Marie-Laurence Dubois, consultante en gouvernance de l’information et archiviste (Valorescence)
Annette Hendrick, archiviste et historienne indépendante (ORAM)
Du témoignage à l’histoire en passant par les archives
Il est fascinant, pour qui se penche sur l’histoire de la Fédération des maisons médicales (FMM)[1], de voir avec quelle vigilance les témoignages de ses acteurs et actrices sont très tôt précieusement recueillis. Il n’est pas un congrès, pas un colloque ou un anniversaire où l’on n’évoque les moments forts du mouvement. On y fait parler les « ancien.ne.s ». Démarche didactique : il s’agit de mobiliser les plus jeunes, de les enraciner dans une histoire très riche et de les encourager à s’approprier des valeurs sans cesse réactualisées.
Depuis longtemps, différentes initiatives sont prises aussi pour tenter d’écrire l’histoire de la Fédération. Cependant, pour qui veut passer du simple témoignage à l’histoire, il y a un saut qualitatif à franchir. L’histoire repose sur une analyse critique de sources primaires (les archives) et la mise en œuvre de ces sources dans le cadre d’une synthèse qui inscrirait le mouvement des maisons médicales dans un contexte politique, social, économique et médical.
Pas d’histoire, donc, sans archives. Conscient.e.s de ce fait, Corinne Nicaise, responsable communication de la Fédération, et Mourad Benmerzouk, documentaliste, ont progressivement rassemblé les archives confiées par des collègues, fondateurs et fondatrices et ancien.ne.s travailleurs et travailleuses. Ils prennent néanmoins conscience qu’à moyen ou long terme, ces documents peuvent disparaître, que ce soit à l’occasion de travaux, déménagement, changement de direction, etc. Certain.e.s au sein de la Fédération, prônant une politique « zéro papier », sont enclins à faire place nette, quitte à numériser quelques séries. Or, généralement, la numérisation porte non tant sur les archives proprement dites que sur les séries de publications, alors que celles-ci sont plus faciles à trouver en bibliothèque.
Ceci fait ressortir l’importance de la démarche entreprise en 2018 à l’initiative essentiellement de Corinne Nicaise. À l’automne 2018, celle-ci prend contact avec Marie-Laurence Dubois (Valorescence, spécialisée en gouvernance de l’information et archivage) et lui fait part du souhait de la Fédération de s’occuper enfin des nombreux classeurs et documents accumulés au fil des années dans ses bureaux, sis boulevard du Midi à Bruxelles. L’objectif est de trier et d’organiser ces archives pour en assurer une préservation à long terme et, surtout, leur redonner vie.
Cette démarche répond à deux motivations distinctes. La première est d’ordre pédagogique : il faut transmettre l’histoire de la Fédération à ses nouveaux travailleurs et travailleuses, dont le nombre augmente. Beaucoup, né.e.s dans les années 1990, comprennent mal le fonctionnement des maisons médicales car ils et elles ignorent par exemple à quel point le bagage génétique des maisons médicales est marqué par les évènements de mai 68, par le rejet de l’hospitalocentrisme et par l’idéal de type communautaire qui s’exprime par la médecine de groupe. Ils et elles ignorent aussi à quel point la mise en place du paiement au forfait en 1982 représente une rupture par rapport au système du paiement à l’acte. Conserver et organiser les archives permet de préserver la mémoire collective, d’expliquer les valeurs et les choix historiques qui ont façonné la structure actuelle des maisons médicales.
D’un autre côté, plusieurs membres fondateurs désirent que le 40e anniversaire de la Fédération, en 2021, soit l’occasion d’une rétrospective plus globale sur son histoire. Un groupe de travail est d’ailleurs mis en place pour l’écrire. Ce projet est aujourd’hui partiellement atteint. Le 40e anniversaire est donc une nouvelle occasion de faire parler un grand nombre d’acteurs et d’actrices du mouvement. Pas moins de 20 podcasts et un numéro spécial de Santé conjuguée sont consacrés à ce travail de mémoire. En outre, une brochure historique et didactique est rédigée par deux historien.ne.s, Annette Hendrick et Jean-Louis Moreau, et publiée en janvier 2022. Ce sont là des matériaux intéressants pour celles et ceux qui veulent accéder à l’histoire de la Fédération.
Quant au projet « archives », il aboutit par le versement au Centre d’animation et de recherche en histoire ouvrière et populaire (CARHOP). Dans ce centre d’archives privées reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, les archives sont conservées dans de bonnes conditions et accessibles à tou.te.s.