions de la fonction et du sens du travail social. Regroupant enquête, témoignages de travailleurs sociaux et analyses de travailleurs intellectuels, ils tentent de répondre à cette même question à vingt-cinq ans d’intervalle et à deux moments significatifs de l’évolution des politiques sociales et des transformations de l’État social-démocrate. Ils constituent ainsi deux coups de sonde dans l’expérience et le ressenti des travailleurs sociaux et permettent de documenter les modifications des questionnements et des positionnements de ceux-ci.
Ces recueils de textes sont d’autant plus intéressants qu’ils débordent la forme d’une simple compilation de comptes-rendus de pratiques pour ouvrir vers des questions qu’il nous semble indispensable d’aborder quand on veut penser les buts de l’intervention sociale : de quels projets les professionnels se sentent-ils porteurs ? Quels types de rapports entretiennent-ils avec l’État ou ses représentants ? Comment envisagent-ils leur relation à l’usager ou au bénéficiaire de leur action ?
À ces sources, nous avons jugé utile d’en ajouter une autre, plus récente et sans doute de moindre retentissement : le Manifeste du travail social paru en 2016. Bien que plus militant et destiné en priorité aux travailleurs sociaux, ce document apporte un éclairage sur les positions d’une frange de professionnels à l’heure de l’État social actif et marque la naissance d’une troisième période dans cette ébauche d’une histoire de l’expérience vécue du travail social par les professionnels.
Des sources hétéroclites et situées à des époques différentes donc, mais qui permettent de mettre en évidence trois façons de poser la même question et trois façons d’y répondre dans trois contextes socio-politiques différenciés.
Pourquoi le travail social ?
Pourquoi le travail social ? : le titre du numéro spécial de la revue Esprit[1], datée du printemps 1972 est explicite. Dans la foulée des mouvements contestataires de mai 1968, la question se veut radicale. Il s’agit moins de s’interroger sur le sens de l’intervention sociale professionnelle que de remettre en cause son existence même. L’introduction expose les motifs de l’exercice en ces termes : « interroger dans toute son extension et (…) mettre ainsi en question ce qui, malgré les querelles intrinsèques à la profession, semble aller de soi et qui est pourtant inouï : la production organisée de la socialité »[2]. Au long des textes, la critique porte en fait sur les effets souterrains du travail social. Derrière le projet annoncé de venir en aide aux franges les plus fragilisées de la population, il servirait en réalité à apaiser les conflits et à empêcher la transformation effective de la société.
Cette condamnation d’une activité de contrôle déguisée en offre de soutien, qui va devenir un lieu commun de l’analyse du travail social, ne naît pas par hasard. Les travailleurs sociaux qui ont répondu à l’enquête[3] d’Esprit ou qui y publient des témoignages font partie d’une nouvelle génération d’intervenants. En rupture avec la figure de la dame patronnesse ou du bénévole, ils revendiquent fortement qu’on reconnaisse le travail social comme un métier basé sur des techniques et des compétences qui le différencient d’un simple engagement humanitaire. En tant que nouveaux professionnels du social, ils endossent pleinement la mission de « travailler la société » et de tenter de la transformer pour plus d’égalité.
Mais cette position se heurte frontalement à deux constats : les références techniciennes qu’ils brandissent comme une forme de légitimation de leur action les éloignent d’autant de la population qu’ils entendent servir et, plus grave, les interventions qu’ils combattent moins l’exclusion qu’elles n’aident les rapports sociaux inégalitaires à se maintenir.
Le malaise qu’expriment ces nouveaux professionnels provient tout entier de ce paradoxe : plus on soutient les populations marginalisées, plus on tempère la volonté de changement et plus on permet à la société de reproduire les inégalités. Le travail social ne sert pas à transformer la société mais à éviter qu’elle ne se transforme !
À une époque de remise en cause profonde du fonctionnement social, l’enjeu est donc clair : il faut non seulement faire reconnaître que le travail social rencontre aussi les besoins anthropologiques, ceux qui relèvent du soin, de la conquête ou du respect des droits, mais surtout faire apparaître l’importance politique du travail social pour l’invention d’une nouvelle société. Car « si le productivisme reste notre loi commune, il continuera de défaire la société tout en faisant la politique, et le travail social ne sera jamais que son infirmerie, sa garderie, plus ou moins luxueuses, ornées de sourires et de fleurs – un travail social sans société. »[4]
Le travail social a ainsi à trouver de nouvelles façons d’agir qui permettent d’initier « le processus de restitution aux gens de l’expression de leurs propres problèmes »[5], comme par exemple l’outil de l’enquête militante chère au travail communautaire. Contre l’individualisation et la normalisation, il doit favoriser les alliances avec la population dont on lui a donné la charge et s’impliquer dans la dénonciation des pratiques anesthésiantes auxquelles il est contraint, entrer en collaboration avec les luttes des populations exclues et participer « à la lutte idéologique contre toutes les formes de ségrégation »[6].
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Les assistantes de police et le travail social de la police (1971-2001)
Hubert Deschamps (historien, UCLouvain)
« T’as vu il y a une bonne femme à la police ! », tels sont les propos entendus au début des années 1990 par Stéphanie S., policière dans la région bruxelloise.[1] Pour Geneviève Pruvost, cette surprise est tout à fait compréhensible.[2] En effet, la présence de femmes au sein de la police est un sujet tabou à plusieurs niveaux car elle va à l’encontre de conceptions bien ancrées. D’abord elle remet en cause le monopole masculin sur les armes. Ensuite, elle place les femmes dans des positions de commandement et enfin la féminisation de la police advient en temps de paix alors que les femmes ne prennent traditionnellement la place des hommes qu’en temps de crise. Finalement, la frontière entre les tâches réservées aux hommes et celles dévolues aux femmes est transgressée.
En Belgique, c’est en 1953 que les femmes font officiellement leur entrée au sein des forces de police. Les pionnières ont un profil particulier : elles sont, pour la plupart, assistantes de police. La rencontre entre la police à la réputation rugueuse et les assistantes sociales, spécialistes du travail social, peut sembler être un mariage du feu et de l’eau. Néanmoins, cette rencontre a lieu. Cet article décrit l’apport des assistantes de police au sein des commissariats et comment la question du travail social va influencer les pratiques policières. Il aurait été intéressant d’étudier le rôle des assistantes de police dès la création des premiers postes mais les sources manquent. C’est pour cette raison que nous pouvons décrire le travail de terrain qu’à partir de 1971, date de publication du premier mémoire de stage d’une assistante de police.[3] Le témoignage des premières assistantes de police, est également primordial pour cette recherche.
Au commencement de la féminisation de la police : le travail social
Au premier abord, le travail social et le travail de police ne semblent pas compatibles. En effet, l’institution policière est souvent définie par sa fonction répressive, aux antipodes de la prévention.[4] Néanmoins, au fil du 20e siècle, les policiers questionnent l’aspect social de leur travail. Un des temps forts de ce tournant social est l’arrêté royal du 28 janvier 1953 instituant des postes féminins dans les parquets judiciaires. Cette présence féminine se limite aux affaires de mœurs « tant qu’il s’agit de femmes et d’enfants ».
Ces dispositions témoignent des origines de la féminisation des forces de l’ordre.[5] Au cours du 19e siècle, le statut de l’enfant et la politique vis-à-vis de la prostitution évoluent profondément. Alors que l’enfant est considéré originellement par le droit pénal comme un individu comme un autre (la jeunesse ne pouvait qu’être une circonstance atténuante), il est progressivement considéré comme un être à protéger. La prostitution qui s’inscrit dans un cadre réglementariste − la profession est tolérée mais fortement réglementée −, commence à être combattue dans le courant des années 1860.
Ces évolutions amènent au 20e siècle un changement dans les pratiques judiciaires et policières. Le 15 mai 1912, la loi sur la protection de l’enfance instaure notamment des délégués à la protection de l’enfance. La notion d’enfant en danger est également introduite et un nouveau type de juge voit le jour : le juge pour enfants. Dans les faits, la fonction de délégué à l’enfance est majoritairement investie par des femmes, selon une logique essentialiste : les femmes seraient « naturellement » douées pour s’occuper des enfants. Cette fonction contribue à une professionnalisation des travailleurs sociaux.[6] Ainsi les premières écoles de service social sont créées en 1920. C’est donc progressivement que les assistantes sociales occupent ce poste.
La question de la féminisation de la police se pose régulièrement durant l’entre-deux-guerres. Dans les services de police en tant que tels, la police communale d’Anvers engage des assistantes sociales pour traiter des questions de mœurs dans les années 1920. Sans en avoir le titre, ces femmes exercent les fonctions de police. Elles sont habilitées à constater des crimes et des délits et à rédiger des procès-verbaux. Néanmoins, aucun engagement féminin dans la police ne se fera plus avant la Seconde Guerre mondiale. Pendant ce conflit, l’occupant allemand instaure en 1943 un service féminin de police pour les questions de jeunesse et de mœurs mais il est démantelé à la Libération.[7]
Il faut attendre la loi de 1948 abolissant la prostitution pour que se pose à nouveau la question de la place des femmes dans la police. Les associations féministes lient fortement la féminisation de la police à la lutte contre la prostitution. Ce n’est que le 28 janvier 1953 que celle-ci est effective. Dans les faits, des postes d’assistantes de police sont créés au niveau communal dans les années suivantes. La commune de Saint-Josse-Ten-Noode est pionnière avec l’engagement de deux agents féminins à « titre d’essai » en 1955. Elle est rapidement suivie par la commune Middelkerke la même année. Le 7 juillet 1956, celle de Bruxelles engage dix assistantes de police pour son service de la protection des mineurs créé deux ans auparavant. En Wallonie, il faut attendre 1968 pour qu’une commune près de Charleroi engage son premier agent féminin. En matière de recrutement de la police communale, le bourgmestre et le conseil communal restent souverains. Les disparités entre les communes sont criantes. Certaines communes n’accueilleront leurs premières femmes policières qu’à partir de 1994.[8]
Officiellement le poste d’assistant de police est ouvert aux deux sexes mais, dans la pratique, le poste est occupé exclusivement par des femmes. Celles-ci vont évoluer dans un milieu où, selon la doxa orthodoxe, « l’ensemble de tout ce qui est admis comme allant de soi et, en particulier, les systèmes de classement déterminant ce qui est jugé intéressant ou pas »[9], les tâches de la police sont avant tout coercitives. Il s’agit d’empêcher et de réprimer les infractions, en faisant l’usage de la force s’il le faut. Leur présence soulève alors plusieurs questions. D’abord quelle place occupent-elles au sein de la police ? Sont-elles considérées comme des policières à part entière ou comme des éléments supplétifs ? Ensuite, comment les assistantes de police peuvent-elles réaliser un travail social dans les commissariats ? Quelle est leur influence sur les pratiques policières ?
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Le travail social est-il soluble dans la caricature ?
Florence Loriaux (historienne, CARHOP asbl)
La caricature existe depuis que l’homme est capable de se représenter, en dessin ou en sculpture, avec cette particularité que les traits caractéristiques du sujet sont amplifiés ou déformés avec l’intention de le rendre ridicule. L’origine du terme même de « caricature » le confirme d’ailleurs puisqu’il dérive du latin « caricare » signifiant « charger un char de poids » et par extension « en rajouter ». Le mot prend un sens contemporain dès le 17e siècle, mais c’est le développement de la presse industrialisée au 19e siècle, grâce notamment à la découverte de la lithographie qui a donné au genre ses lettres de noblesse en multipliant les caricatures politiques de personnages nommément désignés (rois, dignitaires, hommes politiques…).
Cependant, à côté des caricatures politiques, il faut aussi évoquer les « caricatures de situation » qui mettent en évidence des pratiques de certains groupes ou catégories sociales en les ridiculisant. Aujourd’hui, les caricatures sont diffusées dans tous les arts (dessin, théâtre, cinéma, télévision…) et moyens de communication, mais ce sont sans doute les dessins de presse qui offrent le plus grand champ d’expansion à cette pratique, le statut de journaliste-caricaturiste étant devenu un véritable métier grâce au développement de revues satiriques partiellement ou entièrement consacrées à la caricature, aussi bien de personnages que de situations, comme Le Canard enchaîné[1], journal satirique créé en 1915 ou les Guignols de l’Info[2]. Cependant, si les métiers de peintre ou de dessinateur ne sont pas en principe particulièrement dangereux et permettent parfois à leurs auteurs d’acquérir une grande notoriété sociale, celui de caricaturiste peut se révéler très risqué au point de devoir parfois s’exercer dans la clandestinité. On ne compte plus les caricaturistes qui ont écopé dans le passé de séjours en prison plus ou moins longs. Aujourd’hui, la censure a été abolie dans les démocraties occidentales, mais les risques de représailles n’ont pas disparu pour autant et se sont même probablement amplifiés, en particulier lorsque les « dessins d’humour » portent atteinte à des sujets sociétaux sensibles comme la Nation, la guerre, les races, la religion… Personne n’a oublié le massacre provoqué en janvier 2015 dans la rédaction de Charlie Hebdo pour avoir consacré sa couverture à la caricature de Mahomet.[3]
Au-delà de ces généralités, si on se demande dans quelle mesure les travailleurs sociaux sont eux aussi victimes des caricaturistes, force est d’admettre qu’ils ne représentent pas un des publics cibles privilégiés dans la mesure où, en principe, aucun ne se détache des autres par une personnalité connue se prêtant facilement à la satire.
Les caricatures les concernant sont donc pour l’essentiel des caricatures de situations. Encore faut-il se demander ce qui, dans le métier d’un travailleur social ou d’intervention sociale, peut susciter la critique.
C’est qu’en fait le vocable de « travailleur social » est polysémique et qu’il se réfère à des réalités très différentes selon les époques où les métiers qui relèvent de ce domaine se sont développés. En effet, si le vocable de « travailleur social » est ancien et déjà présent dès la fin du 19e siècle, il recouvre en fait trois métiers historiques assez contrastés : « assistantes sociales, éducateurs spécialisés, animateurs socioculturels ; trois métiers également d’ancienneté très différente, d’origine diverse, “ parrainés ” par des professions libérales ou intellectuelles tout aussi diverses, et relevant de traditions culturelles variées, sinon opposées »[4].
Il faudra attendre la décennie 1970 et la montée en puissance de nouvelles générations pour assister à une unification des vocables sous la terminologie de « travailleur social » qui signe la professionnalisation de personnes intervenant dans des domaines très différents mais ayant des caractéristiques individuelles similaires et partageant « globalement les mêmes idéaux culturels ; et surtout, ils sont tous fortement soucieux de se démarquer des origines charitables ou militantes de chacun de ces métiers »[5], et cela en dépit du fait qu’il subsiste dans ces professions beaucoup de bénévolat, d’emplois précaires et de temps partiel qui sont même probablement encore numériquement dominants de nos jours. Autrement dit, l’appellation unique de « travailleur social », même si elle ne porte que sur une minorité d’individus, a contribué à donner à l’ensemble du groupe, une visibilité plus grande et à fédérer des métiers parfois encore en opposition.
Le vocable d’« intervenant » représente d’ailleurs lui-même une nouvelle évolution apparue à partir des années 1990 dans la terminologie et qui a renforcé la tendance unificatrice du statut de travailleur social. Mais en définitive, en faisant des travailleurs sociaux un ensemble flou et une masse indistincte, ne contribue-t-on pas aussi à masquer les profondes différences idéologiques qui se profilent derrière les interventions aussi diverses que celles de médiateur familial, d’accompagnateur éducatif et social ou d’animateur de quartier… ?
Les organismes au service desquels les travailleurs sociaux interviennent sont aussi très variables : administrations publiques, entreprises privées[6], associations…, comme d’ailleurs les publics auxquels ils s’adressent : jeunes enfants, personnes en grande précarité, handicapés, délinquants, malades…
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Quand la situation fait la fonction. Agir en travailleur social
Lionel Francou (doctorant en sociologie à l’UCLouvain et professeur invité à l’ISFSC, filière assistant social
En Fédération Wallonie-Bruxelles, le paysage des politiques sociales et socioculturelles (dont l’éducation permanente) s’est complexifié institutionnellement lors de ses transformations successives depuis la seconde moitié du 20e siècle. Face aux demandes des usagers, les professionnels de terrain sont amenés à redéfinir les contours du métier de travailleur social au fil de leurs pratiques.
Ces dernières décennies, les politiques qui entendent produire des effets sur « le social » se sont complexifiées, notamment du fait de la superposition de référentiels hérités d’époques successives (marquées par des points de rupture comme la crise des années 1970, mais aussi des processus de fond comme l’essor du new public management) ayant dessiné des discours et logiques d’action spécifiques, qui coexistent désormais et dont la complémentarité n’est pas toujours éprouvée. Comme l’explique Jacques Moriau[1], en Belgique, le secteur associatif s’est transformé en profondeur au cours du 20e siècle, allant d’une structuration initiale en piliers au triomphe de l’appel à projets, en passant par la reconnaissance des initiatives issues de mouvements sociaux, qui se sont ensuite professionnalisées (comme l’alphabétisation, l’accompagnement scolaire ou une série de mouvements visant à la démocratisation de la culture). On assiste à une superposition progressive de différentes logiques et à la multiplication de métiers du « social » (animateurs socioculturels, intervenants sociaux, médiateurs sociaux…) allant de pair avec la formation de ce que certains auteurs ont qualifié de « nouvelles règles du social »[2]. Ce contexte conduit à s’interroger sur la porosité des frontières entre ces différents métiers et sur ce qui amène un professionnel à s’identifier ou non à la figure du travailleur social (un diplôme, une pratique, une éthique, des missions…).
Au sein des institutions de la lutte contre la pauvreté, comme les CPAS ou le secteur du sans-abrisme, où les travailleurs ont affaire à des usagers en situation de (grande) précarité par rapport auxquels ils poursuivent des objectifs très ciblés, individuels, d’accompagnement et d’aide sociale (à la fois financière et matérielle), le travail social prend des contours assez clairs. Dans d’autres domaines du « social », les travailleurs font face à des situations plus floues, où leur apport est moins évident, leur intervention moins décisive ou en tout cas ses effets moins directement visibles et quantifiables. Tant les politiques sociales territorialisées[3] que l’éducation permanente, malgré des différences de principes et de modalités d’action marquées, reposent sur des intervenants dont le lien au travail social est ambivalent. Comme l’explique Didier Vrancken[4], le travail social s’est professionnalisé tout en se spécialisant, ce qui le rend, tout particulièrement en Belgique, « diversifié, difficilement cernable, voire même quantifiable », et ce d’autant plus qu’il prend en grande partie forme au sein d’associations subsidiées, plutôt qu’au sein d’institutions étatiques, le tout dans un système institutionnel complexe.
Professionnalisation et spécialisation des métiers du social
Alors que le travail social s’est professionnalisé tout au long du 20e siècle[5] – malgré l’émergence de « petits boulots du social » et de nouvelles formes de volontariat[6] –, développant ses pratiques et se dotant de formations ad hoc, mais aussi de contrats de travail, d’horaires et de rémunérations, il s’est aussi spécialisé, chaque secteur se dotant d’objectifs, d’usagers-cibles ou de méthodologies spécifiques. Dans ce texte, j’entends mettre en avant cette spécialisation fonctionnelle des métiers du social, redoublée par le succès de la logique de l’appel à projets, d’une part, et la manière dont en situation, dans la relation à l’usager, l’intervenant social se trouve régulièrement placé face à des dilemmes qui l’obligent à poser des arbitrages entre différentes valeurs (entre autres professionnelles et morales) qui sous-tendent son action, d’autre part.
Je m’appuierai pour ce faire sur ma recherche doctorale en cours qui porte sur l’action publique en matière de « vivre-ensemble » à Bruxelles et sur les conditions de sa mise en œuvre par différents professionnels de terrain. Dans le cadre de cette recherche, j’ai mené entre 2015 et 2018 près de soixante entretiens approfondis, réalisé plusieurs dizaines d’observations directes et formé un corpus de documents (textes législatifs et réglementaires, littérature grise, flyers…). Je me pencherai particulièrement ici sur des entretiens réalisés avec des travailleurs évoluant dans les secteurs de la cohésion sociale et de l’éducation permanente. Alors que l’éducation permanente a été formalisée en 1976 au moyen d’un décret qui entendait promouvoir une action publique émancipatrice passant par la reconnaissance de l’expertise d’un tissu associatif, sa mise en œuvre concrète s’est heurtée à une révision à la baisse des moyens financiers et à « une logique de rationnement progressivement de plus en plus nette [qui] s’est imposée dès le départ »[7]. Quant à la politique de cohésion sociale menée par la Commission communautaire française (COCOF) de la Région de Bruxelles-Capitale, elle finance essentiellement des activités visant à suppléer d’autres politiques pour apporter des réponses à une série de problématiques sociales touchant particulièrement certains territoires bruxellois (soutien scolaire ; alphabétisation et cours de français ; permanences sociojuridiques ; échanges interculturels entre citoyens…). Ces deux politiques publiques ont en commun qu’elles financent souvent des associations qui sont également subsidiées par ailleurs – que ce soit par nécessité financière ou du fait d’une évolution du projet de la structure[8] –, cumulant l’inscription dans l’une de ces deux politiques avec l’autre, ou avec l’insertion socio-professionnelle, par exemple, ce qui peut créer des tensions entre des logiques d’action parfois difficilement compatibles. C’est d’autant plus le cas dans un contexte où « c’est désormais la logique du projet, du contrat, de la convention… ou encore du mandat qui prévaut »[9], ce qui place « une multitude d’institutions en concurrence pour s’approprier des ressources limitées, obligées de s’adapter constamment aux formulations changeantes d’un politique avant tout soucieux de court terme »[10]. Ces deux politiques partagent aussi le fait qu’elles privilégient majoritairement le travail en groupe à l’accompagnement individuel. Aucune des deux n’impose l’embauche de travailleurs disposant de diplômes spécifiques, ce qui débouche sur une diversité de profils importante (travailleurs sociaux, animateurs, formateurs…). Celle-ci est d’autant plus grande que, comme le souligne Jean-François Gaspar, en Belgique francophone, les formations d’assistant social, surtout, mais aussi d’éducateur spécialisé ou d’infirmier en santé communautaire, mènent aux « métiers canoniques du travail social ». Quant aux « animateurs », ils peuvent tout aussi bien avoir obtenu un diplôme de l’enseignement secondaire (après avoir suivi une filière technique de qualification), de différentes formations dispensées dans les hautes écoles, ou être passés par des formations en communication dans l’enseignement supérieur.[11]
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[Cahier Spécial] L’évolution du sens du travail social. Une rencontre avec Marie-Christine Renson, assistante sociale aux Services sociaux des quartiers 1030
Christine Machiels (historienne au CARHOP asbl,
enseignante à l’Institut Cardijn-HELHa)
On dit souvent des assistants sociaux qu’ils n’ont pas de mémoire collective. Dans un objectif de transmission, m’est venue l’idée d’aborder ce chantier d’histoire en allant d’abord à la rencontre de l’une d’entre elles[1]. Marie-Christine Renson travaille à Schaerbeek, dans le quartier où se situe le siège social du CARHOP, une association qu’elle connait bien. Il y a quatre ans notamment, elle sollicitait le CARHOP pour coconstruire l’histoire associative du GAFFI, groupe d’animation et de formation pour femmes immigrées du quartier, dont elle est la présidente[2]. Ma préparation à entrer dans l’« histoire singulière »[3] d’une assistante sociale m’a d’emblée permis de nuancer le constat des historien.ne·s et des sociologues sur l’absence de mémoire collective des travailleurs sociaux. Dès mes premières recherches, je découvre que les Services sociaux des quartiers 1030 de Schaerbeek et Saint-Josse-ten-Noode, où elle travaille depuis plus de 40 ans, ont régulièrement activé cette dynamique de la transmission au travers de l’écriture de l’histoire de leurs différents projets : sur le comité de quartier Botanique (1979, 1987), sur l’Union des locataires (1984), sur la lutte des habitants de l’îlot Lotimo (1991).[4]
Comment cette dynamique de transmission (originale ?) contribue-t-elle à questionner la légitimité des actrices et des acteurs de l’intervention sociale et de leurs pratiques, hier et aujourd’hui ? Il faut reconnaître que ces traces de l’action sociale laissées par les Services sociaux des quartiers 1030 relèvent davantage d’une contribution à l’histoire des luttes urbaines, menées par les acteurs associatifs de quartiers, que d’une mémoire centrée sur les pratiques des travailleurs sociaux et les questionnements qu’elles suscitent. En revanche, la démarche que mène l’équipe des Services sociaux des quartiers 1030 en 1995 est plus inédite. Cette année-là, plusieurs d’entre eux prennent la plume pour témoigner de leur expérience de travailleur social. Les textes sont réunis dans un livre 20 ans de travail social : entre cauchemar et espoir. À côté des propos immédiats que suscite leur expérience de travail au quotidien, on y découvre une réflexion sur le sens du travail social, qui mobilise parfois l’histoire sociale comme clé de compréhension : « Par toutes ses nouvelles mesures [nouveaux travailleurs sociaux, nouveaux fonds, nouvelles structures] et faute de pouvoir agir sur l’économique, le pouvoir politique remet le travail social en question et nous force dès lors à nous redéfinir. Réfléchir sur le sens du travail social, ses missions et son avenir, implique nécessairement de faire un détour par le passé. (…) En raison de sa position dans le champ social et parce qu’il est étroitement lié à l’histoire des solidarités, le travail social est condamné à réfléchir sur sa pratique et partant, à se transformer »[5].
Aujourd’hui, plus de vingt ans sont passés ; si la démarche sociohistorique n’a pas perdu de sa pertinence, le sens du travail social gagne à être à nouveau questionné, à l’aune des mutations contemporaines. C’est dans cette perspective que s’inscrit ma rencontre avec Marie-Christine Renson, qui travaille aux Services sociaux des quartiers 1030 depuis 1974. Mes questionnements, je les emprunte à Joseph Rouzel, éducateur spécialisé et psychanalyste, qui, pour introduire un numéro de la revue de l’Institut régional de travail social (IRTS), Le sociographe, spécialement dédié au thème « L’histoire en pratiques » (septembre 2000) écrit : « Du côté des travailleurs sociaux, l’histoire singulière rencontre une histoire professionnelle. Des histoires de vie conduisent à des engagements, des convictions, une éthique. Comment s’inscrivent les travailleurs sociaux dans l’histoire des institutions ? Qu’en retiennent-ils ? Qu’en savent-ils ? Est-ce un point d’appui dans leur pratique ? Comment font-ils cas des histoires singulières des personnes prises en charge ? »[6].
Questionner les institutions
Notre rencontre a lieu dans les locaux du CARHOP, situés dans le bâtiment de l’école sociale de la rue de la Poste (aujourd’hui l’Institut supérieur de formation sociale et de communication, l’ISFSC), à Schaerbeek. C’est là que Marie-Christine Renson a suivi sa formation d’assistante sociale. Le lieu rappelle des souvenirs ; j’avais anticipé sur le contexte de l’interview et retrouvé dans les collections du CARHOP son mémoire de fin d’études, intitulé « Un projet éducatif dans le cadre d’un travail social en milieu scolaire ». Ces mémoires sont une source formidable pour les historien.ne.s. Ils témoignent tout autant de réalités sociales que d’un discours réflexif sur ces réalités, inscrits dans un contexte sociopolitique souvent décrit.[7] L’occasion est belle de lui rappeler ses premières interrogations. En effet, à partir de son expérience de stage dans une école de Schaerbeek, en 1974, Marie-Christine Renson questionne les institutions. Elle écrit, par exemple, sur la relation entre l’école, les services sociaux et le quartier : « Face à la réserve manifestée par les parents à l’égard des services sociaux, je me pose la question de leur intégration dans une vie de quartier »[8].
La critique est spontanée et témoigne d’une réflexion de terrain. Mais, il y a aussi, à l’origine de ces questionnements et des manières de les formuler, une personne : Pierre Massart, Frère des Écoles chrétiennes, qui travaille comme instituteur primaire dans une école de Schaerbeek. « Haut personnage du quartier », celui-ci s’engage dans l’insertion et l’accueil des migrants, particulièrement des populations turques et marocaines, qui arrivent massivement dans le cadre des politiques de regroupement familial dans le quartier. Témoin des mutations que connaît la ville de Bruxelles, celui-ci fait partie du « croissant pauvre, allant de Schaerbeek jusqu’à Saint-Josse-ten-Noode au nord, via Molenbeek et Anderlecht à Saint-Gilles au sud, tout en incluant la partie occidentale du Pentagone. Les travailleurs immigrés se sont quasi exclusivement installés dans ces quartiers à cause de leur faible niveau de revenus et du mythe du retour »[9]. Ils y trouvent des logements vétustes, parfois insalubres, que des propriétaires louent sans toutefois les entretenir ; Schaerbeek, menacé par le projet urbanistique « Plan Manhattan »[10], est voué à une démolition certaine.
Pierre Massart (1933-2016) [11] Frère des Écoles chrétiennes, Pierre Massart s’installe à Schaerbeek en 1970 avec la volonté d’enseigner dans les quartiers pauvres. Il enseigne notamment dans des écoles primaires du réseau libre catholique subventionné de Schaerbeek, dont l’École Saint-Joseph (rue L’Olivier), l’École Saint-Augustin (rue de la Ruche), l’École Sainte-Marie (rue Philomène). Militant à Hypothèse d’école[12], il lance en 1972, une première école de devoirs et ateliers de créativité Rasquinet. À partir de cet engagement, il s’insère et participe aux associations qui mènent les luttes urbaines de Schaerbeek. |
Les écoles de Schaerbeek subissent l’arrivée des populations turques et marocaines, sans aucune préparation, aucune réflexion et aucun moyen. Pierre Massart perçoit alors l’importance de ces questions : méconnaissance de la langue, du système d’enseignement, et, malgré tout, une attente énorme vis-à-vis de l’école, car elle fait partie du projet migratoire des parents. « On a vu arriver dans les écoles, des populations de familles entières, des gosses qui n’avaient jamais mis les pieds à l’école, notamment des filles » explique Marie-Christine Renson. « C’était Pierre Massart qui était venu me chercher », poursuit-elle, « qui m’avait proposé ce stage. Il m’avait dit : ton boulot, c’est de faire le lien école-famille-quartier, [autrement dit] essayer d’aider à l’intégration, voir comment on pouvait faire pour ouvrir l’école aux milieux, à la population qu’elle était censée accueillir, (…), faire le lien avec les familles, faire un travail, on pourrait dire maintenant d’éducation permanente, avec les familles sur le rôle de l’école ».
Éducation permanente, le mot est lancé. Il n’est pas étranger à Marie-Christine Renson, alors étudiante, qui s’est sentie baignée, le temps de sa formation, dans une réflexion visant à se positionner comme assistante sociale, « actrice de changement ». C’est dans l’air du temps : à partir d’expériences associatives, allant toutes dans le sens des mouvements de travail social communautaire et des mouvements d’émancipation, se met en route le secteur de l’aide aux personnes ambulatoires [aujourd’hui, le secteur de l’action sociale et de la santé de la Commission communautaire française (COCOF) et de la Commission communautaire commune (COCOM)]. Plusieurs enseignant.e.s de l’école de la rue de la Poste sont engagés au sein d’une association-pilote à Schaerbeek : la Gerbe asbl. Celle-ci s’inscrit au sein du mouvement d’antipsychiatrie qui explose en Europe[13]. La Gerbe se structure comme « équipe de travail en milieu ouvert de la protection de la jeunesse, centre de santé mentale, et équipe de développement communautaire »[14]. En plus de ces missions, elle réalise autour du psychologue, Jacques Pluymaekers, un travail important de formation, de révision de travail et d’encadrement de jeunes travailleurs sociaux (éducateurs, animateurs, travailleurs psychosociaux, assistants sociaux) dans le quartier.
Lorsqu’au moment de son stage, Marie-Christine Renson amorce une première réflexion sur son rôle d’assistante sociale au sein d’une école, ce terrain entièrement nouveau, elle est baignée dans le contexte de ce mouvement de l’antipsychiatrie, mais également des mouvements antiracistes. Ses principales interrogations portent sur les enjeux et les liens institutionnels, sur le sens de son travail, qui n’est pas de créer un service social classique dans une école, mais d’ouvrir le champ du possible, dans une perspective de changement social. Marie-Christine Renson se souvient : « Je pense que si j’ai pu émettre des réflexions de ce type-là, c’est certainement par des rencontres, parce que j’ai rencontré des gens qui étaient questionnant là-dedans, parce que c’étaient des courants d’époque. Je pense quand même que les années 1970, (…) c’était des années où le champ d’intervention sociale était vierge, était en train de se créer… Il y avait du possible. (…) On était dans un courant de militance. L’associatif avait ce rôle d’interpellation du politique, de l’organisation, [de] ramener ce qu’il découvrait auprès des personnes, et essayer de le porter avec un message plus politique, plus opérationnel, de changement ».
En revanche, elle fait remarquer qu’à ce stade, elle ne fait pas encore le lien entre ce champ social qui se structure, et d’autres mouvements, comme les mouvements ouvriers ou les mouvements citoyens qui portent des revendications plus politiques. Certains militants ou intellectuels, qui habitent le quartier, font quant à eux certainement ce lien, et appellent à cette époque à une vision plus globale. Mais sur le terrain où elle se trouve, rappelle-t-elle, « on était très dans le « que faire ? », « qui suis-je ? » [comme assistante sociale], « pourquoi je le fais ? ». Est-ce que l’institution est adéquate ? Il faut changer l’institution, il faut changer les lois… On avait l’idée du changement, mais dans le sens d’une adaptation aux besoins réels des populations ».
Ouvrir le champ des possibles. De la théorie aux pratiques
À partir de son expérience de stage, Marie-Christine Renson fait plusieurs constats. D’abord, sur l’organisation spatiale du quartier et des écoles : « Tu avais les rues larges, les rues des bourgeois, et les rues étroites, avec les arrières maisons, les ateliers. C’était un quartier avec beaucoup d’ateliers, c’étaient les milieux populaires. Et tu avais les grosses écoles comme les Dames de Marie et Sainte-Marie qui se sont ouvertes bien plus tard à cette immigration car elles avaient encore la population traditionnelle du quartier, elles ont pu continuer à fonctionner…[15] Les écoles qui se trouvaient dans ces rues plus populaires, elles, elles n’avaient pas le choix. » C’est en effet une question de survie institutionnelle, mais aussi de volonté des pouvoirs organisateurs, pour ces écoles primaires du réseau libre catholique, comme l’École Saint-Joseph, rue L’Olivier, et l’École Sainte-Marie, rue Philomène, d’accueillir ces populations issues de l’immigration. Autrement, leur avenir est compromis dans un quartier voué à l’abandon, voire à la démolition. Il faut noter que, dans ce contexte, la majorité du bourgmestre Roger Nols[16] avait élaboré un plan de fermeture de dix écoles communales toutes situées dans les bas de la commune, soit dans les quartiers populaires et immigrés. Il s’agissait là d’une volonté claire d’abandonner tout investissement communal dans les quartiers populaires et immigrés du bas de Schaerbeek entre la gare du Nord et la ligne de chemin de fer de la moyenne ceinture passant à proximité de l’avenue Deschanel. Éventé, ce plan n’a pas pu être mis en œuvre. Il aurait mis en difficulté les très nombreuses familles du quartier ayant des enfants en bas âge.
Ensuite, Marie-Christine Renson assiste à l’impuissance des institutrices et des instituteurs qui, concrètement, doivent gérer l’accueil. Le choc culturel est intense : « [les instits] n’avaient jamais entendu parler de l’histoire de l’immigration, elles ne savaient pas que cela existait. (…) On leur apprend à enseigner à des petits enfants belges moyens des années 1970. Et puis, elles arrivent, et devant une classe où les filles, par exemple, elles ne savaient même pas s’asseoir sur une chaise parce qu’elles ne savaient pas ce que c’était un banc, elles s’asseyaient par terre… Les intellectuels turcs qui passaient ici, qui encadraient la population et qui nous ont aidés, disaient souvent qu’ils passaient en 4 heures d’avion du Moyen-âge à une société post-industrielle ». Ces familles turques viennent principalement d’Emirdağ, une région agricole du plateau d’Anatolie. Aucun des professeurs n’est préparé, par exemple, à enseigner le français comme une langue étrangère. Des familles marocaines s’installent aux côtés des familles turques : elles sont « moins nombreuses mais avec autant de difficultés d’adaptation à notre société occidentale. Elles ont cependant un avantage : une connaissance élémentaire du français »[17]. Dans ce contexte, le lien école-famille-quartier apparait important. Mais comment pérenniser cette action, puisque, dans le cadre scolaire, il n’existe pas, en dehors des PMS [les centres psycho-médico-sociaux], de structure qui permette d’engager une assistante sociale ?
La création des Services sociaux des quartiers à Schaerbeek et Saint-Josse-ten-Noode
Quand Marie-Christine Renson évoque son engagement au sein des Services sociaux des quartiers 1030, elle parle d’un « concours de circonstances positives ». Pour comprendre l’émergence de cette asbl, il faut faire appel au contexte de production des mesures législatives relatives à l’aide sociale.[18] En 1974, à l’heure du vote de la loi sur les Centres publics d’aide sociale (CPAS) qui réforme l’assistance[19], certains parlementaires du Parti social-chrétien (PSC) et du Christelijke volkspartij (CVP) craignent, avec la définition de missions des CPAS, pour la survie des services sociaux privés qui se sont particulièrement développés depuis la Seconde Guerre mondiale, notamment sous l’impulsion des milieux chrétiens. Ils conditionnent le vote de la loi sur les CPAS à l’adoption d’une loi visant à subventionner, au moins en partie, ces services sociaux privés (arrêté royal du Ministère de la Santé publique et de la Famille du 13 juin 1974). C’est pour obtenir cette reconnaissance que Paul Lauwers[20], doyen à Schaerbeek, a l’intuition de regrouper tous ces services paroissiaux, basés jusqu’alors sur le bénévolat en une seule asbl. Les subsides publics permettent d’engager des assistantes sociales. Il manque alors un troisième temps plein pour compléter une équipe qui ne se connait pas, mais qui a été formée pour obtenir la reconnaissance. Pierre Massart souffle le nom de Marie-Christine Renson. « Je suis arrivée là par hasard, pas par conviction », rappelle-t-elle. Les Services sociaux des quartiers 1030 sont nés en 1974. La même année, l’institution est reconnue et subsidiée comme « Centre de service social ».
Albert Martens, sociologue à l’Université de Louvain (KULeuven) et habitant du quartier, est membre du comité d’action du Quartier Nord (1968-1974) ; il accepte de présider le conseil d’administration de la nouvelle structure. Il impulse d’emblée « une vision positive du travail social » et un « esprit de cogestion ». Celui-ci est formalisé dans la rédaction d’une charte (1975), dans laquelle on peut lire : « L’asbl reconnaît au groupe des travailleurs sociaux, impliqués quotidiennement dans une pratique qui dicte leur travail, la faculté de déterminer ces priorités d’action, avec l’appui « technique » du conseil d’administration ayant du recul et d’autres acquis »[21]. Marie-Christine Renson raconte les débuts : « Au départ, c’était très théorique parce qu’on se connaissait très mal, on n’avait aucune pratique pour travailler ensemble, et on venait d’horizons différents [paroisses, écoles, service social de logement[22]]. (…) On a dû apprendre à se connaître et à travailler ensemble. (…) J’ai été marquée par le mouvement de travail social communautaire, qui nous a pas mal interpellés pour qu’on construise un projet qui sorte de l’assistanat, qui s’inscrive plus dans des actions sociales, collectives, communautaires, émancipatrices. C’était le leitmotiv complet, mais (…) il a fallu quand même beaucoup de temps pour que le projet devienne un projet de tout le monde, que [tout le monde] se l’approprie ».