Le périodique : un outil d’éducation permanente. L’exemple du CARHOP

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Emilie Arcq (Bibliothécaire-documentaliste au CARHOP)

Qu’est-ce qu’un périodique ? De sa création à son utilisation. 

Qu’il soit digital ou papier, qu’on le nomme journal, magazine, revue ou périodique, il est défini par le glossaire de l’association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS) comme une « Catégorie de publications en série, à auteurs multiples, dotée d’un titre unique, dont les fascicules, généralement composés de plusieurs contributions répertoriées dans un sommaire, se succèdent chronologiquement à des intervalles en principe réguliers (journal, magazine, lettre, numéro spécial, revue), pendant une durée non limitée a priori. Les publications annuelles sont comprises dans cette définition ; les journaux et les collections de monographies en sont exclus. »[1]

En d’autres termes, le périodique est une publication sérielle à titre unique avec un ou plusieurs contributeurs avec une périodicité de publication le plus possible régulière.

Loin de prétendre à l’exhaustivité, cet article a pour vocation de traiter de l’utilité de la conservation des périodiques associatifs et de leur usage dans un processus d’éducation permanente, et particulièrement comme outil d’éclairage historique sur les questions sociales qui sont débattues aujourd’hui dans le mouvement ouvrier et le secteur associatif. Le CARHOP disposant d’un centre de documentation spécialisé particulièrement fourni en périodiques, la focale sera mise sur ses collections et l’usage qu’il en est fait.

Conservation des périodiques au CARHOP

Petit échantillonnage des périodiques courants conservés au CARHOP

Action de collecte dès la création

Depuis sa constitution en ASBL en 1980, le CARHOP a pour objectif « de constituer un centre de documentation classant systématiquement les documents écrits, iconographiques, sonores recueillis et les rendant accessibles :

    • Prioritairement aux cellules régionales et aux organisations du Mouvement Ouvrier Chrétien
    • Aux institutions ou personnes intéressées par l’histoire ouvrière »[2].

En juin 1980, un comité de gestion de la bibliothèque est mis en place pour gérer l’apport de la bibliothèque donné par Berthe Wolf au centre (+/- 5000 ouvrages). Ce comité réalisera également « le dépouillement régulier de la presse quotidienne qui permet d’enrichir régulièrement le fonds »[3]. Dès lors, on peut constater que certaines revues sont recherchées en priorité : « un effort spécial a été fait pour recevoir, dépouiller, compléter les revues importantes comme le Courrier hebdomadaire du CRISP [4], le Bulletin de la FAR[5], la Revue Nouvelle, la Revue du Travail »[6]. Les périodiques La Chaine et UCP-Flash : bulletin du secrétariat national de l’Union Chrétienne des pensionnés asbl sont aussi mentionnés dans les rapports d’activités du CARHOP.

Dès juin 1982, l’équipe du CARHOP crée « un fichier pour les revues et dépouillements des articles. ».[7] Le travail de collecte et de dépouillement se poursuit au fil des années. On peut noter que les journaux La Cité et Le Soir sont dépouillés en priorité, probablement sur des questions en lien avec les questions sociales du moment.

Le CARHOP ne se limite pas à ces périodiques généralistes. Il prospecte également auprès des organisations sociales, des mouvements socioéducatifs et des associations ancrées dans le pilier chrétien. Lors de l’Assemblée générale du CARHOP en juin 1985, il est ainsi mentionné un accroissement des collections par des dons « principalement des fédérations des Équipes Populaires, de celles du Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC), et de la CSDC [sic lire CSC, Confédération des syndicats chrétiens] »[8]. Cependant,

Les projets de recherche, les travaux archivistiques et d’éducation permanente ont amené le CARHOP à récolter et conserver des périodiques émanant d’associations et de collectifs situés en dehors du pilier chrétien.

Plus de 1000 titres !

En juin 1985, la bibliothèque compte 160 titres de périodiques. L’année suivante, on dénombre 288 titres de périodique et 69 titres de journaux. Ce qui, si les chiffres sont exacts, relève d’un énorme travail de collecte et d’inventorisation. Aujourd’hui, le CARHOP compte plus de 800 titres de périodiques et de journaux. Ce nombre représente 328 mètres linéaires (m.l.). Ce métrage concerne tant des périodiques courants (c’est-à-dire, toujours édités) que des collections qui ne sont plus éditées ou à périodicité variable et qui sont parfois difficiles à trouver. Nous conservons également des périodiques qui ne sont plus édités tels que La lutte contre le Chômage : organe trimestriel de la section belge de l’Association Internationale, édité de 1912 à 1925.

Plus d’un tiers des périodiques conservés par le CARHOP proviennent du MOC et de ses organisations constitutives[9]. Parmi les collections, se retrouvent ainsi des titres comme :

  • En marche : la solidarité c’est bon pour la santé, bimensuel édité par la mutualité chrétienne (MC) (1948-2023).
  • Contrastes[10], éditée par les Équipes Populaires. Cette revue bimestrielle propose des dossiers pédagogiques sur des sujets tels que la démocratie, le féminisme, le logement, l’emploi…
  • Organise-toi!, publié par la JOC[11] (Jeunesse organisée et combative), trois à quatre fois par an (dernier numéro paru en décembre 2023), qui met en avant le format de l’enquête pour décrypter les conditions des jeunes. Soulignons le nombre important de titres de périodiques de la JOC, tout au long de son histoire, ainsi que le volume qu’ils représentent. Les périodiques de la JOC représentent à eux seuls, plus d’un quart de nos collections, soit 26,39 %.
  • axelle[12], édité par l’asbl Vie Féminime, périodique féministe bimestriel papier mais aussi numérique met en avant les combats menés par les femmes.
Représentation graphique des producteurs de périodiques conservés au CARHOP

Il ne s’agit de quelques exemples de périodiques qui ont souvent été précédés par d’autres titres et qui sont complémentaires d’autres collections. Ainsi, Info CSC n’est ni plus ni moins que le successeur de Au Travail. Sa lecture peut être associée à la consultation d’autres publications telles que Syndicaliste ou le Droit de l’employé, par exemple[13]. Les périodiques d’associations représentent quant à eux 15.45 % de nos collections. Citons par exemple Les cahiers du fil rouge édité par le Collectif formation société (CFS) dont les actions ont commencé dans les années 1960 par des cours d’alphabétisation pour aider les travailleurs marocains analphabètes au sein d’une organisation syndicale à Bruxelles[14] ou Le marollien rénové édité par l’asbl le Mensuel d’information locale a pour objet « d’éditer et de publier un journal permettant aux habitants d’être informés de ce qui se passe dans ce quartier et de faire parvenir des messages aux autorités »[15].

Nous conservons également des « ovni » éditoriaux comme Le Petit Pangolin Illustré : le journal des petites bêtes qui aiment se mettre en boule …, fondé par Patrice Baudinet et édité aux éditions Fanzinorama. D’abord hebdomadaire, puis mensuel, il voit le jour pendant la pandémie de Covid-19. Il est principalement composé de dessins, dans le but de répondre aux besoins de sortir de l’isolement des personnes confinées. Sa conservation s’inscrit dans la campagne nationale de récolte de traces relatives au confinement. Chapeautée par l’Association des archivistes francophones de Belgique (AAFB) et son pendant néerlandophone (De Vlaamse Vereniging voor Bibliotheek, Archief & Documentatie – VVBAD), cette campagne donne lieu à la mise en place de la plate-forme Archives de Quarantaine #AQA, à laquelle le CARHOP a contribué[16].

Logo du périodique Le Petit Pangolin Illustré

L’usage des périodiques dans l’histoire sociale

Les périodiques sont des outils d’information, de formation de leurs lecteurs et lectrices, en même temps qu’ils entretiennent du lien entre eux. Sur le plan de la recherche historique, ils sont aussi une littérature grise[17] qui constitue une source précieuse pour la compréhension des luttes et des conquêtes sociales, en complément des archives inédites. Ils permettent aux historien.ne.s de comprendre en quelques lignes les tenants et aboutissant, les processus et la concrétisation des projets réalisés en collectif, ainsi que la manière dont ceux-ci sont présentés et expliqués dans la sphère publique. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les consultant.e.s qui se présentent au CARHOP pour consulter des archives, quelles qu’elles soient, sont généralement intéressés de consulter aussi les périodiques. Notons par ailleurs que ceux-ci ont l’avantage de contenir généralement une grande variété d’illustrations qui rendent plus vivantes, qui incarnent les luttes sociales ; c’est là aussi une grande différence avec des archives inédites parfois arides.

Lecteur consultant archives, documentation et périodiques au CARHOP asbl.

En guise de conclusion

L’évolution de la consommation des périodiques a évolué ces trente dernières années, avec l’arrivée du Web : les habitudes de lecture, d’édition et de commercialisation ont changé. La digitalisation de l’information décline celle-ci sur différents supports, y compris le papier[18]. Les journaux et périodiques sont maintenant accessibles numériquement, c’est le cas entre autres du Courrier hebdomadaire du CRISP, (disponible au CARHOP). Les bibliothèques numériques en ligne, telles que Belgica[19] et BelgicaPress[20] mettent à dispositions la numérisation de 136 journaux. Cependant, tout n’est pas disponible à la Bibliothèque royale de Belgique (KBR). En effet, malgré la loi du 08 avril 1965[21] instituant le dépôt légal en Belgique qui oblige le dépôt de toutes publications (livres, brochures, périodiques paraissant moins d’une fois par semaine, distribuée gratuitement, vendue ou en location) éditées en Belgique, les publications éditées à l’étranger dont l’un des auteurs est Belge et est domicilié en Belgique, il arrive que certains documents ne soient pas conservés à la KBR. C’est là que réside l’importance des travaux réalisés par les centres d’archives et les centres de documentation spécialisés.

Rares ou largement diffusés, les périodiques ont une grande valeur. C’est pourquoi le CARHOP leur accorde une attention particulière. Comme de nombreuses autres structures (IHOES, Mundaneum, Etopia, etc.), le CARHOP conserve de nombreux titres de périodiques, qui constituent des ressources essentielles pour la compréhension des luttes sociales d’hier et d’aujourd’hui, menées par de grandes organisations, comme des associations plus modestes. Lui-même a fait le choix, il y a huit ans, d’informer et de former ses lecteurs et lectrices par le biais d’un périodique : Dynamiques. Histoire sociale en revue[22]. Le fait que l’aventure se poursuive et que, de manière générale, les mouvements sociaux ont toujours gardé ce canal d’information et de formation, est un signe que les acteurs et actrices de transformation sociale sont toujours en quête de questionnements, de réflexions, de construction de points de vue grâce à des supports accessibles et solides au niveau du contenu.[23]

Notes

[1] L’association des professionnels de l’information et de la documentation, « Glossaire », https://adbs.fr/publications/glossaire, page consultée le 12 septembre 2024.
[2] CARHOP, fonds CARHOP, n°1, document de travail de Hubert Dewez pour l’AG du CARHOP du 17/02/1981.
[3] CARHOP, fonds CARHOP, n°2, annexe 3 rapport de l’AG du CARHOP, 26/12/1980.
[4] Maintenant disponible en version électronique.
[5] Fondation André Renard.
[6] CARHOP, fonds CARHOP, n°2, annexe 3 rapport de l’AG du CARHOP, 26/12/1980.
[7] CARHOP, fonds CARHOP, n°5, Rapport d’activités de l’AG du CARHOP, 1981, juin 1982.
[8] CARHOP, fonds CARHOP, n°8 : Rapport d’activités de l’AG du CARHOP, juin 1985.
[9] Pour rappel les organisations constitutives du MOC sont les Équipes Populaires, la Mutualité Chrétienne, la JOC, Vie féminine et la CSC.
[10] Pour aller plus loin, voir l’article de Monique Van Dieren : De L’Équipe Populaire à Contrastes : Un trait d’union entre le mouvement et ses affiliés, dans ce numéro.
[11] Pour aller plus loin, voir l’article de Camille Vanbersy : Le périodique, outil de propagande, de formation et Trait d’Union entre les jocistes et la JOC ?, dans ce numéro.
[12] Pour aller plus loin, voir l’article de Amélie Roucloux : La Ligue des femmes, Vie féminine, axelle, De la ligueuse chrétienne aux militantes féministes, Un siècle de femmes à la Une !, dans ce numéro.
[13] Pour une analyse de la presse syndicale chrétienne, voir : LEPOUTRE S., « L’information syndicale : multiple, foisonnante et sous tension », La CSC, retour sur 45 ans de progrès social, Bruxelles, CSC-CARHOP, p. 385-409.
[14] GEERAETS, R. M., «Fil rouge. En quête de sens », Les cahiers du fil rouge, n°1, [2005], https://ep.cfsasbl.be/IMG/pdf/cahier1-2.pdf , page consultée le 25 septembre 2024.
[15] Président de la Commission permanente de Contrôle linguistique (CPCL), « Lettre à monsieur le bourgmestre », février 2001, https://www.vct-cpcl.be/sites/default/files/import/32120MD-AZ.pdf , page consultée le 20 septembre 2024.
[16] DI SENZO L. et ROUCLOUX A., « Covid-19 et confinement. Regard de l’histoire sur des mobilisations actuelles » Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°12, septembre 2020, mis en ligne le 15 octobre 2020, https://www.carhop.be/revuescarhop/wp-content/uploads/2020/10/20201013_RD_Intro_VD.pdf .
[17] La définition de la littérature grise désigne « tout type de document produit par le gouvernement, l’administration, l’enseignement et la recherche, le commerce et l’industrie, en format papier ou numérique, protégé par les droits de propriété intellectuelle, de qualité suffisante pour être collecté et conservé par une bibliothèque ou une archive institutionnelle, et qui n’est pas contrôlé par l’édition commerciale ». Voir : SCHÖPFEL J., « Vers une nouvelle définition de la littérature grise », 2012, https://www.abd-bvd.be/wp-content/uploads/2012-3_Schopfel.pdf , page consultée le 23 septembre 2024.
[18] Pour aller plus loin, voir : COOLS B. « Presses quotidienne belge : passé, présent et futurs économiques.»,  Courrier hebdomadaire du Crisp, n°2552, 2022.
[19] KBR, « Belgica », https://belgica.kbr.be/belgica/home-belgica.aspx?_lg=fr-FR, page consultée le 25 septembre 2024.
[20] KBR, « Belgicapress », https://www.belgicapress.be , page consultée le 25 septembre 2024.
[21] Loi du 08 avril 1965 instituant le dépôt légal à la Bibliothèque royale de Belgique (Moniteur belge du 18 juin 1965).
[22] En ligne gratuitement, Dynamiques, a pour objectif de « de prolonger une dynamique de rencontres sur l’histoire sociale entre les milieux universitaires, les institutions socioculturelles, les milieux associatifs et militants, ainsi que leurs publics ». La revue électronique mélange la recherche et l’éducation permanente dans une approche sociohistorique. Chaque numéro porte sur un thème qui allie “savoirs de terrain, issus des milieux syndicaux et associatifs, des expertises universitaires/scientifiques […] ainsi que des “témoignages qui sont les sources de l’histoire sociale”. CARHOP, « Présentation de la revue», Dynamiques. Histoire sociale en revue, 2016, https://www.carhop.be/revuescarhop/, page consultée le 25 septembre 2024.
[23] Ibidem.

Pour citer cet article

Arcq E., « Le périodique : un outil d’éducation permanente. L’exemple du CARHOP », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 24 : Lire pour lier!, octobre 2024, mis en ligne le 17 octobre 2024, https://www.carhop.be/revuecarhop/