Michèle Stessel (historienne) avec la collaboration de Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)
En 1893, des membres de l’Université libre de Bruxelles s’inspirant directement d’œuvres similaires existant en Angleterre et aux États-Unis lancent l’Extension universitaire de Bruxelles.[1] C’est au professeur Léon Leclère qu’en revient l’initiative quand il lance un appel aux intellectuels à s’engager dans la création d’une extension universitaire selon le modèle anglais. Un groupe de professeurs, d’étudiants et d’anciens étudiants réunis autour de lui et d’Eugène Monseur, décide de créer dans la capitale, une telle société. Le but de l’œuvre est de rendre les connaissances scientifiques accessibles au plus grand nombre, d’élever le niveau intellectuel et moral de la population et de faire découvrir le rôle fondamental de l’activité scientifique dans la société.
Un comité provisoire s’attèle à élaborer un projet de statuts et à préparer l’assemblée générale fondatrice de la société à laquelle est invitée toute personne intéressée par cette œuvre d’éducation populaire. Un Manifeste précise les intentions poursuivies : « il appartient aux détenteurs du savoir et du pouvoir d’instruire le peuple ou mieux de diffuser la culture dans les masses populaires afin qu’elles participent à cette culture au même titre que ceux qui l’ont élaborée. […] Tous les bons esprits sans distinction d’opinion ont de plus en plus la conscience du devoir qui leur incombe d’élever à eux les masses populaires, de compléter l’éducation du peuple. »[2] Pour les initiateurs, les universités sont les seules capables d’organiser un véritable enseignement populaire : « [En Angleterre], l’éducation populaire n’y a pas été laissée au hasard des bonnes volontés individuelles. Ce sont les universités d’Oxford et de Cambridge qui, avec toutes les ressources scientifiques, ont assumé cette tâche. Les séries de cours organisées par elles dans les milieux en apparence les plus réfractaires à tout effort intellectuel ont réussi au-delà des prévisions les plus optimistes. Nous nous proposons de les imiter et venons faire appel à vous pour nous aider à créer une société intimement rattachée à l’Université libre de Bruxelles qui se chargera d’organiser des cours populaires d’enseignement supérieur avec le concours de toutes les associations qui voudront bien s’intéresser à l’œuvre ».[3]
La fondation
Le 22 mars 1893, a lieu l’assemblée générale fondatrice de l’Extension universitaire, en présence d’une centaine de personnes, tous membres de l’ULB. Le recteur, Hector Denis, préside la séance et insiste dans son discours inaugural, sur la nécessité de diffuser pour le bien de la démocratie, les connaissances scientifiques. Il expose ensuite les objectifs de l’Extension. L’université ne doit pas seulement être celle des étudiants, mais du peuple tout entier. L’institution se propose donc de mettre à la portée de tous, sous des formes simplifiées, le contenu de son enseignement. Ainsi l’Extension tend en quelque sorte à réaliser dans le domaine des sciences, ce qu’accomplissent les sections de la Maison du peuple dans celui de l’art. Ensuite, Léon Leclère retrace l’historique du mouvement extensionniste et expose le but spécifique de l’Extension universitaire de Bruxelles. Après quoi, Émile Vandervelde présente et commente les dispositions statutaires. L’assemblée est conviée à voter chaque article ce qui ne suscite aucune difficulté, à l’exception de l’article 11 qui limite le corps enseignant aux seuls professeurs et docteurs de l’ULB. Plusieurs participants, dont une majorité d’anciens étudiants, soulignent le caractère restrictif et réactionnaire de ce principe et reprochent au Comité fondateur d’exclure de manière totalement injustifiée des personnes compétentes, telles des médecins, des jurisconsultes de premier ordre, des savants, sous le seul prétexte qu’ils ne sont pas agrégés. Malgré ces échanges, l’article en question est adopté sans modification. Dès le départ, l’Extension se prive dès lors de personnes compétentes et intéressantes. La séance de fondation s’achève avec l’élection d’un comité provisoire qui est chargé aussitôt de prendre contact avec les organismes susceptibles d’aider la jeune Extension à réaliser le but social qu’elle s’assigne : « la diffusion de la culture scientifique basée sur le principe du libre examen, par l’organisation de cours populaires d’enseignement supérieur, à caractère exclusivement scientifique. »
Organisation et administration
Le fonctionnement de l’Extension universitaire copie celui du modèle britannique avec un comité central et des comités locaux implantés dans tout le pays. La société est composée de membres effectifs et de membres adhérents. Les premiers, qui paient 2 francs de cotisation, sont des professeurs, des docteurs agrégés ou spéciaux, des étudiants et anciens étudiants de l’ULB. Les membres adhérents paient 10 francs de cotisation annuelle, n’ont pas de droit de vote et composent en quelque sorte un comité d’honneur. À la première assemblée générale du 6 juin 1893 qui se déroule après seulement 4 mois de fonctionnement, le nombre de membres effectifs et adhérents est de 207. Ils sont 246 membres (233 effectifs et 13 adhérents) à l’assemblée générale du 3 juin 1894. L’assemblée du 6 avril 1895 qui doit gérer la scission dont il sera question plus loin dans cet article et se prononcer sur l’avenir de la société, affiche une stabilité des membres puisqu’ils sont 229 effectifs et 15 adhérents.
1893 : l’Extension reçoit le soutien moral de l’ULB
Dès la fondation, le Comité provisoire, à l’instar de ses consœurs anglaises et américaines, sollicite du conseil d’administration de l’ULB la reconnaissance officielle ce qui lui sera refusé. Celui-ci estime néanmoins que l’université doit se montrer coopérante vis-à-vis d’une entreprise louable à bien des égards en encourageant ses membres, professeurs et étudiants à participer à son essor. Comme elle se doit d’avoir un droit de réserve institutionnel vis-à-vis de l’Extension, rien ne l’empêche de lui accorder son patronage moral.[4] Lors de l’assemblée générale du 3 juin 1894, le Comité se déclare satisfait de cet appui moral de son université ainsi que du droit d’utiliser ses locaux.
La Ligue de l’enseignement : un partenariat essentiel
Dans le même temps, le Comité provisoire se tourne vers La Ligue de l’enseignement et lui propose un partenariat. Sans aucune difficulté, la Ligue accepte et ses représentants ont désormais le droit de siéger au Comité central. Le terrain est préparé : plusieurs sont membres à la fois de l’Extension universitaire et de La Ligue de l’enseignement. Pour la Ligue, les objectifs sont communs : « cette société, qui poursuit la diffusion de la culture scientifique par l’institution de cours populaires d’enseignement supérieur, avait cru pouvoir compter sur l’appui de notre Ligue dont le programme porte précisément la propagation et la diffusion de l’éducation et l’instruction à tous les degrés et qui s’est attachée, durant son existence, déjà longue à favoriser tout ce qui peut étendre la culture intellectuelle du peuple. C’est assez dire que l’accord devait être facile entre la jeune société et la nôtre. »[5]
La Ligue accepte d’informer ses membres de l’existence de l’Extension, de susciter la constitution de comités locaux et lui assure son appui financier si nécessaire. Ces comités doivent clairement annoncer son patronage et lors de la séance d’ouverture d’un cours, un délégué de la Ligue doit prendre la parole au même titre qu’un représentant de l’Extension. Ses membres bénéficient de la gratuité des leçons et un syllabus de chaque cours, organisé par un comité local, est envoyé à sa bibliothèque.
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