Edito

Quelle médecine voulons-nous ? Des grands centres hospitaliers? Des médecins généralistes accablés par le travail dans un désert médical? Des soins médicaux réservés à ceux et celles qui ont les moyens de les payer? Il existe des mondes de différence en matière de services à la patientèle, en termes d’approches médicales et humaines et de moyens matériels. Par leurs spécificités, les maisons médicales participent à démocratisation de la médecine. Elles en repensent l’accès, les approches disciplinaires, les publics, etc. à travers ce numéro, plongez-vous dans leur histoire, avec, au cœur de leurs préoccupations : la santé pour toutes et tous ! Disons-le d’emblée, ce numéro en appelle déjà un autre, qui sera publié en mars 2025 et sera consacré aux expériences de terrain.

Bonne lecture !

Introduction au dossier : Les maisons médicales, le droit à la santé pour tous et toutes !

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Claudine Marissal (historienne, CARHOP asbl)

En Belgique, l’assurance maladie-invalidité obligatoire introduite en décembre 1944 pour les travailleurs et travailleuses salarié.e.s, et étendue par la suite à d’autres catégories de la population, a nettement démocratisé l’accès aux soins de santé. Pourtant, aujourd’hui encore, cet accès reste inégalitaire. Alors que les personnes les plus riches n’ont aucune difficulté à se faire soigner, les personnes aux revenus les plus faibles sont obligées de renoncer à des soins médicaux en raison de leur coût. D’après une étude récemment commanditée par l’Institut national d’assurance maladie-invalidité, « cet écart entre les individus avec les revenus les plus bas et les plus élevés est parmi les plus marqués de l’Union européenne »[1], une situation qui se détériore depuis une dizaine d’années en raison de la paupérisation de la population. Il en résulte que « la population vulnérable, qui a le plus besoin de soins de santé, est aussi la plus exposée aux risques de renoncement ou de report des soins de santé et de dégradation de l’état de santé. »[2] Parmi les obstacles à l’accès aux soins, l’étude pointe les frais médicaux qui, pour différentes raisons (conditions d’assurance, rémunération à l’acte des prestataires de soins, suppléments d’honoraires…) ne sont pas couverts par l’assurance maladie-invalidité et que les patients doivent donc débourser pour se faire soigner. Elle recommande dès lors des mesures pour garantir « l’égalité d’accès aux soins et protéger les patients contre les frais excessifs »[3]. Aujourd’hui, une nouvelle enquête de l’Institut Solidaris (le centre d’études et de sondages de la mutualité socialiste Solidaris) confirme une nouvelle fois les inégalités : 41% des Belges francophones déclarent avoir renoncé à un soin médical en 2024[4].

Le droit à la santé, un droit humain fondamental !

Le droit à la santé est pourtant un droit humain fondamental pour vivre dans la dignité, qui est inscrit dans la Déclaration universelle des droits humains de 1948, puis repris dans d’autres traités internationaux et dans la Constitution belge (art. 23). L’Organisation mondiale de la santé souligne d’ailleurs que « les pays ont l’obligation légale d’élaborer et de mettre en œuvre des lois et des politiques qui garantissent un accès universel à des services de santé qui soient de qualité et s’attaquent aux causes profondes des disparités en matière de santé, notamment la pauvreté, la stigmatisation et la discrimination »[5]. Cependant, dans une période de restrictions des financements publics, l’investissement dans les soins de santé est l’objet de tensions récurrentes qui font craindre une nouvelle dégradation des droits à la santé des patients.e.s les plus précarisés. C’est pourquoi la société civile monte aux créneaux pour dénoncer le désinvestissement de l’État, la marchandisation croissante des soins médicaux et le développement d’une médecine à deux vitesses. Elle réclame au contraire une sécurité sociale forte et des soins de qualité, centrés sur les besoins et les droits des patient.e.s, quels que soient leur condition sociale[6].

Les maisons médicales : des expériences innovantes et inspirantes

Cette situation tendue invite à s’interroger sur l’organisation des soins de santé et sur les améliorations possibles. Elle invite aussi à porter le regard sur des initiatives innovantes et inspirantes du passé. Les maisons médicales en font partie. Nées à partir des années 1970, elles s’intègrent dans un mouvement contestataire en réaction à des grèves de médecins qui défendaient leurs intérêts professionnels, mais aussi dans la foulée des idées de Mai 68. Des médecins, des infirmièr.e.s et d’autres prestataires de soins, dénoncent le corporatisme des médecins et les relations de pouvoir qui imprègnent l’exercice de la médecine. Ils rêvent d’une autre médecine, centrée sur les besoins des patient.e.s, avec une attention particulière pour les populations précarisées et vulnérables. Pour soigner efficacement, ils réclament aussi une prise en charge intégrée des malades et la prise en compte de leurs conditions de vie (cadre de vie, situation professionnelle et familiale, (non)accès aux droits). Il s’agit aussi d’associer étroitement les patient.e.s, en tant que sujets, à la construction de soins de santé efficaces, et de renforcer la médecine de première ligne pour en faire à la fois un outil de prévention et de soins, et un lieu d’intégration sociale.

Ces nouvelles orientations mènent à la création de centres de soins dénommés « maisons médicales » qui, chacun à leur manière, essaient de mettre en pratique une médecine de proximité à vocation sociale. À la fin des années 1970, des maisons médicales unissent leurs efforts pour défendre plus efficacement leurs revendications et leur modèle de soins et, en 1980, elles fondent la Fédération des maisons médicales qui luttera sans relâche pour une médecine accessible à tous et à toutes, dans le respect des besoins et des droits des patients. Aujourd’hui, cette Fédération regroupe 133 maisons médicales qui dispensent des soins à environ 300 000 patient.e.s wallons et bruxellois. Toujours agissante, la Fédération défend une médecine alternative à contre-courant de la gestion néo-libérale des soins médicaux.

Le défi de la transmission

Le projet militant des maisons médicales sera au cœur de deux numéros de Dynamiques. Encore trop largement inexploré, le sujet est riche et, comme le dévoilent les archives de la Fédération des maisons médicales confiées au Carhop en 2022, il permet d’envisager des thématiques aussi variées que l’interdisciplinarité des soins, les difficultés particulières de la patientèle (personnes à faibles revenus, femmes, migrant.e.s), l’humanisation des relations entre soignant.e.s et patient.e.s, l’expérience de l’autogestion, la co-construction de projets avec la patientèle, mais aussi les conflits avec les syndicats de médecins, les revendications auprès des autorités publiques et les acquis pour une médecine alternative[7].

Sortir de l’ombre ces initiatives inspirantes répond aussi au souhait de la Fédération des maisons médicales. À l’occasion de la commémoration de ses 40 ans en 2022, Sophie Bodarwé, chargée de projets à la Fédération, soulignait en effet l’importance pour les nouveaux travailleurs et travailleuses des maisons médicales, de connaître l’histoire de ce mouvement. L’histoire sert en effet de « levier de formation »[8] pour faire prendre conscience aux nouveaux travailleurs et travailleuses qu’ils s’inscrivent dans un projet collectif, politique et militant. Elle contribue au « défi de transmission, d’appropriation, défi pour trouver sa place. (…) Se souvenir de ce que les anciens ont mis au cœur de leurs luttes permet une vision à la fois large (le temps dans sa durée) et ciblée (l’objet de la lutte). (…) Gageons que les luttes et les succès actuels seront les normes de demain. »[9]

Au menu de Dynamiques

L’histoire des maisons médicales est riche, et deux numéros de Dynamiques permettront seulement d’en esquisser quelques facettes. Dans ce premier numéro, nous revenons sur la genèse du projet politique des maisons médicales et de leur Fédération, et sur l’importance accordée à la valorisation de leurs archives (car sans archives, pas d’histoire !). Mais comme une histoire gagne toujours à être contextualisée, nous nous attachons aussi à ancrer l’histoire des maisons médicales dans un passé plus ancien, en mettant en exergue le développement depuis le 19e siècle, d’autres initiatives médicales destinées aux populations vulnérables. Le prochain numéro, à paraître en 2025, mettra quant à lui en exergue quelques expériences novatrices des maisons médicales nées à partir des années 1970.

Commençons par les archives. Dans ce présent numéro, Marie-Laurence Dubois et Annette Hendrick nous expliquent la motivation des acteurs et actrices de la Fédération des maisons médicales à sauvegarder l’histoire de leur organisation. Il s’agit en effet de transmettre aux nouvelles générations de travailleurs et travailleuses, la mémoire d’un projet militant et politique. Une transmission qui passe nécessairement par le classement et la préservation des archives disséminées dans les armoires, mais aussi par la collecte des témoignages des acteurs et actrices de terrain. Cet article, qui montre un bel exemple de collaboration entre une association et des historien.ne.s-archivistes, pointe aussi le défi de la conservation des archives pour des associations privées de moyens humains et financiers en suffisance.

Pour ancrer l’accès aux soins médicaux dans la longue histoire, Renée Dresse revient sur le long cheminement qui, du 19e siècle aux années 1960, a mené à une lente (et incomplète) démocratisation des soins de première ligne. Au 19e siècle, dans une société rongée par les mauvaises conditions de travail, la précarité et l’absence de protection sociale, des initiatives existent pour offrir des soins de santé aux plus démunis. Mais, la plupart du temps laissées aux bons soins de l’initiative privée, elles manquent de cohérence et de moyens et elles ne peuvent répondre aux immenses besoins sanitaires. Cependant, à la fin du 19e siècle et durant la première moitié du 20e siècle, le soutien de l’État aux mutualités et à l’assurance maladie-invalidité provoquent l’essor inédit de structures médicales professionnalisées qui élargissent incontestablement l’accès aux soins préventifs et curatifs.

Malgré ces améliorations, une large partie de la population peine toujours à se faire soigner, et la philanthropie déploie toujours des efforts pour leur venir en aide. C’est ce que montre Claudine Marissal dans  l’Entr’aide des travailleuses, une association catholique fondée en 1925 dans un quartier paupérisé bruxellois. Durant l’entre-deux-guerres, elle met déjà en œuvre différents aspects de la médecine sociale de première ligne qui sera (re)valorisée par les maisons médicales des années 1970. Mais, nés dans un contexte politique et religieux très différent, les deux projets diffèrent profondément sur le plan politique. Pour cette association catholique, les soins de santé répondent en effet à un devoir de charité chrétienne, mais aussi à l’espérance de ramener des masses ouvrières dans le giron de l’Église.

Rien à voir avec le projet médical de Médecine pour le Peuple présenté par Marie-Thérèse Coenen. Cette fois, la motivation est clairement contestataire, voire révolutionnaire. C’est en effet dans la foulée des événements contestataires des années 1960 et de grèves ouvrières, que des médecins communistes décident de fonder des consultations médicales dans des quartiers populaires et ouvriers. Bientôt affiliées au Parti du travail de Belgique (PTB), ces nouvelles maisons médicales « Médecine pour le Peuple » entendent défendre le droit à la santé pour tous et toutes. Telle que pratiquée dans ces maisons médicales, la médecine donne aussi l’occasion de défendre collectivement des travailleurs et travailleuses frappés de maladies professionnelles, de remettre en cause les pratiques de la médecine privée, celles de l’Ordre des médecins et celles des firmes pharmaceutiques. C’est donc une réforme complète du système de soins qui est exigée, une posture qui causera de graves sanctions aux médecins de Médecine pour le Peuple, infligées par l’Ordre des médecins et les tribunaux.

Enfin, pour clore ce numéro consacré aux maisons médicales, Annette Hendrick et Jean-Louis Moreau reviennent sur l’émergence d’une nouvelle vague des maisons médicales à partir des années 1970, et sur la création de la Fédération des maisons médicales en 1980 pour mutualiser leurs efforts et défendre collectivement leur nouveau modèle de soins auprès des autorités politiques. Ils expliquent les priorités de la Fédération pour renforcer la médecine de première ligne, ses revendications pour le droit à la santé, ses succès (comme le financement au forfait) et les menaces qui guettent. À travers leurs propos, on perçoit aussi la pugnacité d’une initiative qui repose à l’origine sur des investissements bénévoles : il a fallu beaucoup d’efforts pour assurer la reconnaissance et la pérennité de ce modèle alternatif de soins, une lutte rendue encore plus ardue du fait des nombreuses reconfigurations institutionnelles.

Pour en savoir plus

    • DUBOIS M.-L. et HENDRICK A., Inventaire des archives de la Fédération des maisons médicales et collectifs de santé francophone (1966-2022), FMM, 2022.
    • MORMONT M. et ROLAND M., « Maisons médicales, semailles et germinations », Politiques, n° 101, septembre 2017, p. 28-37.

Notes

[1] BAETEN R., CÉS S., Les inégalités d’accès aux soins de santé en Belgique. Rapport de synthèse, Bruxelles, Observatoire social européen, 2020, p. 4, https://www.ose.be/sites/default/files/publications/2020_SC_RB_NIHDI-Report_Synthese_FR_0.pdf
[2] Ibidem, p. 26.
[3] Ibidem, p. 27.
[4] Institut Solidaris, « Renoncement aux soins pour des raisons financières, Solidaris, édition 2024 », 2024, https://www.institut-solidaris.be/wp-content/uploads/2024/12/Report-de-soins-2024-VF.pdf, page consultée le 17 décembre 2024.
[5] « Droits humains », site web de l’Organisation mondiale de la Santé, 1er décembre 2023, https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/human-rights-and-health, page consultée le 12 décembre 2024.
[6] Ces revendications ont fait l’objet de différents plaidoyers pour les élections de 2024. Parmi eux, citons celui de la Ligue des usagers des soins de santé (LUSS), qui fédère des dizaines d’associations de patient.e.s : « Mémorandum 2024 », https://www.luss.be/memorandum2024/ et « Accès à des soins de qualité en péril : la LUSS est inquiète ! », mars 2023, https://www.luss.be/wp-content/uploads/2023/03/202303-lacces-a-des-soins-de-qualite-en-peril.pdf, et celui de la Fédération des maisons médicales, Mémorandum 2023. Enjeux locaux, régionaux, fédéraux, européens, 2023, https://www.maisonmedicale.org/wp-content/uploads/2023/10/memorandum-elections-2024-Federation-des-maisons-medicales.pdf, consultés le 16 décembre 2024.
[7] DUBOIS M.-L. et HENDRICK A., Inventaire des archives de la Fédération des maisons médicales et collectifs de santé francophone (1966-2022), FMM, 2022.
[8] Sophie Bodarwé, « L’Histoire, un levier de formation », Santé conjuguée, n° 98, mars 2022, p. 19-20.
[9] Ibidem, p. 20.

Pour citer cet article

MARISSAL C. « Introduction au dossier : Les maisons médicales : le droit à la santé pour tous et toutes ! », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 25 : Les maisons médicales, le droit à la santé pour tous et toutes !, décembre 2024, mis en ligne le 18 décembre 2024, https://www.carhop.be/revuecarhop/.

Préserver l’histoire d’initiatives inspirantes: conserver les archives de la Fédération des Maisons médicales

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Marie-Laurence Dubois, consultante en gouvernance de l’information et archiviste (Valorescence)
Annette Hendrick, archiviste et historienne indépendante (ORAM)

Du témoignage à l’histoire en passant par les archives

Il est fascinant, pour qui se penche sur l’histoire de la Fédération des maisons médicales (FMM)[1], de voir avec quelle vigilance les témoignages de ses acteurs et actrices sont très tôt précieusement recueillis. Il n’est pas un congrès, pas un colloque ou un anniversaire où l’on n’évoque les moments forts du mouvement. On y fait parler les « ancien.ne.s ». Démarche didactique : il s’agit de mobiliser les plus jeunes, de les enraciner dans une histoire très riche et de les encourager à s’approprier des valeurs sans cesse réactualisées.

Depuis longtemps, différentes initiatives sont prises aussi pour tenter d’écrire l’histoire de la Fédération. Cependant, pour qui veut passer du simple témoignage à l’histoire, il y a un saut qualitatif à franchir. L’histoire repose sur une analyse critique de sources primaires (les archives) et la mise en œuvre de ces sources dans le cadre d’une synthèse qui inscrirait le mouvement des maisons médicales dans un contexte politique, social, économique et médical.

Conditionnement des archives dans les locaux de la FMM en 2021 (©DuboisML).

Pas d’histoire, donc, sans archives. Conscient.e.s de ce fait, Corinne Nicaise, responsable communication de la Fédération, et Mourad Benmerzouk, documentaliste, ont progressivement rassemblé les archives confiées par des collègues, fondateurs et fondatrices et ancien.ne.s travailleurs et travailleuses. Ils prennent néanmoins conscience qu’à moyen ou long terme, ces documents peuvent disparaître, que ce soit à l’occasion de travaux, déménagement, changement de direction, etc. Certain.e.s au sein de la Fédération, prônant une politique « zéro papier », sont enclins à faire place nette, quitte à numériser quelques séries. Or, généralement, la numérisation porte non tant sur les archives proprement dites que sur les séries de publications, alors que celles-ci sont plus faciles à trouver en bibliothèque.

Ceci fait ressortir l’importance de la démarche entreprise en 2018 à l’initiative essentiellement de Corinne Nicaise. À l’automne 2018, celle-ci prend contact avec Marie-Laurence Dubois (Valorescence, spécialisée en gouvernance de l’information et archivage) et lui fait part du souhait de la Fédération de s’occuper enfin des nombreux classeurs et documents accumulés au fil des années dans ses bureaux, sis boulevard du Midi à Bruxelles. L’objectif est de trier et d’organiser ces archives pour en assurer une préservation à long terme et, surtout, leur redonner vie.

Cette démarche répond à deux motivations distinctes. La première est d’ordre pédagogique : il faut transmettre l’histoire de la Fédération à ses nouveaux travailleurs et travailleuses, dont le nombre augmente. Beaucoup, né.e.s dans les années 1990, comprennent mal le fonctionnement des maisons médicales car ils et elles ignorent par exemple à quel point le bagage génétique des maisons médicales est marqué par les évènements de mai 68, par le rejet de l’hospitalocentrisme et par l’idéal de type communautaire qui s’exprime par la médecine de groupe. Ils et elles ignorent aussi à quel point la mise en place du paiement au forfait en 1982 représente une rupture par rapport au système du paiement à l’acte. Conserver et organiser les archives permet de préserver la mémoire collective, d’expliquer les valeurs et les choix historiques qui ont façonné la structure actuelle des maisons médicales.

D’un autre côté, plusieurs membres fondateurs désirent que le 40e anniversaire de la Fédération, en 2021, soit l’occasion d’une rétrospective plus globale sur son histoire. Un groupe de travail est d’ailleurs mis en place pour l’écrire. Ce projet est aujourd’hui partiellement atteint. Le 40e anniversaire est donc une nouvelle occasion de faire parler un grand nombre d’acteurs et d’actrices du mouvement. Pas moins de 20 podcasts et un numéro spécial de Santé conjuguée sont consacrés à ce travail de mémoire. En outre, une brochure historique et didactique est rédigée par deux historien.ne.s, Annette Hendrick et Jean-Louis Moreau, et publiée en janvier 2022. Ce sont là des matériaux intéressants pour celles et ceux qui veulent accéder à l’histoire de la Fédération.

Quant au projet « archives », il aboutit par le versement au Centre d’animation et de recherche en histoire ouvrière et populaire (CARHOP). Dans ce centre d’archives privées reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, les archives sont conservées dans de bonnes conditions et accessibles à tou.te.s.

Signature de la convention officialisant le dépôt des archives au CARHOP en septembre 2022 : de gauche à droite : Sandra Mordant (FMM, directrice administrative et financière), Monique Van Dieren (CARHOP, présidente), François Welter (CARHOP, directeur), Fanny Dubois (FMM, secrétaire générale), Marie-Laurence Dubois (Valorescence), Camille Vanbersy (CARHOP, directrice-adjointe), Corinne Nicaise (FMM, chargée de communication) (©NicaiseC).

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Des soins de santé pour tous et toutes : un projet qui s’ancre dans la longue Histoire

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Renée Dresse (historienne, CARHOP asbl)

Au Moyen Âge, l’entraide familiale, la bienfaisance venant du riche ou des congrégations religieuses, constituent le cœur de l’aide apportée aux malades, invalides et pauvres valides. Puis, les autorités publiques, voulant briser le monopole de l’Église dans ce domaine, complètent ces initiatives avec l’instauration d’institutions locales.

Au 19e siècle, l’insécurité des milieux de travail, les horaires de travail trop lourds (10 à 12 heures en moyenne de travail par jour), la cadence imposée par le patron, la faiblesse salariale qui ne permet pas une alimentation correcte, le manque d’hygiène des lieux de vie, sont autant de facteurs qui nuisent à la santé des familles ouvrières. Des initiatives pour leur venir en aide se multiplient. Le secteur privé, via des associations et l’action de particuliers, reste très présent. Certaines bénéficient dès la fin du 19e siècle d’une contribution des pouvoirs publiques locaux et provinciaux. De son côté, l’État, pressé par le mouvement ouvrier, instaure peu à peu un système de solidarité qui va répondre à une grande partie des besoins en matière de santé de la population.

L’initiative privée

Au 19e siècle, aucune loi ne protège l’ouvrier et sa famille face aux aléas de la vie. L’industrie rend malade, blesse, tue. Des recours existent : les uns relèvent de la bienfaisance, les autres d’un système d’assurances précaire, la société de secours mutuels.

La bienfaisance privée

Au 19e siècle, des lieux, gérés principalement par des congrégations religieuses et/ou des hommes et femmes d’œuvres, procurent les soins nécessaires aux malades ou victimes d’accident. Ainsi, l’œuvre du Calvaire, fondée en France en 1842, s’étend en Belgique à la fin du siècle grâce à un jésuite, le père Adolphe Petit. Il y a d’abord un hospice pour femmes qui ouvre ses portes à Bruxelles le 8 décembre 1886. Appelé également le château des pauvres, il dispose de 40 lits « où l’on reçoit des pauvres cancéreuses dont on console et sanctifie la fin, si l’on ne peut aider à les guérir, et des malheureuses, défigurées par le lupus, qui viennent chercher là de l’occupation et un milieu sociable que le monde refuse à leur repoussante laideur »[1]. Ces malades sont suivies par des médecins et entourées par des « Dames, veuves » qui apportent un réconfort religieux et/ou des soins aux malades. « Sous elles, des filles auxiliaires, dont plusieurs sont cancéreuses guéries, les assistent gratuitement, font les travaux de ménage. »[2] Par la suite, cette institution centrale met en place des dispensaires en d’autres endroits de Bruxelles et aussi à Gand (1896), Liège et Seraing (1901). Ce sont des locaux, équipés d’appareils, qui accueillent trois fois par semaine des femmes malades pauvres. Elles y bénéficient des soins de médecins et de « Dames » ou « Demoiselles ».

Certains patrons ne sont pas en reste : ils installent dans leur usine, à l’intention de leurs ouvriers, un dispensaire leur fournissant les premiers soins en cas d’accident ou de malaise. La société, Les Charbonnages de Mariemont-Bascoup à Morlanwelz, organise pour ses ouvriers actifs ou non (plus âgés) et leur famille, un service sanitaire en échange d’une cotisation. Les anciens ouvriers invalides, pensionnés ou non, les veuves et les enfants des ouvriers décédés sont exempt.e.s de cotisation. Ce service leur permet de bénéficier des soins des médecins des charbonnages, y compris à domicile, de se fournir en médicaments auprès de pharmaciens, et de recevoir un équipement spécial comme une jambe de bois, des yeux artificiels, etc.[3]

Certaines associations s’intéressent aussi à l’enfance souffrante. C’est le cas de l’infirmerie Sainte-Élisabeth établie à Verviers en 1879 : « Le but est d’y soigner gratuitement les maladies aiguës des enfants pauvres du sexe féminin (restriction provisoire, j’espère[4]) et un certain nombre d’affections chroniques »[5].

Les sociétés ou caisses de secours mutuels

Le rôle de ces caisses de prévoyance doit permettre aux ouvriers de se prémunir contre les risques encourus (maladie, accident, décès mais aussi vieillesse). Essentiellement d’origine privée, ce sont des organisations héritées des anciennes corporations où les membres d’une même profession s’entraidaient.

Ces sociétés sont créées par des hommes d’œuvres dans les paroisses et non loin des milieux industriels. Certains patrons proposent également à leurs ouvriers leur propre société de secours. C’est le cas de l’usine L.A. Legrand à Vilvorde qui fournit, via sa société de secours mutuels, les secours médicaux et pharmaceutiques ainsi qu’une indemnité salariale, ou encore la Caisse de secours de la Société des mines et fonderies de zinc de la Vieille-Montagne à Angleur qui donne gratuitement les soins nécessaires aux ouvriers malades ou accidentés et les étend aux membres de leur famille habitant sous le même toit.

Les bienfaits de la mutualité selon THIRY A., Amélioration morale et matérielle de la classe ouvrier, Bruxelles, 1897, p. 23.

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Médecine pour le Peuple : des maisons médicales luttent pour le droit à la santé

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Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

« Patients et soignants, même combat » : Médecine pour le Peuple à la manifestation du secteur non-marchand à Bruxelles, 7 novembre 2024 (CARHOP).

Dans le paysage de la médecine de première ligne, les maisons médicales de Médecine pour le Peuple occupent une place particulière. Pionnier dans la création des centres de santé de proximité, ce réseau coordonne aujourd’hui 11 maisons médicales multidisciplinaires, toutes affiliées au Parti du travail de Belgique (PTB-PvdA). Une appartenance politique qui ne ferme cependant la porte à aucun.e patient.e : comme le soulignent deux militantes interviewées pour cet article[1], « nous ne cachons pas nos engagements politiques, ni nos combats, mais nos maisons sont ouvertes et chacun.e reste libre d’adhérer ou non »[2]. Les 11 maisons médicales se situent en Flandre (Hoboken, Zelzate, Genk, Deurne, Lommel), en Wallonie (Marcinelle, Herstal, La Louvière, Seraing) et dans la Région de Bruxelles-Capitale (Schaerbeek et Molenbeek). Des médecins, des infirmier.e.s et du personnel d’accueil forment l’équipe de base, rejoints en fonction des besoins locaux par des kinésithérapeutes, psychologues, diététicien.ne.s et assistant.e.s  social.e.s. Médecine pour le Peuple regroupe aujourd’hui quelque 220 salariés, des bénévoles et environ 25 000 patient.e.s. Tous et toutes constituent la force de Médecine pour le Peuple et se sont mobilisé.e.s à de nombreuses reprises pour défendre ses médecins et son modèle de santé pour tous et toutes.

Hoboken en 1971 : ici on soigne « gratis »

L’origine de Médecine pour le Peuple remonte au 7 février 1971, lorsque Kris Merckx et Michel Leyers ouvrent leur premier cabinet médical à Hoboken, une commune ouvrière située près d’Anvers (aujourd’hui un district d’Anvers)[3]. Kris Merckx est un militant communiste. Pendant ses études de médecine à l’Université catholique de Louvain (1962-1968), il a milité pour la scission de l’université : une université pour les Flamands à Leuven, une pour les Francophones en Wallonie. Délégué des étudiants en médecine, puis pour l’ensemble des facultés, il a rejoint le syndicat étudiant marxiste, le Studentenvakbeweging (SVB) créé au printemps 1967. Ce syndicat fait évoluer politiquement la contestation étudiante vers une réforme fondamentale de l’université (participation, démocratisation, réforme des programmes) et milite pour l’ouverture de l’université à toutes les classes sociales, car il s’agit aussi de rapprocher l’université du peuple. En 1968, le SVB décide de sortir des auditoires pour aller vers la classe ouvrière.

Kris Merckx est diplômé en juin 1968, mais il poursuit une spécialisation en médecine interne et reste mobilisé sur différents fronts des luttes ouvrières : les grèves des mineurs du Limbourg (1968 et 1970), celles de Ford-Genk (1968) et Michelin (1969) ainsi que les longues grèves du textile à Gand et des chantiers navals de Cockerill Yards à Hoboken (4 mois en 1970). Présent sur les piquets dans le Limbourg et à Hoboken, Kris Merckx soigne gratuitement des mineurs grévistes et leurs familles. Quand en septembre 1970, le SVB se mue en parti politique d’extrême-gauche « Alle macht aan de arbeiders – Tout le pouvoir aux ouvriers » (AMADA-TPO), Kris Merckx fait partie des fondateurs[4].

De médecins à vocation sociale à Médecine pour le Peuple

C’est à Hoboken que quelques mois plus tard en octobre 1971, Kris Merckx choisit d’ouvrir un cabinet médical avec Michel Leyers (qui vient d’être diplômé médecin). Ce lieu n’est pas fortuit. C’est en effet à Hoboken que le délégué syndical des chantiers navals, Jean Saeys, avait attiré l’attention de Kris Merckx sur la maladie des brûleurs qui frappait ces ouvriers exposés aux vapeurs toxiques d’oxyde de zinc. Kris Merckx constate lui aussi les maladies des ouvriers, auxquelles il donne une dimension politique : à l’évidence, « le capitalisme rend malade. Sa loi est celle du profit maximal, la sécurité et la santé des travailleurs est seconde »[5]. L’observation des problèmes sanitaires amorce un travail de recherche pour en définir les causes. L’action politique suit : la dénonciation des conditions de travail, la reconnaissance comme maladie professionnelle et l’obligation pour l’entreprise de prendre en charge les victimes et d’installer des équipements de prévention.

Le délégué syndical Jean Saeys propose alors de rendre pérenne cette « médecine pour le Peuple » et, forts de ce soutien, Kris Merckx et Michel Leyers ouvrent leur cabinet médical « Médecins pour le Peuple ». Les familles ouvrières affluent : le tarif de la consultation correspond au montant INAMI qui est remboursé par la mutuelle, et le patient fait l’économie du ticket modérateur (supplément à charge du patient, que le médecin doit en principe lui réclamer)[6]. Ce n’est pas une médecine « gratuite », mais un acte médical au tarif INAMI, suivant le principe que les travailleurs cotisent à la sécurité sociale et que rien ne justifie de les faire contribuer davantage à leur santé. Ce n’est pas non plus une médecine « au rabais » : chaque consultation dure 20 minutes et plus si nécessaire. Innovante à plus d’un titre, l’approche du patient est aussi globale et politique. Bien avant le dossier médical global[7], les deux médecins établissent des fiches médicales par patient, ce qui leur permet de faire sur le temps long le suivi des pathologies et des protocoles de soin, mais aussi de repérer les récurrences. Parmi leur patientèle, ils observent sur des femmes migrantes, une ablation systématique de la vésicule, sans qu’elles puissent en expliquer les raisons. Ils dénoncent cette pratique d’interventions « inutiles » remboursés par l’INAMI et ils en tirent une conclusion mobilisatrice : « les soins de santé sont malades du capitalisme et de l’appât du gain »[8]. Au sein de leur patientèle ouvrière, ils constatent certaines pathologies surreprésentées et font le lien avec les conditions de vie, l’environnement et les effets de la pollution sur le développement des maladies, ce qu’ils dénoncent : vivre en bonne santé dans un environnement sain est un droit qui réclame une action politique.

L’initiative est un succès et, avec le soutien de syndicalistes et de patients, l’équipe s’étoffe et le cabinet devient maison médicale. Elle devient aussi un modèle à suivre : dans les années qui suivent, d’autres médecins d’AMADA-TPO décident à leur tour d’ouvrir des maisons médicale Médecine pour le Peuple.

Le Parti prend le relais

Au congrès d’octobre 1979, AMADA-TPO devient le Parti du travail de Belgique– Partij van de arbeid van België (PTB-PvdA). Le Congrès adopte ses lignes fondamentales et définit sa stratégie d’action. Un réseau de maisons médicales Médecine pour le Peuple est désormais coordonné par le Parti qui en assure le développement et porte ses revendications : la gratuité des soins de santé et des médicaments, la création d’un service national de santé avec des médecins salariés, la nationalisation de l’industrie pharmaceutique[9]. Le Parti met aussi à l’agenda politique des problématiques qui émergent des soins de première ligne, une pratique qui reste d’ailleurs toujours d’actualité : en 2024, Médecine pour le Peuple mène une enquête sur les troubles musculosquelettiques dans le secteur des titres-services, tandis que les député.e.s PTB dans les différents parlements appellent à l’élargissement de la reconnaissance de maladies professionnelles.

Dépliants de Médecine pour le Peuple, ca. 2024. L’association mène une action collective pour aider les travailleurs et travailleuses à obtenir la reconnaissance de leurs maladies professionnelles (CARHOP).

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Esquisse historique de la Fédération des maisons médicales

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Annette Hendrick (archiviste et historienne indépendant (ORAM))
Jean-Louis Moreau (archiviste et historien indépendant (ORAM))

Les antécédents (1964-1979)

Bien que née en 1980-1981, la Fédération des maisons médicales a des racines plus anciennes, qui plongent jusqu’aux années 1960 et plus précisément jusqu’à la grève des médecins de 1964.[1] Au lendemain de cet événement dramatique, un groupe de médecins, dont beaucoup travaillent dans de grands hôpitaux, s’insurgent contre le caractère corporatiste du mouvement dans lequel leurs Chambres syndicales les ont entraînés malgré eux. Ce groupe dénonce pêle-mêle : l’incohérence de la politique de santé en Belgique, la dévalorisation du rôle du médecin généraliste, la formation hospitalo-centriste des soignant.e.s, l’absence d’un système d’échelonnement des soins, la pauvreté de la médecine préventive, etc. De tendances philosophiques et politiques diverses – mais avec une nette tendance à gauche – il constitue une plateforme de réflexion, le GERM : Groupe d’étude pour une réforme de la médecine. À travers les Cahiers du GERM et d’autres publications, le groupe de médecins dresse un tableau des réformes du système de santé à entreprendre selon eux en Belgique. Les lignes de force de ce programme restent aujourd’hui pour une large part celles de la Fédération.

« Santé des plus pauvres : la course d’obstacles », Les cahiers du GERM, n° 9, mai 1987, p. 1 (CARHOP).

Parallèlement aux travaux du GERM, les premières maisons médicales sont fondées à partir de 1972 en réaction à une médecine technocratique et libérale et dans la foulée des événements de mai 1968. Elles réunissent des équipes interdisciplinaires de soignant.e.s de première ligne (médecins, infirmier.e.s, kinésithérapeutes), s’appuyant le cas échéant sur les compétences de psychologues, accueillant.e.s, assistant.e.s sociaux… Ces équipes fonctionnent en autogestion, sur un mode non hiérarchique. Influencées par les idées du GERM, elles entendent prodiguer des soins accessibles à tou.te.s, des soins continus (suivi des patient.e.s sur le long terme), des soins intégrés (qui mettent l’accent sur la prévention) et des soins globaux (en s’intéressant non seulement au somatique mais aussi au cadre de vie des patient.e.s, à leurs activités, à leur situation professionnelle, sociale, familiale).

Ces premières initiatives sont spontanées et non coordonnées, elles se concentrent essentiellement dans les centres urbains de Bruxelles, Liège et Charleroi. La plupart des maisons médicales (mais pas toutes) desservent des quartiers populaires. Elles revendiquent « la socialisation de la santé au lieu de la médicalisation de la société ». À la fin des années 1970, il existe une trentaine de maisons médicales.

La grève des médecins orchestrée par l’ABSyM[2] en 1979 semble avoir joué le rôle de catalyseur pour une structuration du mouvement des maisons médicales : celles-ci contribuent à briser la grève qu’elles jugent corporatiste et motivée essentiellement par l’appât du gain. Après un an de réflexion, une Fédération des maisons médicales est organisée en association sans but lucratif lors de l’assemblée générale de septembre 1980.

Le temps des utopistes (1980-1989)

La Fédération compte une trentaine de membres à sa fondation ; 35 en 1983 ; 40 en 1988 ; et 44 en 1990. Chaque année, ce sont donc une ou deux maisons médicales supplémentaires qui s’affilient durant cette période. Le groupe bruxellois est le plus important (17 équipes sur 35 en 1983, 20 sur 40 en 1988). Vient ensuite, par ordre d’importance, le groupe de Charleroi, avec une douzaine de maisons. Le groupe liégeois compte une demi-douzaine d’équipes en 1988. Et les maisons médicales de Tournai et Barvaux sont un peu isolées sur cet échiquier. Le nombre de travailleurs et travailleuses en maison médicale est évalué à quelque 220 en 1988, dont une centaine de médecins.

Faute de moyens, les premières années de la Fédération sont laborieuses : elle ne dispose d’aucun.e permanent.e, toute son action repose sur le bénévolat. De plus, sa tâche comme relais des maisons médicales vers la politique est compliquée par la deuxième réforme de l’État qui confirme que l’Assurance maladie-invalidité reste une matière fédérale mais que certaines compétences comme la prévention, l’agrément des hôpitaux et l’octroi de subventions à des structures de soins sont confiées aux Communautés. La coordination des politiques de la Fédération devient particulièrement compliquée lorsque les différents niveaux de pouvoir présentent des majorités asymétriques.

Disposant de peu de moyens propres, la Fédération peut néanmoins compter sur l’appui du GERM. Celui-ci contribue à la maturation du modèle du centre de santé intégré dont s’inspirent toujours les maisons médicales. Les permanent.e.s du GERM soutiennent les recherches-actions de la Fédération entre sa création en 1980 et la dissolution du GERM en 1994.

Sur le plan politique, la Fédération réussit à cette époque deux coups de maître : la reconnaissance du financement des soins au forfait et l’octroi de subsides aux Centres de santé intégrés (CSI).

Le financement au forfait (dit aussi à l’abonnement), organisé en 1982 par l’INAMI, est une des victoires les plus significatives des maisons médicales sur la médecine libérale. C’est à la demande de la Fédération et avec l’appui des mutuelles, des syndicats et du Groupement belge des omnipraticiens (GBO) que l’INAMI met en place le système. Celui-ci se base sur un contrat qui lie une maison médicale, un.e patient.e et sa mutuelle. Cette dernière verse un forfait mensuel à la maison médicale pour financer les soins de chaque patient.e inscrit.e. Les patient.e.s ne déboursent rien (sinon parfois un droit minime d’inscription). Le montant du forfait versé pour chaque patient.e inscrit.e en maison médicale est calculé en fonction de la moyenne nationale de consommation de soins.

Bien sûr, la formule du forfait a ses limites : seules les prestations couvertes par l’INAMI dans le système à l’acte sont concernées, soit celles des médecins, kinésithérapeutes et infirmier.e.s. La prise en charge psychosociale de l’abonné.e n’est pas couverte. Le système est donc boiteux par rapport au projet de médecine globale et intégrée voulu par les maisons médicales. Tel quel, il a cependant représenté un pas important pour améliorer l’accès aux soins (les patient.e.s ne doivent plus avancer l’argent des consultations). L’inscription des patient.e.s facilite aussi leur suivi individuel. À l’échelle du territoire desservi par la maison médicale, il rend possible des études épidémiologiques et stimule les démarches de prévention (les soignant.e.s ont intérêt à ce que la population qu’ils et elles soignent reste en bonne santé – cela leur coutera moins d’efforts).

Il y a malheureusement un frein à l’adoption du forfait : son montant est si bas que les maisons médicales rechignent à adopter le système. De ce fait, celles qui s’y engagent (à partir de 1984) rencontrent de grosses difficultés financières.

Au niveau de la Communauté française, la Fédération obtient en 1983 l’octroi de subsides aux « Centres de santé intégrés » (CSI) de première ligne, animés par des équipes interdisciplinaires. En 1986, la Fédération organise d’ailleurs son premier congrès sur ce thème : Le CSI, base d’une politique de santé. Cinq délégations étrangères y participent. Le financement des Centres de santé intégrés est toutefois remis en cause en 1986-1987 suite à un changement de majorité politique.

La nécessité de définir plus ou moins strictement le modèle de CSI que reconnaîtrait la Communauté française, suscite des conflits entre différentes tendances qui coexistent au sein de la Fédération. Ce n’est d’ailleurs pas le seul point sur lequel il y a des divergences. La nécessité d’un texte programmatique se fait cruellement sentir. En 1989, un premier essai est rédigé, intitulé Plateforme pour la Fédération des maisons médicales, qui ramasse en une page la conception de la politique de santé défendue par la Fédération. Ce texte liste aussi les fonctions que doit assumer l’équipe pluridisciplinaire d’un CSI. Il ne s’impose pas comme un modèle rigide, mais doit permettre l’évaluation de chaque maison médicale par rapport à un idéal.

La reconnaissance d’un modèle (1989-1997)

Affiche de promotion pour le premier colloque de la Fédération des maisons médicales, intitulé « Après 10 ans de Fédé, creusons-nous la cervelle », 9 et 10 juin 1990 (CARHOP).

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