Exposé et validation de l’analyse : Marie-Rose Bashwira
Professeure associée à l’Université catholique de Bukavu
Rédaction : Julien Tondeur (historien, CARHOP asbl)
La contribution que nous présentons aujourd’hui s’intéresse principalement à une double problématique, la contraction de dettes et le travail de la femme dans l’artisanat minier de l’or en République Démocratique du Congo (RD Congo). La RD Congo est connue pour ses innombrables ressources en minerais, de part et d’autre du pays, au nord comme au sud. Prendre le temps de regarder une carte qui met en lumière les ressources géologiques permet de rapidement comprendre à quel point la dynamique des minerais est importante pour la RD Congo, mais également pour saisir la complexité de la situation géopolitique de la région.
Aborder la question de l’extraction de minerais, c’est évoquer deux aspects qui peuvent paraitre contradictoires à première vue. On constate en effet, d’un côté, l’exploitation et le travail forcé, ce que l’on nomme parfois l’exploitation abusive des ressources humaines dans les zones minières, et d’un autre côté, on perçoit que c’est un moyen de subsistance pour une bonne partie de la population. Ces dernières décennies, néanmoins, le secteur minier artisanal de la RD Congo est aussi désigné comme moteur des conflits armés. Ce constat a conduit à désigner certains minerais tels que le coltan, le wolframite, la cassitérite et l’or comme « minerais du sang » ou « minerais des conflits ». Plusieurs réformes minières ont alors vu le jour afin d’endiguer ce phénomène, et cela aussi bien au niveau national (code minier 2002, 2018), régional (certification de la CIRGL[1]) qu’au niveau international (Dodd Frank Act aux États-Unis[2], dispositions de l’Union européenne, programme iTSCi pour les chaines d’approvisionnement en minerais responsables[3]…).
Parmi les principales réformes minières actuellement mises en œuvre en RD Congo, la plus récente consiste à éliminer le financement des groupes armés par l’extraction et la vente de minerais, et à améliorer la gouvernance minière tout en augmentant les recettes de l’État provenant du secteur minier.
Le constat selon lequel la présence des minerais est la cause première des conflits armés en RD Congo reste toutefois à nuancer. Les causes des conflits sont complexes et aboutissent à des conséquences différentes. Malheureusement, la situation dans le secteur minier ne fait qu’accroitre la perte de moyens de subsistance pour les mineurs artisanaux et les personnes à leur charge. Ce constat prévaut encore plus spécifiquement pour les femmes, qui peuvent être marginalisées ou même exclues de l’économie minière.[4] Il apparait donc que les femmes représentent un public particulièrement à risque dans le secteur minier. Car bien que constituant une part non négligeable des acteurs du secteur, leur travail reste non reconnu et parfois mal rémunéré. Les femmes sont marginalisées et victimes de violences basées sur le genre, telles que les violences sexuelles ou les maltraitances physiques et morales, extrêmement fréquentes dans les zones minières artisanales. Il est indéniable que le travail dans les mines artisanales est une source d’exclusion, d’insécurité et d’exploitation importante de tous les acteurs, hommes et femmes qui travaillent dans ce secteur.
Nos recherches démontrent toutefois que des différences de travail et de rémunération, parfois importantes, existent entre les différents acteurs, bien que la qualité du travail effectué soit identique. Ce constat corrobore les travaux existants, tel que celui d’Eleanor Fisher qui a montré que l’exclusion, l’insécurité et l’exploitation sont étayées par des inégalités socio-économiques.[5] June Nash, quant à elle, a démontré à quel point le secteur minier artisanal exploite certains de ses acteurs, notamment avec son livre We eat the mines and the mines eat us.[6] Par la suite, Jocelyn Kelly, Alexandria King-Close et Rachel Perks ont surenchéri en précisant les opportunités et les risques pour les femmes qui travaillent dans le secteur minier du Sud-Kivu, notamment la dangerosité et l’impact physique de ce type de tâches pour les travailleuses.[7]
Position des femmes dans la chaine de l’extraction minière
En observant attentivement la chaine de la filière minière de l’or, en partant de l’extraction et l’exploitation au commerce de l’or au niveau local, il est possible de tirer divers enseignements. Par exemple, s’attarder sur les divers acteurs de cette filière permet de constater que la plupart des femmes occupent des positions d’intermédiaire de traitement. Que cela soit au niveau du transport ou au niveau du traitement effectué sur les minerais, les femmes sont majoritaires, alors que dans d’autres positions, qui sont reconnues directement par le code minier, on retrouve beaucoup plus d’hommes. Cette situation laisse les femmes dans une position assez vulnérable, du fait que leur activité dans la mine n’est pas reconnue par le code minier. L’examen des budgets des ménages dans et autour des sites miniers du Sud-Kivu corrobore ce constat, puisqu’on constate que 80,5 % des ménages miniers dirigés par des femmes étaient pauvres, contre seulement 68,97 % des ménages dirigés par des hommes.[8]
La réforme du code minier en RD Congo[9] Le sous-sol de la RD Congo regorge de minerais et de métaux précieux (cuivre, coltan, cobalt, or, diamants, etc.). Par exemple, le pays dispose de plus de la moitié des réserves connues du globe en cobalt, minerai rare et très recherché, car indispensable aux nouvelles technologies. Cette richesse minière fait de la RD Congo un territoire très convoité L’ancien code minier, rédigé par des experts de la Banque mondiale, est adopté en 2002, juste après l’accession au pouvoir de Joseph Kabila. Ce code, qui affaiblissait plusieurs réglementations existantes, est considéré par la société civile congolaise et même par le Fonds monétaire international (FMI) comme très favorable aux investisseurs étrangers et très peu à l’avantage de l’État et de la population congolaise, qui ne bénéficient presque pas de l’exploitation minière. Les négociations pour l’établissement d’un nouveau code commencent en 2012 et se terminent en 2018. Les principales innovations sont une augmentation des redevances minières dues par les entreprises, mais encore faut-il pouvoir prélever l’impôt ; une plus grande mainmise de l’État congolais sur le secteur minier ; de nouvelles garanties sociales et environnementales (si, dans l’ancien code, les communautés devaient prouver l’existence de conséquences négatives de pollution, dorénavant, tout titulaire d’un droit minier et/ou de carrières est automatiquement considéré comme responsable des dommages causés aux personnes, aux biens et à l’environnement, même en l’absence de toute preuve de faute ou négligence). Concernant les creuseurs artisanaux, c’est-à-dire les personnes qui participent à l’exploitation d’une mine artisanale, on estime leur nombre à deux millions en RD Congo, même s’il est difficile de connaitre les chiffres exacts. Le code minier interdit implicitement le travail des enfants et des femmes enceintes, mais aucune autre protection des creuseurs artisanaux n’est cependant prévue.[10] |
Si on s’attarde un peu sur ces catégories d’intermédiaires, par exemple avec le cas du site minier de Kamituga (Sud-Kivu), que constatons-nous ? Nous allons réaliser ici une rapide description des différentes professions :
Les « bongeteuses » qui cassent les pierres en petits morceaux à l’aide d’un marteau de 2 kilos pour faciliter le concassage dans la machine.
Les « twangeuses » qui martèlent et broient les pierres, extraites des fosses, à traiter afin de les réduire en une poudre facilement nettoyable et séparable de l’or. Elles cassent les pierres, trient et lavent sable et minerais dans les carrières. Leur rémunération tourne autour de 2,5 dollars des États-Unis (USD) et 3,5 USD par « loutra » de pierres (une « loutra » correspond à la moitié d’un bidon jaune de 20 litres).