Edito

François Welter (directeur, CARHOP asbl)

La livraison de Dynamique n°13 présentait un cadre ainsi que les mobilisations autour des écoles de devoirs au moment de leur émergence. Elle analysait les traces laissées par celles-ci tant dans les collections, les archives que dans les mémoires. Ce numéro se focalise maintenant sur les acteurs et actrices de terrain. Car, les écoles de devoirs ont avant tout un ancrage local très fort, vivant où s’investissent des militantes et des militants qui ont pour idéal, la lutte contre l’échec, l’égalité des chances et un projet culturel d’épanouissement pour les enfants des milieux populaires. Leurs motivations et les balises de leur action sont tantôt semblables, tantôt très différentes d’une « école » à l’autre. Avec cet angle d’approche, les témoignages personnels constituent un matériau indispensable à la compréhension de ce que sont les écoles de devoirs sur le terrain, dans leurs réalités quotidiennes. Nous vous invitons donc à vous plonger dans cette diversité de l’agir quotidien, qui, avec le recul que permet le temps qui passe, donne une réelle chance à beaucoup d’enfants et de jeunes qui mobilisent leur soutien. À ce titre, elles contribuent à transformer la société par petites touches vers plus d’égalité et de liberté de choix, ce qui est en soi un espoir.

Bonne lecture.

Pierre Massart & l’aventure Rasquinet. Première partie : fragments d’engagements

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Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

Pierre Massart est décédé le 20 janvier 2016 au Mont de la Salle à Ciney. Pour rendre hommage à cet homme d’action et de conviction, la revue Dynamiques. Histoire sociale en revue met l’accent sur les écoles de devoirs, dont il a été un pionnier au début des années 1970, mais ce n’est là qu’un aspect de ses nombreux engagements. Tout d’abord, Pierre Massart est Frère et a une vocation très précoce. Il a 37 ans et une expérience de vie derrière lui quand il s’installe à Schaerbeek. Commence, pour lui, l’aventure de Rasquinet et de l’APAJ (Association pédagogique d’accueil aux jeunes).

Dans le cadre de ce dossier, nous évoquerons le fondateur de Rasquinet, d’abord club des rues, ensuite centre d’expression et de créativité et école de devoirs pour les enfants immigrés du quartier Josaphat à Schaerbeek, en région bruxelloise. Nous laissons de côté, les autres initiatives, centre de formation, associations, groupes de réflexion, communauté de base, mandats institutionnels, engagements religieux et politiques etc. auxquelles son nom est attaché. Ce sera l’objet d’une notice biographique dans le Dictionnaire du mouvement ouvrier en Belgique, dictionnaire en ligne  accessible à tous et toutes [1].

Pierre Massart en compagnie d’enfants du quartier, dans la friche qui deviendra le parc Rasquinet, Schaerbeek, s.d. (Collection Rasquinet)

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Pierre Massart & l’aventure Rasquinet. Deuxième partie : Du Club des rues à l’école de devoirs

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Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

Pierre Massart est tourné vers les enfants, les enfants d’immigrés en particulier, par profession, par vocation, par choix, quand il s’installe à Josaphat, dans ce quartier où se concentrent dans les années 1970, les plus grandes précarités et injustices sociales. Souvent, il évoque la Messe des jeunes l’Olivier comme point de départ de son action, mais aussi ses expériences de moniteur en Champagne et auprès d’ATD Quart Monde en Île de France. Il y puise ses modèles pour agir : club des rues, terrain d’aventure, camps, centre d’expression et de créativité et enfin école de devoirs. Rasquinet est tout cela. L’association, dont le relais a été fait et l’avenir assuré, poursuit année après année, son projet pédagogique et éducatif dans le quartier, avec de nouvelles générations d’enfants dont les familles continuent à s’inscrire dans le mouvement des migrations.

Le Club des rues

De septembre à décembre 1972, Pierre, Jeanne et des jeunes de la Messe des jeunes lancent un club des rues Josaphat. Ces « moniteurs et monitrices » improvisé.e.s partent à la rencontre des enfants du quartier, avec plus ou moins de succès.

« On se promène dans les rues avec un ballon, des billes, du savon liquide pour bulles ; on contacte les enfants ; on se joint à leurs jeux ou on leur en apprend d’autres. D’autres activités sont proposées, des sorties, une bibliothèque de rue et des histoires à raconter sur place ou au parc Josaphat, tout proche. »[1]

Il y a le désir d’être positif en faisant quelque chose pour eux et avec eux, suivant la méthode d’ATD Quart Monde. Il s’agit aussi, écrit Pierre, « d’apporter aux immigrés le témoignage concret de Belges désireux d’exprimer leur idéal de fraternité et de solidarité pour contester le racisme et toutes les manifestations hostiles dont les étrangers sont sujets. Et par les enfants, entrer en contact avec les parents »[2].

À la hauteur des numéros 117-123, bordant la rue Josaphat, les anciens établissements Rasquinet qui fabriquaient jusqu’en 1968 des pièces mécaniques pour vélo, sont à l’abandon. Le site en intérieur d’îlot, est borné par l’avenue Rogier, la chaussée d’Haecht, la rue Seutin et la rue des Coteaux. La rue Josaphat traverse de part en part le quartier. En 1972, la Société coopérative des locataires dans laquelle la commune de Schaerbeek détient la majorité des parts rachète le terrain pour quinze millions de francs belges ainsi que d’autres maisons situées dans le même périmètre avec un projet de constructions de logements.

Décembre 1972 : « Noël sous les poutrelles »

« Noel sous les poutrelles », affiche du Club des rues, Schaerbeek, 1972 (Collection Rasquinet).

Les jeunes de l’Olivier avaient pris l’habitude d’organiser pour la Noël, une animation dans le quartier, avec guitares, chants et distribution de soupe à l’oignon[3]. Quand Pierre Massart sollicite auprès de l’échevinat de la Jeunesse de Schaerbeek, la mise à disposition de l’ancienne usine, au moins les jours de pluie, l’échevin lui demande d’organiser, pour les jeunes du quartier, un réveillon dans les anciens halls de l’usine.

Ce n’est pas la première fois que le site est occupé. Des expériences théâtrales s’y étaient déroulées : une pièce, La colonne Durutti, du metteur en scène Armand Gatti[4] par les étudiants de l’Institut des arts de diffusion (IAD) et un projet de l’Université libre de Bruxelles (ULB)[5]. Pour le club des rues, ce sera « Noël sous les poutrelles » avec des ateliers, des jeux et un repas. La première grande réalisation du Centre culturel Rasquinet est une réussite. Organiser l’évènement et occuper un tel lieu plaisent aux jeunes. Pierre demande à l’échevin de prolonger l’occupation. Désormais, chaque mercredi, la grille de l’entrée de l’ancienne usine Rasquinet s’entrouvre et les gosses du quartier prennent possession des lieux. Il y a le terrain, un bâtiment avec une douzaine de petites pièces (ce qui permet un grand nombre d’ateliers différents) et surtout un grand hall de 600 mètres carrés pour les jeux, les activités sportives. L’usine est aménagée en espace jeux, ateliers et une bibliothèque mobilisant les faibles moyens du Club des rues et beaucoup d’énergie. Plus de 120 enfants de 4 à 14 ans viennent les mercredis après-midi, les samedis et les dimanches après-midi. La plaine est ouverte pendant les périodes de congés, si l’encadrement est assuré.

Le statut d’occupation précaire laisse toute liberté aux jeunes pour s’approprier le lieu. Le revers de la médaille est qu’il n’y a aucun confort, ni aucune mesure de sécurité. Être sans eau et sans électricité pose problème. Dès qu’il sollicite la commune pour obtenir ces aménagements élémentaires, Pierre essuie le refus de l’échevin des Travaux publics. Finalement, sur ordre du bourgmestre, l’usine est démolie en septembre 1973 pour des raisons de sécurité. C’est un coup dur pour les activités du Club, mais aussi un espoir puisque la commune annonce à la presse son projet d’y réaliser un parc public[6].

Pierre Massart soutien les jeunes du quartier qui utilisent l’espace de l’usine désaffectée comme terrain d’aventure. On y construit une cabane. Schaerbeek, s.d. (Collection Rasquinet)

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L’école des devoirs du CASI-UO, une activité seconde mais pas secondaire

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Julien Tondeur (historien, CARHOP asbl)

C’est dans la commune bruxelloise d’Anderlecht que débute, il y a cinquante ans, l’aventure du Centre d’action sociale Italien-Université ouvrière, plus généralement appelé par son acronyme CASI-UO ou tout simplement « le CASI ».[1] Aujourd’hui association d’éducation permanente, centre culturel et école de devoir (EDD), le CASI-UO est lancé en 1970 par une petite équipe militante italienne venue poursuivre ses études en Belgique à la fin des années 1960. Leur souhait est de favoriser l’émancipation culturelle des travailleurs et travailleuses immigré.e.s, principalement en provenance d’Italie. Dans le sillage de l’Université ouvrière[2], à destination des jeunes adultes, le CASI-UO crée dès 1973 une école des devoirs. Si elle initie cette démarche, c’est parce que l’équipe du CASI prend conscience que l’école reproduit les rapports de domination ainsi que les inégalités sociales et de classe présents dans la société. De l’avis de l’équipe, les jeunes issu.e.s de l’immigration en sont les premières victimes. Le cinquantième anniversaire du CASI-UO représente aujourd’hui une belle opportunité pour demander à Teresa Butera, actuelle directrice de l’association, et elle-même issue du parcours de formation interne au CASI, de jeter un regard dans le rétroviseur et de nous parler du passé, de l’évolution mais également du futur de l’école des devoirs. Son récit est complété, pour la période récente, par celui de Giulio Iacovone, actuel responsable de l’école des devoirs.

Les débuts de la « doposcuela » anderlechtoise

    • L’arrivée de Teresa

Aujourd’hui, aborder l’histoire du CASI-UO, c’est inévitablement raconter aussi celle de Teresa. Notre interlocutrice débarque au milieu des années 1970 en Belgique. Elle ne se rappelle pas exactement la date parce que, dit-elle, « ça a été vraiment un déchirement assez profond et je ne veux plus me souvenir de tout cela. Je n’étais pas contente d’être là »[3]. Comme beaucoup d’immigré.e.s en provenance d’Italie qui atterrissent à Bruxelles, elle se retrouve à Cureghem. Quartier historique de l’est de la commune d’Anderlecht, physiquement coincé entre le canal de Bruxelles-Charleroi et les cinémas pornographiques qui jouxtent la gare du Midi, Cureghem a, de l’avis de Teresa, l’allure d’un ghetto. Par sa position et son passé industriel, Cureghem possède une tradition d’accueil des populations immigrées. Sur une superficie de moins de deux kilomètres carrés, de nombreuses nationalités, italienne, grecque, turque, espagnole ou marocaine s’y croisent déjà.[4] La communauté italienne y est importante. Dans une analyse publiée en 1978, le CASI-UO décrit le quartier comme « un monde qui pourrait être intéressant, s’il n’était pas le concentré des contradictions et de la rage de tous ces peuples »[5].

La gare de Cureghem, dès la fin du 19eme siècle, représente un point d’entrée sur le quartier pour les populations ouvrières. ABEELS G., Anderlecht en cartes postales anciennes, cinquième édition, Bibliothèque européenne, s.d, Zaltbommel, p.9.

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L’école de devoirs du Béguinage, une aventure qui commence sur le pas d’une porte…

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Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

L’école de devoirs du Béguinage commence de manière informelle au début des années 1970. Au point de départ, une institutrice, mise en disponibilité depuis 1963 pour raison de santé, s’installe dans le quartier du Béguinage, au cœur de Bruxelles. Les enfants l’intéressent, c’est son ancien métier. Rosa Collet raconte avec humour qu’engageant la discussion avec une petite Espagnole, elle accepte de l’aider à faire son devoir. Elle s’installe sur le pas de sa porte et explique à la fillette le problème à résoudre. « C’est une histoire de train, de temps de parcours à des vitesses différentes que la fillette ne comprend pas. C’est normal », souligne Rosa, « elle n’a jamais pris le train et ne voit pas comment cela fonctionne »[1]. Le lendemain, quatre garçons se présentent à elle avec la même demande. L’école de devoirs commence sur le trottoir. Avec l’autorisation des parents, elle reçoit sept à huit enfants du quartier chez elle. Elle leur apporte ainsi une aide personnelle et les accueille pour faire du bricolage, des promenades, mais rien n’est organisé systématiquement[2].

Nous nous proposons de retracer l’histoire de l’école de devoirs du Béguinage, à travers l’approche biographique de sa fondatrice et principale animatrice. La mise en œuvre est complexe et évolue avec le temps. L’approche biographique met en lumière l’articulation de ce projet, étroitement lié à la personnalité de Rosa Collet, avec le milieu dans lequel elle s’active, une communauté paroissiale évoluant à la marge de l’Église officielle, et l’action socioculturelle et politique du Groupe d’action de Bruxelles-sur-Senne (GABS). Ce comité d’habitants se mobilise pour la défense de leur quartier de vie, le Béguinage, pendant les années 1970, années noires pour Bruxelles-centre, où la spéculation immobilière se cumule à des projets pharaoniques de la Ville, en total décalage avec les besoins des habitants.

Portrait de Rosa Collet, Bruxelles, 11 novembre 2020, elle a 96 ans. (Collection privée Marie-Thérèse Coenen).

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Le Groupe d’entraide scolaire (GES) : une initiative de Bouillon de cultureS asbl

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Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

Bouillon de cultureS asbl naît au début des années 1980 à l’initiative de quelques habitant.e.s du quartier Josaphat, situé à cheval sur Schaerbeek et Saint-Josse-ten-Noode. Au départ, Vincent Kervyn, objecteur de conscience qui effectue son service civil à SOS Jeunes, son épouse Marie Antoine, Jean-Pierre Demulder, curé de la paroisse Sainte-Marie, et des travailleurs sociaux ouvrent en juin 1980 « La Cantine de l’Olivier », au numéro 63 de la rue l’Olivier. C’est un petit restaurant populaire, tenu par des bénévoles, qui offre la possibilité de prendre un repas sur le temps de midi. « Le pari consistait à espérer que des conversations autour d’un verre de thé ou d’une omelette marocaine naîtraient des projets portés par les habitants »[1]. Ouvert à tous, il permet de tisser des liens notamment entre les acteurs sociaux des quartiers avoisinants mais aussi avec les ouvriers de l’imprimerie située Impasse de l’Olivier[2]. « L’art ou le plaisir de manger ou de donner à manger est resté une composante essentielle du projet »[3]. En 1982, La Cantine devient une asbl dont l’objet social qui se résume en quelques mots, est « la promotion sociale et culturelle du quartier et des éléments qui le composent »[4]. Elle obtient des postes de travail dans le cadre des plans de résorption de chômage (ACS-TCT[5]).

La Cantine mobilise les habitant.e.s et les forces militantes associatives alternatives qui fleurissent à Schaerbeek. L’époque est à la résistance face à un pouvoir communal, placé sous le joug de Roger Nols[6], bourgmestre depuis 1970, qui mène une politique ouvertement xénophobe et raciste. Il refuse, par exemple en 1981, d’inscrire les étrangers dans les registres de population car ils sont, d’après lui, responsables de la détérioration des quartiers, de l’insécurité, de la malpropreté, de la baisse de qualité de l’enseignement public et de la croissance du chômage. Face à ces dégradations, il décide, par exemple, d’instaurer un couvre-feu pendant le Ramadan. De plus, la commune ne fait rien pour améliorer les conditions de vie des habitants de ces quartiers autour de la gare du Nord-quartier Josaphat. En réaction à cette politique communale, les habitant.e.s se mobilisent. Schaerbeek devient un vivier d’initiatives diverses et un terreau fertile de la contestation urbaine démocratique et antiraciste polarisée par la campagne d’Objectif 82 (en faveur du droit de vote aux élections communales pour les étrangers) et la création d’un rassemblement politique, « Démocratie sans frontière », pour ne citer que quelques exemples.

En 1987, La Cantine quitte la rue l’Olivier pour la rue Josaphat et prend le nom de Bouillon de cultureS, une entreprise d’insertion par le travail en restauration et un service traiteur, rebaptisé « Sésam’ » en 2000, à l’occasion de l’installation du restaurant dans sa nouvelle implantation, à côté du parc Rasquinet. Appartenant au secteur de l’économie sociale, elle est reconnue, en 2008, comme initiative locale de développement de l’emploi (ILDE) avec, pour objectif premier, l’insertion socio-professionnelle de personnes difficilement plaçables sur le marché de l’emploi.

Le premier projet culturel éducatif est proposé en 1985 par Vladimir Simić, un artiste peintre yougoslave, habitant l’impasse, la petite rue l’Olivier. Il propose d’organiser un atelier créatif pour les enfants, une « Académie des Beaux-Arts pour les enfants de la rue » comme il se plaisait à l’appeler. Il en sera la cheville ouvrière. Grâce à l’autofinancement de La Cantine, les moyens sont rassemblés pour louer deux pièces au-dessus de l’école primaire Saint-Joseph, au numéro 94 de la rue l’Olivier, et acheter le matériel. Les ateliers Aurora sont lancés. Ils sont reconnus en 1990 comme centre d’expression et de créativité. Les enfants participent également à des excursions et à des camps. Par la suite, pour répondre à une forte demande des familles, Aurora organise également un accompagnement scolaire pour les enfants de 6 à 12 ans, avec le soutien de la Zone d’éducation prioritaire (ZEP)[7].

En 1986, quelques étudiant.e.s universitaires qui habitent le quartier, démarrent le soutien scolaire aux jeunes d’abord à domicile, ensuite dans les locaux de La Cantine. En 1988, sous l’impulsion de Dominique Dal qui rejoint l’équipe des animateurs et prend la fonction de coordinateur, l’école de devoirs prend le nom de Groupe d’entraide scolaire (GES).

Suite à la fermeture de l’école Saint-Joseph, Bouillon de cultureS occupe tout le bâtiment mais celui-ci devient rapidement trop petit pour accueillir toutes les activités. En 1999, avec deux autres partenaires, l’association a l’opportunité d’acquérir l’ancienne école primaire Sainte-Marie, située à la rue Philomène[8]. Cette très petite association est devenue aujourd’hui, une entreprise de taille moyenne qui occupent près de 50 salarié.e.s, des dizaines de bénévoles, des centaines de participant.e.s, et elle entretient de nombreux partenariats dans le quartier, la commune de Schaerbeek et la Région de Bruxelles-Capitale.

Affiche annonçant la journée Portes ouvertes du 18 mai 2013 à Bouillon de cultureS, Schaerbeek, 2016 (Bouillons de cultureS, publication sur Facebook : https://www.facebook.com/BouillondecultureS/photos/653817764756826)

Dans le secteur du soutien scolaire, Bouillon de cultureS développe des projets adaptés en fonction des âges. Il y a Aurora qui s’adresse aux enfants de 6 à 12 ans. En 2000, une nouvelle section, « @touts possibles », s’adresse aux adolescents de 12 à 15 ans, mais son soutien scolaire n’est qu’une des facettes des activités proposées[9] à ces jeunes qui naviguent entre

Affiche annonçant l’exposition organisée par Aurora, la structure d’accueil extrascolaire de Bouillon de cultureS du 16 novembre au 9 décembre 2018, Schaerbeek, 2018 (Bouillon de cultureS, publication sur Facebook : https://www.facebook.com/BouillondecultureS/posts/1204017453070185/

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Les écoles de devoirs et les volontaires. Regard de Brigitte Dayez-Despret

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Du côté des volontaires

Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

L’apport et l’investissement des volontaires sont essentiels au bon fonctionnement des écoles de devoirs (EDD). Dominique Rossion et François Moors[1], dans leur évaluation des écoles de devoirs 2015-2017, précisent que 10 % des EDD n’ont aucun salarié, 24 % en ont un à deux, 49 %, trois à cinq, et 16 % six et plus. À côté des salarié.e.s, 71 % des EDD, soit trois sur quatre, peuvent compter sur des volontaires. C’est une contribution importante et nécessaire pour répondre aux demandes de soutien scolaire de celles et ceux qui s’adressent à eux. Les équipes pédagogiques se complètent également de stagiaires et des personnes embauchées sur d’autres statuts (ALE – Agence locale pour l’emploi, article 30 § 7 de la loi organique des CPAS – Centres publics d’aide sociale devenus en 2002 Centres publics d’action sociale, etc.).

Ci-dessous : Graphique n° 1, réalisé à partir des données fournies par Rossion D., Moors F., État des lieux des réalisations, besoins et enjeux des écoles de devoirs en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014-2017, Bruxelles, Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse, Fédération Wallonie-Bruxelles, octobre 2019, p. 6-7.

Salariés

3,82

Volontaires

6,57

Stagiaires

1,16

Autres

1,94

Brigitte Dayez-Despret est licenciée en philologie classique, diplômée des Facultés universitaires de Saint-Louis et de l’Université catholique de Louvain. Au début des années 1970, elle commence sa carrière d’enseignante dans deux institutions pour filles, au Lycée Mater Dei (Woluwé-Saint-Pierre) et à l’Institut des Dames de Marie (chaussée d’Haecht à Saint-Josse). Comme professeur de latin et de grec dans ces deux écoles, pendant plus de dix ans, elle organise des rencontres entre ces jeunes filles, issues de milieux très différents. Les premières viennent majoritairement de classes aisées installées à la périphérie verte de Bruxelles, les secondes appartiennent à ce qu’il est convenu d’appeler la seconde génération immigrée. Nées en Belgique, elles habitent avec leurs familles, les quartiers de la première ceinture, et restent culturellement très proches du pays d’origine. Un documentaire réalisé par Lista Boudalika, « Photo de classe »[1], relate cette rencontre. Il croise les regards des unes et des autres et aborde les préoccupations que peuvent avoir des jeunes du même âge, mais aussi les stéréotypes que véhicule chaque groupe sur l’autre.

Brigitte Dayez-Despret habite un quartier où la communauté turque est très présente. Pour entrer en contact avec elle, elle apprend le turc et participe à des rencontres avec des femmes, dans diverses associations. En 2000, elle s’engage comme enseignante bénévole à Bouillon de cultureS, au Groupe d’entraide scolaire (GES) et à l’école de devoirs d’@touts possible. Elle accompagne les jeunes, qui ont des difficultés en français, en latin et en grec, dans la réalisation de leur travail de fin d’études, etc. Quand elle arrive comme bénévole au GES, Brigitte Dayez-Despret organise également un atelier de culture, histoire et littérature turque, avec la participation de Nilufer Bozuk, mère d’une élève fréquentant le groupe. Le but de cet atelier est triple : faire connaître aux jeunes turcs de Belgique la richesse de leur histoire, de leur culture et de leur langue ; affiner leur connaissance de la langue française par l’exercice de traduction de textes turcs littéraires avec des mots adéquats ; et préparer un séjour en Turquie. Brigitte Dayez-Despret organise au moins de cinq voyages culturels en Turquie autour de thématiques comme la civilisation seldjoukide dans le centre de l’Anatolie ou encore la découverte d’Istanbul. Pour les jeunes qui suivent l’atelier, c’est une véritable aventure et une découverte intellectuelle[2].

20 ans de présence au Groupe d’entraide scolaire (GES), 20 ans de soutien à la réussite des études du secondaire et des études supérieures [2000-2020].

Brigitte Dayez-Despret

L’école de devoirs où je travaille depuis une vingtaine d’années s’appelle le GES (Groupe d’entraide scolaire). Elle a déjà une longue histoire, car elle fait partie d’une association bien connue à Schaerbeek, Bouillon de cultureS asbl qui fête cette année, en 2020, ses quarante ans.

Elle est née d’une prise de conscience, par quelques étudiants schaerbeekois, des difficultés rencontrées par les jeunes adolescent.e.s, né.e.s en Belgique, mais issu.e.s de l’immigration, de suivre un enseignement supérieur, d’y réussir, et d’obtenir un diplôme qui leur permettra de se lancer dans la vie professionnelle. Ces étudiants se sont mobilisés pour leur organiser une aide personnalisée et adaptée à leurs besoins intellectuels et sociaux.

Le GES est encore bien vivant aujourd’hui, et attire de plus en plus de jeunes. Il est organisé à Schaerbeek, rue Philomène, dans une ancienne école.

L’encadrement des étudiant.e.s qui fréquentent l’école de devoirs est fait de deux permanents rémunérés par des subsides, par un groupe de bénévoles généralement retraités et de travailleurs sous contrat dit article 60[1]. Chacune de ces personnes a sa spécialité et peut donc aider les étudiant.e.s dans son domaine. Les compétences des animateurs couvrent aussi bien les branches littéraires (français, néerlandais, anglais, histoire) que scientifiques (mathématiques, sciences, géographie, sciences économiques). Chaque étudiant.e a l’occasion de rencontrer personnellement et individuellement un professeur, de lui exposer ses difficultés, de recevoir des explications adaptées et de revenir aussi souvent qu’elle ou il le veut, car le GES est ouvert toute la semaine de 16 heures à 17 heures et le samedi sur rendez-vous[2].

Le secteur accorde son aide aussi bien aux adolescents du secondaire supérieur qu’à ceux des universités et des hautes écoles, ce qui est relativement rare à Bruxelles et donc très précieux !

Les étudiant.e.s du GES, tant garçons que filles, avec une majorité de ces dernières pour le secondaire, sont d’origine turque et marocaine pour la plupart, mais aussi de différents pays comme le Cameroun ou l’Éthiopie ou la Syrie et l’Irak.

Une session de suivi scolaire au GES. Dominique Dal, coordinateur du GES jusqu’en 2013, se trouve au fond de la photographie, sur la gauche, s.d. (Schaerbeek, Bouillon de cultureS)

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Du côté des « usagères » des écoles de devoirs. Un parcours singulier : Döne Dagyaran, avocate

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Entretien avec Marie-Thérèse COENEN (historienne, CARHOP asbl),
30 octobre 2020

Du côté des usagères

Dans son analyse sur les effets des écoles de devoirs (EDD) comme actrices d’une politique d’égalité des chances et de luttes contre les inégalités[1], Georges Liénard exprimait le souhait que « des moyens de recherche soient mobilisés afin de conduire une recherche longitudinale (au moins 6 ans) sur un échantillon des enfants et des adolescents participants aux écoles de devoirs afin de comparer leur trajectoire avec celle des enfants et des adolescents de même milieu social, culturel, économique, qui ne fréquentent pas les écoles de devoirs. Cela permettrait de mieux apercevoir et de démontrer (autant que faire se peut) les effets multidimensionnels de l’action des écoles de devoirs ». Partir du témoignage des « consommatrices, clientes ou usagères » des écoles de devoirs comme celui de Döne Dagyaran nous permet de saisir les stratégies de réussite mobilisées par ces jeunes femmes pour qui les écoles de devoirs ne sont qu’un élément, mais aussi un apport essentiel dans leur trajectoire de formation.

Döne Dagyaran est avocate au barreau de Bruxelles. Elle est née le 10 décembre 1986 à Bruxelles. Très tôt, elle fréquente les écoles de devoirs. Après un parcours sans faute à l’école primaire et secondaire, elle entreprend des études de droit en 2005, à l’Université libre de Bruxelles. Diplômée en juin 2011, elle est inscrite au barreau depuis 2011. Elle s’engage en même temps dans l’action politique. Élue sur la liste PS (Parti socialiste) à Saint-Josse-Ten-Noode aux élections communales de 2012, elle est conseillère communale, conseillère CPAS (Centre public d’action sociale – comité senior et comité social général). Elle est mandataire à la société des habitations à bon marché (HBM SCRL) de Saint-Josse-Ten-Noode et à l’Intercommunale d’inhumation interculturelle. Elle ne se représente pas en 2018.

À côté de la vision de l’accompagnement d’une « bénévole » en école de devoirs, Brigitte Dayez-Despret[2], le témoignage de Döne Dagyaran éclaire l’autre versant de l’accompagnement et montre son impact sur ceux et celles qui les fréquentent, même des années après cette expérience. Son témoignage illustre parfaitement les effets multidimensionnels de l’action des écoles de devoirs, soulignés par Georges Liénard.

Un parcours en école de devoirs

Je vais me présenter d’abord et ensuite je t’explique comment je suis arrivée à l’école de devoirs et ce que cela m’a apporté. Je m’appelle Döne Dagyaran. J’ai 34 ans, je suis avocate au barreau de Bruxelles depuis 2011 et j’y exerce mon métier. Je suis maman de deux petites filles. J’aimerais vous retracer mon parcours d’étudiante, mon parcours d’enfant de parents venus comme travailleurs étrangers.

Mes parents sont arrivés en Belgique, dans les années 1980. Ils ne parlaient pas vraiment bien le français. Nous sommes, si vous voulez, les enfants d’une époque où chacun devait se débrouiller avec le pays d’accueil. Malgré le fait que nous sommes nés ici, il y avait toujours la barrière de la langue parce que la langue maternelle, la langue parlée à la maison, était le turc. Nos parents étaient incapables de suivre la scolarité des enfants qui sont en quelque sorte abandonnés à leur sort. Leur parcours scolaire dépend d’une part, de leur prise en charge par des éducateurs et des professeurs sur lesquels ils vont pouvoir compter, et, d’autre part, sur leur capacité à s’adapter et à faire les efforts pour être au même niveau que les autres élèves de leur classe, belges pour la plupart, qui bénéficient d’un soutien à la maison

  • Quel est le parcours que tu as suivi pour arriver à l’école de devoirs ?

En fait, la première école de devoirs que j’ai fréquentée est l’Atelier du Soleil qui se situait à côté de l’école n° 9. J’avais 8 ans, et mon professeur de l’époque avait remarqué que je ne parlais pas correctement le français et que je ne le lisais pas correctement. À l’occasion de la rencontre avec les parents, il avait présenté ses observations à ma maman qui ne comprenait qu’à moitié ce que disait, mon professeur. Et moi, j’accompagnais ma maman, et je devais encore traduire ce que le professeur disait que je n’étais pas capable de lire et de parler correctement le français. Nous étions, d’une certaine façon, des petits enfants adultes, c’est-à-dire des enfants qui devaient traduire aux parents les problèmes personnels rencontrés, et, de l’autre, se débrouiller.

Le lieu où se situait l’Atelier du Soleil était d’une facilité cruciale pour moi. Les locaux de l’association se trouvaient juste à côté de l’école que je fréquentais. Le professeur nous a donc recommandés de nous rendre à cette école de devoirs. C’est ainsi que nous avons poussé la porte de l’Atelier du soleil et c’est là que j’ai appris, après les heures d’école, à parler et à écrire en français. Après l’école, je me rendais directement à cette école de devoirs pour faire mes devoirs, et ensuite faire une heure de lecture, des dictées, des exercices d’orthographe pour améliorer mon français. Très rapidement, j’ai amélioré ma maîtrise de la langue et pallié mes lacunes.

De là, je suis entrée en humanités secondaires à l’Athénée Adolphe Max, parce que j’avais un bon niveau. L’Athénée Adolphe Max était, à l’époque, une école élitiste qui sélectionnait ses élèves, mais vu mes points, le préfet a accepté de m’inscrire dans l’école. Là encore, j’ai senti la différence. Je comprenais qu’on n’était pas tout à fait au même niveau que les autres élèves, les Belges, qui fréquentaient cette école.

J’ai fait trois ans de latin de la première à la troisième année secondaire, latin-sciences, mais après, j’ai suivi les humanités scientifiques B.

À partir de l’entrée en humanités, je suis partie à la recherche des écoles de devoirs adaptées à l’enseignement secondaire. J’ai donc fréquenté les écoles de devoirs en primaire, et ensuite en secondaire. C’est une amie qui m’a parlé de Bouillon de cultureS à Schaerbeek et je me suis inscrite. J’en garde un souvenir très important. J’ai rencontré des personnes formidables, j’y ai trouvé un soutien. Vraiment ! Quand je vois tous ces ingénieurs, ces avocats d’origine étrangère qui occupent ces métiers, sans cette aide, est-ce qu’on serait arrivé là où l’on se trouve aujourd’hui ? Je ne crois pas. Ce sont des personnes passionnées, dévouées. Il n’y a aucune barrière de culture. J’ai vraiment été très touchée par les gens que j’y ai rencontrés. Comme je les remercie, quand j’y pense, cela ne sera jamais assez ! Si je n’avais pas rencontré ce soutien dans les associations, je ne serais pas là où je suis actuellement, je dois être honnête.

  • Comment t’organisais-tu ?

À l’école primaire, c’était surtout pour l’orthographe et la lecture qui restaient un exercice difficile pour moi. En secondaire, il y avait les dissertations en français et j’avais des lacunes en mathématiques. Cela devenait de plus en plus compliqué, mais c’est surtout dans les dissertations en français que j’avais le plus de problèmes. Comment le dire ? Nous n’avions pas d’activité à l’extérieur de l’école pour pouvoir nous épanouir, nous améliorer. Ma vie était entre l’école et l’école de devoirs. C’était ma vie.

En fait, je fréquentais deux écoles de devoirs : l’une, Bouillon de cultureS et l’autre, à Saint-Josse, l’association La Voix des femmes. C’était surtout des filles qui fréquentaient les écoles de devoirs. On voyait très peu les garçons.

Comme professeure à La Voix des femmes, il y avait une personne qui s’appelait Olga Chianovitch. Elle avait travaillé dans la diplomatie. Elle voulait s’investir dans la formation des femmes. Olga donnait des cours d’anglais. J’ai également rencontré Monique Parker, qui était professeure de mathématiques à l’ULB. Elle donnait cours aux étudiants de médecine (Faculté de sciences, retraitée en 2000). Elle nous a aidés en mathématiques. À La Voix des femmes, j’ai été suivie par ces deux dames.

À Bouillon de cultureS, j’ai fréquenté un ingénieur, Dominique Dal, et j’étais suivie par Brigitte Dayez[3] pour le cours de français. Brigitte donnait des cours de littérature turque, et c’est grâce à elle que j’ai découvert mon pays. À part ma ville d’origine, Emirdağ, je ne connaissais pas la Turquie. C’est avec Brigitte que j’ai fait un voyage culturel en Turquie, à Istanbul. J’ai découvert mon pays avec son histoire et toutes ses facettes, et c’était formidable. Cela m’interpelle, car Brigitte, qui est belge, a appris le turc et est passionnée par l’histoire de la Turquie. C’est incroyable. Elle connaît mieux que moi, mon pays. Elle parle presque, comme moi, le turc. J’étais vraiment impressionnée par son parcours.

Voyage de Döne Dagyaran en Turquie. On reconnait Brigitte Dayez, deuxième en partant de la gauche. (Collection privée Döne Dagyaran).

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Hatice Özlücanbaz : un parcours de formation qui surmonte tous les obstacles

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Entretien avec Marie-Thérèse COENEN (historienne, CARHOP asbl),
6 novembre 2020

Du côté des usagères

Hatice est infirmière sociale et travaille dans un centre psycho-médico-social (PMS). Elle est conseillère communale, conseillère au Conseil de l’action sociale (CPAS-Centre public d’action sociale) à Saint-Josse-Ten-Noode. Elle a toujours habité le quartier Brabant-Botanique, à cheval entre Schaerbeek et Saint-Josse. Mariée, maman de trois filles, elle fréquente le Groupe d’entraide scolaire (GES) de 1989 à 1994, pendant la durée de ses humanités qu’elle poursuit, après une première année de médecine, par une formation d’infirmière dont elle sort diplômée en 1998. Elle complète ses études par une spécialisation en santé communautaire, en 1999.

Campagne électorale pour les élections communales, 2018 (coll. Marie-Thérèse Coenen).

Un parcours en école de devoirs

Mon père est arrivé en Belgique en 1972. Le regroupement familial s’est fait deux ans plus tard. Je suis née en 1976. J’ai un frère ainé et une sœur ainée qui sont nés en Turquie et encore une plus jeune sœur.

Mes primaires, je les ai faites à l’École de la Fraternité, rue de la Fraternité, à Schaerbeek (rue de Brabant). Ensuite, ma première secondaire, je l’ai faite dans une école du quartier, mais qui a déménagé. À partir de ma deuxième année de secondaire, je suis allée aux Dames de Marie, chaussée d’Haecht à Saint-Josse.

Ce n’est pas l’école qui m’a orienté vers l’école de devoirs, non, c’est une copine. Elle habitait le quartier et elle connaissait cette aide. Elle avait fait ses primaires aux Dames de Marie. Dans ma classe, la plupart avaient fait toute leur scolarité aux Dames de Marie. Mes parents ne connaissaient pas tout ce système. Je me débrouillais. Je savais que j’avais besoin d’aide et je cherchais le soutien dont j’avais besoin. Je faisais déjà appel pendant le temps de midi ou à la récréation, à mes professeurs pour corriger mes textes. Je n’étais pas forte en orthographe et ils acceptaient de me donner un coup de main pour corriger mes fautes. Une fois que j’ai connu l’école de devoirs, c’est là que je trouvais de l’aide.

Un jour, alors qu’avec une copine, j’essayais de faire un devoir et d’étudier à l’avance une matière, elle m’a dit qu’elle allait à l’école de devoirs, rue l’Olivier, et m’a proposé d’y aller. J’ai été voir et ensuite, comme c’était très bien, j’y allais chaque fois que j’en avais besoin. Comme j’habitais plus loin, j’y allais directement après les cours. C’est là que j’ai rencontré Dominique (Dal). Il pouvait aider dans plusieurs matières, et comme j’arrivais quasi la première, j’avais cette chance de pouvoir compter sur lui parce qu’il expliquait très bien. Moi, cela m’a beaucoup apporté. Je pense que si je n’avais pas eu ce soutien, j’aurais demandé à des amies et à d’autres personnes, mais je ne serais pas arrivée au même résultat, à la même réussite. J’allais à Bouillon de cultureS pour plusieurs branches :  français, néerlandais surtout, mais aussi math, chimie, physique, etc. Comme il n’y avait pas de professeur d’anglais, ils m’ont orientée vers La Voix des femmes, et, là, j’y suis allée plusieurs fois.

Dominique Dal lors d’une session de suivi personnalisé à l’école des devoirs de Bouillon de cultureS. Hatice y a reçu le même type d’aide, Schaerbeek, s.d. (Collection Bouillon de cultureS).

J’ai reçu du soutien dans plusieurs branches, car si je me débrouillais en général, parfois je bloquais sur un exercice, sur un point, et, là, le soutien scolaire était précieux. Cela m’aidait à surmonter les difficultés. J’ai toujours dû beaucoup étudier, beaucoup travailler pour réussir. Ma deuxième année, je l’ai réussie sans problème. À partir de la troisième année, j’ai eu en général des examens de passage. Pour les sessions de préparation aux examens de seconde session du mois d’août, je préparais déjà la matière et j’étudiais à l’avance. Fin août, je savais très bien ce que je voulais demander. J’ai fréquenté Bouillon de cultureS de 1989 à 1994, jusqu’à la fin de mes humanités.

Ces aides m’ont aidée à réussir. Je ne dis pas que je n’y serais pas arrivée, mais j’aurais sans doute perdu une année ou j’aurais galéré peut-être beaucoup plus. L’école de devoirs m’a donné une chance de réussir. Cela est clair.

  • Et après ?

Si j’ai choisi de faire les modernes, c’était dans l’idée d’étudier. Faire des humanités générales, cela ne te donne pas accès à un métier. On se prépare à continuer les études. J’ai fait une année à l’université, en médecine. C’est ma première expérience dans l’enseignement supérieur. Je n’ai pas compris que je devais m’y mettre tout de suite. Il n’y avait personne pour vous le dire. C’est une autre manière d’enseigner et je n’étais pas habituée à cette manière de faire. Je passais d’un système très cadrant à un système très libre, j’étais perdue. J’ai hésité à refaire cette année, mais j’ai réfléchi en me disant que les matières étaient complexes et importantes. Je pouvais réussir mais avec quelle énergie ? L’aide que j’avais connue pour mes humanités n’existait pas pour l’université. Comme je voulais rester dans le secteur médical, j’ai fait des études d’infirmière, à l’Institut supérieur d’enseignement infirmier (Haute école Léonard de Vinci).

  • Et ta famille ?

Mon frère et ma sœur n’ont pas fait d’études. De ma génération, je ne dis pas que je suis la seule – d’autres ont entamé un parcours de formation et l’ont réussi – mais l’idée générale dans mon entourage, – ce dont je me rappelle –, était que la fille doit apprendre à coudre, à cuisiner. Beaucoup de personnes que je côtoyais alors pensaient ainsi. Pour les filles, c’était l’école de couture. En ce qui me concerne, j’avais bien réussi l’école primaire et je n’avais jamais redoublé de classe. J’étais aussi la troisième dans la lignée. Mon père, voyant que je réussissais et que j’étudiais, disait : « Vas-y, on te soutient ». Mes parents disaient toujours : « Si vous étudiez, vous devez réussir sinon vous n’aurez pas grand-chose comme travail si ce n’est dans le nettoyage ». Il faut dire aussi que ma mère a toujours voulu étudier et que cela lui a manqué. Elle était l’aînée de la famille et devait s’occuper de ses plus jeunes frères et sœurs. Elle allait quelques semaines à l’école, et, puis, elle arrêtait quand ses parents avaient besoin d’elle à la maison pour garder les petits et faire à manger, etc. Elle raconte que le professeur du village venait voir ses parents en leur disant : « Votre fille, sa place est à l’école ». Elle y retournait une à deux semaines et puis cela recommençait. Elle-même était en décalage avec les autres enfants de sa classe, c’était difficile à gérer. Elle n’a pas eu cette chance d’avoir une scolarité normale pour une enfant de son âge.

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

COENEN M.-Th., Hatice Özlücanbaz : un parcours de formation qui surmonte tous les obstacles », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 14 : Les écoles de devoirs (partie II). Des expériences militantes,  mars-juin 2021, mis en ligne le 1er juin 2021. URL : https://www.carhop.be/revuescarhop/

Témoignages et actions des écoles de devoirs et associations. Réflexions sociologiques « prudentes »

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Georges Liénard (sociologue, FOPES-CIRTES (UCL))
Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

Introduction

Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

Dans la première livraison de Dynamiques consacrée aux écoles de devoirs, Georges Liénard analyse l’apport spécifique du mouvement des écoles de devoirs dans la lutte contre l’échec scolaire, à la fois comme structure militante, mais aussi comme opérateur institutionnel dans le cadre général d’une politique d’égalité des chances[1]. Les écoles de devoirs viennent en soutien à des groupes minoritaires et minorisés dans la société, ne maîtrisant pas les codes socioculturels mobilisés par le système scolaire. Dans son analyse, l’auteur souligne que les écoles de devoirs ont été bien plus qu’une simple remédiation. Elles ont privilégié l’épanouissement et le développement autonome des enfants et des jeunes qui s’adressaient à elles en associant aux besoins scolaires, la maîtrise de leurs identités multiples et la construction d’une estime de soi. À ce titre, elles ont fait œuvre d’émancipation socioculturelle.

Avec son bagage de sociologue et sa longue fréquentation de la problématique des inégalités socioculturelles, Georges Liénard a lu et relu les monographies des quatre écoles de devoirs, objets de ce dossier, les trajectoires militantes des fondateurs et fondatrices ainsi que les parcours de vie de deux bénéficiaires assidues des écoles de devoirs. Partant de ces récits élaborés par les historiens et historiennes et mobilisant sa boite à outils conceptuels, il pose son regard de sociologue sur un mouvement qui plonge ses racines dans un passé finalement récent et sur ses effets perceptibles aujourd’hui, auprès des générations de jeunes adultes ayant suivi ce parcours. Il en tire une analyse des moyens culturels, sociaux et politiques mis en œuvre pour construire, par l’action militante individuelle et collective, un outil de développement culturel. Cette dernière contribution est une invitation à approfondir la démarche entreprise dans les numéros 13 et 14 de Dynamiques consacrés aux écoles de devoirs, à multiplier les études de cas, – chaque école de devoir étant singulière –, et poursuivre la recherche sociohistorique sur les effets de l’accompagnement des écoles de devoirs. À terme, il serait intéressant de pouvoir creuser l’hypothèse que les écoles de devoirs sont des opérateurs d’émancipation socioculturelle, non seulement pour des individus, mais peut-être pour des groupes familiaux voire sociaux ? La question reste ouverte.

Une activité de l’école des devoirs Rasquinet, Schaerbeek, s.d. (Collection Rasquinet)

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