Florence Loriaux (historienne, CARHOP asbl)
La caricature existe depuis que l’homme est capable de se représenter, en dessin ou en sculpture, avec cette particularité que les traits caractéristiques du sujet sont amplifiés ou déformés avec l’intention de le rendre ridicule. L’origine du terme même de « caricature » le confirme d’ailleurs puisqu’il dérive du latin « caricare » signifiant « charger un char de poids » et par extension « en rajouter ». Le mot prend un sens contemporain dès le 17e siècle, mais c’est le développement de la presse industrialisée au 19e siècle, grâce notamment à la découverte de la lithographie qui a donné au genre ses lettres de noblesse en multipliant les caricatures politiques de personnages nommément désignés (rois, dignitaires, hommes politiques…).
Cependant, à côté des caricatures politiques, il faut aussi évoquer les « caricatures de situation » qui mettent en évidence des pratiques de certains groupes ou catégories sociales en les ridiculisant. Aujourd’hui, les caricatures sont diffusées dans tous les arts (dessin, théâtre, cinéma, télévision…) et moyens de communication, mais ce sont sans doute les dessins de presse qui offrent le plus grand champ d’expansion à cette pratique, le statut de journaliste-caricaturiste étant devenu un véritable métier grâce au développement de revues satiriques partiellement ou entièrement consacrées à la caricature, aussi bien de personnages que de situations, comme Le Canard enchaîné[1], journal satirique créé en 1915 ou les Guignols de l’Info[2]. Cependant, si les métiers de peintre ou de dessinateur ne sont pas en principe particulièrement dangereux et permettent parfois à leurs auteurs d’acquérir une grande notoriété sociale, celui de caricaturiste peut se révéler très risqué au point de devoir parfois s’exercer dans la clandestinité. On ne compte plus les caricaturistes qui ont écopé dans le passé de séjours en prison plus ou moins longs. Aujourd’hui, la censure a été abolie dans les démocraties occidentales, mais les risques de représailles n’ont pas disparu pour autant et se sont même probablement amplifiés, en particulier lorsque les « dessins d’humour » portent atteinte à des sujets sociétaux sensibles comme la Nation, la guerre, les races, la religion… Personne n’a oublié le massacre provoqué en janvier 2015 dans la rédaction de Charlie Hebdo pour avoir consacré sa couverture à la caricature de Mahomet.[3]
Au-delà de ces généralités, si on se demande dans quelle mesure les travailleurs sociaux sont eux aussi victimes des caricaturistes, force est d’admettre qu’ils ne représentent pas un des publics cibles privilégiés dans la mesure où, en principe, aucun ne se détache des autres par une personnalité connue se prêtant facilement à la satire.
Les caricatures les concernant sont donc pour l’essentiel des caricatures de situations. Encore faut-il se demander ce qui, dans le métier d’un travailleur social ou d’intervention sociale, peut susciter la critique.
C’est qu’en fait le vocable de « travailleur social » est polysémique et qu’il se réfère à des réalités très différentes selon les époques où les métiers qui relèvent de ce domaine se sont développés. En effet, si le vocable de « travailleur social » est ancien et déjà présent dès la fin du 19e siècle, il recouvre en fait trois métiers historiques assez contrastés : « assistantes sociales, éducateurs spécialisés, animateurs socioculturels ; trois métiers également d’ancienneté très différente, d’origine diverse, “ parrainés ” par des professions libérales ou intellectuelles tout aussi diverses, et relevant de traditions culturelles variées, sinon opposées »[4].
Il faudra attendre la décennie 1970 et la montée en puissance de nouvelles générations pour assister à une unification des vocables sous la terminologie de « travailleur social » qui signe la professionnalisation de personnes intervenant dans des domaines très différents mais ayant des caractéristiques individuelles similaires et partageant « globalement les mêmes idéaux culturels ; et surtout, ils sont tous fortement soucieux de se démarquer des origines charitables ou militantes de chacun de ces métiers »[5], et cela en dépit du fait qu’il subsiste dans ces professions beaucoup de bénévolat, d’emplois précaires et de temps partiel qui sont même probablement encore numériquement dominants de nos jours. Autrement dit, l’appellation unique de « travailleur social », même si elle ne porte que sur une minorité d’individus, a contribué à donner à l’ensemble du groupe, une visibilité plus grande et à fédérer des métiers parfois encore en opposition.
Le vocable d’« intervenant » représente d’ailleurs lui-même une nouvelle évolution apparue à partir des années 1990 dans la terminologie et qui a renforcé la tendance unificatrice du statut de travailleur social. Mais en définitive, en faisant des travailleurs sociaux un ensemble flou et une masse indistincte, ne contribue-t-on pas aussi à masquer les profondes différences idéologiques qui se profilent derrière les interventions aussi diverses que celles de médiateur familial, d’accompagnateur éducatif et social ou d’animateur de quartier… ?
Les organismes au service desquels les travailleurs sociaux interviennent sont aussi très variables : administrations publiques, entreprises privées[6], associations…, comme d’ailleurs les publics auxquels ils s’adressent : jeunes enfants, personnes en grande précarité, handicapés, délinquants, malades…
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