Exiger un accès légal au travail et rendre visible l’invisible

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Julien Tondeur (historien,  CARHOP asbl) sur base d’une interview de Eva Jimenez Lamas et Magali Verdier, de La Ligue des travailleuses domestiques  CSC-Bruxelles

Le vendredi 14 juin 2024, à la veille de la journée internationale du travail domestique et quelques jours après les élections politiques européennes, fédérales et régionales, les militantes de la Ligue des travailleuses domestiques de la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC) de Bruxelles, avec le soutien du Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC) de Bruxelles, se mettent en grève. La Ligue en profite pour organiser un événement retraçant son parcours historique de lutte. Elle établit par la même occasion le 1er gouvernement du courage politique, gouvernement symbolique dont les protagonistes sont interprétées par les militantes elles-mêmes. Aux pied du Palais de Justice de Bruxelles, les revendications, critiques et témoignages se succèdent devant plusieurs centaines de personnes. Sous un ciel gris et dans le froid d’un printemps qui n’arrive pas, l’assemblée passe du rire aux larmes, tant certains parcours de vie sont rudes et émouvants. Pourtant, malgré les difficultés, ces femmes luttent ensemble pour leur dignité. Elles revendiquent une protection juridique contre les abus, une régularisation et un accès aux formations professionnelles dans les métiers en pénurie. Quelques jours avant cette échéance importante, j’ai la chance de rencontrer Eva Jimenez Lamas et Magali Verdier, les deux coordinatrices de la Ligue, dans leurs bureaux de la rue Pletinckx, située au centre de Bruxelles. Pour cette contribution, elles proposent d’aborder la thématique des revendications pour les droits des femmes en les développant sous l’angle syndical. Elles retracent les origines de la Ligue, ses combats, ses revendications et les stratégies élaborées pour obtenir le respect du droit de chaque travailleur et travailleuse à être défendu et de cotiser à la Sécurité sociale.

Comment en êtes-vous arrivées à travailler pour la Ligue ? Deux parcours féminins et féministes différents

Engagée comme permanente syndicale en 2008 à la CSC, Eva Jimenez Lamas effectue en parallèle un mémoire sur la mobilisation des travailleurs sans papiers dans le domaine du « care ». Dans ce cadre, elle réalise entre 2011 et 2012 une observation partic ipante dans ce qui s’appelle à l’époque le Groupe de travailleuses domestiques avec et sans-papiers de la CSC. Pendant environ un an, elle accompagne Anna Rodriguez, la responsable de ce groupe mais aussi sa collègue du bureau (Eva travaille déjà à la CSC lorsqu’elle commence son stage). Elle est particulièrement touchée par les situations que vivent ces femmes, situations proches de celles qu’elle a vécu elle-même et considéré comme une humiliation : avoir étudié et être pourtant réduite et confinée dans l’espace domestique parce qu’il faut survivre et payer son loyer, être victime de racisme, de rapports de domination parfois très violents. C’est ce lien qui l’unit aux femmes et qui la porte depuis les débuts : « j’ai été travailleuse domestique car il fallait que je paie le loyer et que je subvienne aux besoins, à l’époque. Ma mère a vécu dans une Espagne post-franquiste et dans la véritable pauvreté. Tous ses frères et sœurs ont été placés dans des orphelinats, elle a élevé seule sa fille pendant 6 ans et demi en Espagne, ensuite elle s’est mariée avec un Belge et nous sommes arrivés en Belgique. (…) Je ne suis pas là comme observatrice. Il y a tout un parcours qui m’a amenée à déconstruire et à lutter contre les violences faites aux femmes dans le secteur du travail, parce que malheureusement j’en ai vécu beaucoup et ma mère en a vécu encore davantage ». Aujourd’hui responsable syndicale interprofessionnelle CSC Bruxelles, elle s’occupe notamment de la Ligue des travailleuses domestiques, qui fait partie du Comité des travailleurs et travailleuses migrant.es avec et sans-papiers de la CSC Bruxelles. De son parcours, Eva Jimenez Lamas tire une bonne partie de ses convictions et de sa force.

Magali Verdier, animatrice au MOC Bruxelles, s’installe en Belgique au début des années 2000, même si elle y est déjà venue pour ses études dans les années 1990. D’abord coordinatrice sociale pour un contrat de quartier à Saint-Josse, elle est engagée comme responsable régionale de Vie Féminine (VF) Bruxelles en 2005. Elle y reste durant 13 ans : « ce que j’ai trouvé très intéressant à VF justement, c’est que c’est un mouvement vraiment ancré dans les milieux populaires et qui n’a pas de jugement par rapport aux femmes. Elles avaient une ouverture totale (…) Vie Féminine en tout cas m’a beaucoup apporté. Et je me suis inscrite là-dedans. C’est vraiment d’avoir une émancipation individuelle et collective, petit à petit en partant des femmes ». Dans son travail à Vie Féminine, elle rencontre également Anna Rodriguez, qui occupe à l’époque elle aussi un poste d’animatrice dans le mouvement féministe. Elles réalisent avec des femmes sans-papiers des assemblées, participent à des occupations, des grèves de la faim. « C’est une des questions qui m’a touché, comme plein d’autres mais celle-ci m’a touché en particulier ». Magali Verdier souhaite alors se réinscrire dans une démarche de travail de terrain, c’est ainsi qu’elle est engagée en 2018 à ce poste qu’elle occupe aujourd’hui encore, animatrice en éducation permanente, genre et migration : « J’ai eu l’opportunité d’être engagée au MOC de Bruxelles avec une mission spécifique, qui était de soutenir le Comité des travailleurs avec et sans-papiers organisé par la CSC-Bruxelles.

Pour retracer leurs parcours, spontanément, Eva et Magali commencent par évoquer la question du féminisme. « Pendant très longtemps, m’explique Eva, j’ai dit que je n’étais pas féministe parce que j’étais en rupture avec des féministes qui n’accordaient pas une place dans la société à toutes les femmes ». C’est en travaillant avec les femmes migrantes et sans-papiers qu’elle évolue sur la question : « à partir du moment où on revendique le droit des femmes et qu’en plus on vit nous-mêmes des injustices comme femme, ce qui est mon point de vue situé, c’est que je vis des injustices comme femme, racisée et travailleuse, donc je suis une féministe intersectionnelle ».[1] Eva me signale néanmoins que cette notion est sujette à débats chez les féministes, mais assume sa position. De son avis, les différentes étapes de sa vie ont fait d’elle la féministe qu’elle est aujourd’hui. Pour sa part, Magali se sentait féministe dans l’âme, sans vraiment savoir ce que cela signifiait : « je dirais que je portais le féminisme de ma mère, qui ne se déclarait pas elle-même féministe. Mon père ne voulait pas que ma sœur étudie l’architecture et voulait que je sois secrétaire. Ma sœur pleurait dans la cuisine devant le frigo, je m’en souviendrai toute ma vie, et notre mère nous a défendues pour qu’elle puisse faire un métier soi-disant ̋d’homme ̏.  Ça, c’était le féminisme de ma mère. Moi je viens plutôt d’une classe moyenne aisée, ce n’est pas le même parcours qu’Eva mais voilà, ce sont quand même des choses qui te portent en tant que femme ».

D’où vient la Ligue ?

En 2008, le gouvernement Leterme inscrit dans sa déclaration politique du gouvernement, la régularisation des personnes sans-papiers suivant certains critères ».[2] Le rapport de force est favorable et la CSC s’inscrit alors structurellement dans la lutte pour la cause des sans-papiers. Elle engage Anna Rodriguez comme responsable migrations et sans-papiers et Eva, embauchée en même temps comme permanente syndicale, partage son bureau. Sous l’impulsion d’Anna Rodriguez, un comité de travailleurs et travailleuses sans papiers se met en place progressivement fin 2008. En son sein, un groupe des travailleuses domestiques prend vigueur. Protéiforme, il est composé de travailleuses avec et sans-papiers et des déléguées syndicales de secteurs comme les titres- services, le nettoyage, le travail domestique ou les soins. Le slogan est à l’époque « d’ici ou d’ailleurs, nous sommes toutes et tous des travailleurs », car c’est le travail de lutte contre l’exploitation qui est mis en avant au sein de la CSC, qui investit cette question suivant le principe que tout.e travailleur et travailleuse a le droit d’être défendu.e et de cotiser à la Sécurité sociale.

L’influence de Vie Féminine et l’usage de la langue française

Dans son rapport au groupe, Anna Rodriguez utilise des méthodes qu’Eva identifie comme propres à Vie Féminine : « il y a une modulation de se parler, il y a beaucoup plus de self-care, c’est en tout cas ma vision des choses, et c’est un plaisir de se retrouver ». Magali rappelle à son tour l’importance de l’ancrage du mouvement féministe dans les milieux populaires et l’attention qu’il apporte au développement d’une émancipation individuelle et collective, en partant des femmes. Au niveau de l’usage des langues, l’idée est à l’époque dans le comité « de parler français pour que les femmes puissent s’auto-émanciper par la langue également ». Elles sont alors plus autonomes, peuvent suivre un enseignement ou des formations. Aujourd’hui, nous le verrons, cette position n’est plus tout à fait d’actualité.

La Convention N° 189 de l’Organisation Internationale du travail (OIT)

Ce groupe de femmes coordonné par Anna Rodriguez travaille en étroite collaboration pendant plus d’un an avec Solidarité Mondiale WereldSolidariteid (WSM), la CSC-ACV et particulièrement la Centrale Alimentation et Services de la CSC, présidée par Pia Stalpaert, afin de participer à l’élaboration de la convention n° 189 de l’OIT sur les travailleuses et travailleurs domestiques.[3] L’OIT, une agence spécialisée de l’Organisation des Nations Unies (ONU), a pour mission de rassembler les gouvernements, employeurs et travailleurs et travailleuses de ses États membres dans le cadre d’une institution tripartite, en vue d’une action commune pour promouvoir les droits au travail, développer la protection sociale et renforcer le dialogue social. Des déléguées du groupe partent à Genève, ville dans laquelle se déroule la réunion de l’OIT cette année-là, afin de participer aux réunions de travail. Eva tient à souligner le travail exceptionnel réalisé avec le soutien d’Anna Rodriguez mais également de Nancy Tas alors permanente syndicale de l’alimentation et titres-services ACV et de Pascale Maquestiau, aujourd’hui responsable femmes CSC dans le Brabant Wallon. Pour le groupe, l’adoption de cette convention marque une victoire historique : « elles y ont participé et cela a été un moment très fort dont nous parlons encore à l’heure actuelle ». 

Le Comité change de nom

La période qui suit celle de la ratification de la convention s’apparente à un moment de transition. Beaucoup de femmes sans papiers restent dans le comité, au contraire des déléguées syndicales qui le quittent progressivement. Anna Rodriguez fait de même, elle est remplacée par Eva, et le nom du groupe change également « je trouvais que Voir-Juger-Agir, la méthode Cardijn de révision de vie, c’était important, et que l’analyse intersectionnelle ajoutait quelque chose d’important également. Donc à partir de 2012, on change le nom et cela devient le Comité des travailleurs et travailleuses migrant.es avec et sans-papiers de la CSC Bruxelles. C’est super long mais il y a la convergence de luttes et le féminisme inclusif à l’intérieur du nom ».[4]

Recruter pour la création d’un espace « femmes »

Devant la difficulté d’obtenir des papiers ou de voir leur situation évoluer, de nombreuses femmes quittent le groupe pour tenter leur chance à l’étranger. Le comité est composé en majorité d’hommes, même si les femmes représentent selon Magali au moins la moitié des personnes migrantes. Si certaines études parlent dans les années 2010 d’une féminisation des migrations, il conviendrait plutôt de parler d’une plus grande visibilité des femmes au sein des phénomènes migratoires.[5]

En 2018, le manque de femmes au sein du comité l’incite à agir pour que la situation change. Myriam Djegham, alors secrétaire fédérale du CIEP-MOC de Bruxelles, propose de recruter une personne qui aurait notamment pour mission d’obtenir une meilleure parité dans le groupe. C’est ainsi que Magali est engagée, à la base pour une courte durée, mais ensuite précise Eva, « on va se rendre compte que c’est quand même important de bien garder un espace non mixte, dédié aux femmes ».

Magali rencontre rapidement sur le terrain des femmes qui travaillent dans les salons de coiffure du quartier Matongé à Ixelles ou dans des boulangeries : « j’ai arpenté les rues, j’ai mis des petits flyers partout où il y avait déjà des occupations (de sans-papiers), la première c’était devant le cinéma Nova (…). Il se trouve que le gardien de ce bâtiment était philippin et qu’il avait une amie philippine qui était sensible aux questions des droits des femmes. Il m’a fait rencontrer cette femme dans un café et elle m’a dit qu’elle connaissait plein de Philippines qui étaient sans-papiers, qui étaient travailleuses domestiques. (…) J’ai rencontré des femmes autour de leur vécu, j’ai appliqué Voir-Juger-Agir, la méthode Cardijn… Cela a commencé avec des Philippines qui n’étaient pas très nombreuses, elles étaient 5 ou 6. Nous avons fait une première manifestation, c’était le 1er mai 2019 ». Sur la banderole que ces travailleuses sans papiers brandissent, elles écrivent « The cleaning ladies have a brain ». Lucia, une travailleuse brésilienne les rejoint ensuite, « elle était extrêmement politisée », se rappelle Eva, et remet en question le choix de l’appellation originelle : « Je ne suis pas une cleaning lady moi, je suis une travailleuse domestique ! » argumente-t-elle. « C’est comme cela que le groupe cherche un nouveau nom (…) quelque chose de plus fort… » la Ligue des travailleuses domestiques est née.

Les difficultés à mobiliser

Si les travailleuses sans papiers sont actives et bien présentes en Belgique et vivent des situations parfois très dures, organiser la mobilisation n’est pas simple pour autant. Après cinq années de travail, la Ligue représente une vingtaine de femmes très actives, en de rares occasions, entre 40 et 50. Magali nous en explique les raisons : « Elles dépendent d’un ou de plusieurs patrons (…), elles sont dans des liens individuels très complexes (…). Les enfants appellent certaines femmes leur seconde mère, parce qu’elles passent plus de temps avec les enfants que leurs propres mères ou parents ». Pour les infirmières, les aides-soignantes ou les travailleuses dans les maisons de repos, ce lien affectif est présent également, continue Magali. D’autres difficultés existent : « ces femmes sont très isolées. Il y a la question de la langue, il y a la question de la peur de perdre son travail et elles sont confinées dans les maisons. (…) Pour effectuer le travail syndical, il faut adopter d’autres méthodes, en fait (…). La grosse difficulté, c’est comment mobiliser des femmes qui sont dans des temps de travail différents où ce ne sont jamais les mêmes horaires, où elles ont très peu de temps pour elles ». Pour faire face à ces obstacles, Magali souligne qu’il faut « faire preuve de beaucoup d’imagination, d’humilité et de beaucoup de patience ». À ces difficultés s’ajoute le fait que le groupe soit composé de femmes de plusieurs nationalités. Ce qui est intéressant dans la ligue continue Magali, « c’est qu’on a réussi à dépasser cela. (…) l’ancrage commun, c’est le travail domestique qui n’a pas de nationalité ». Parce que dans le paysage des sans-papiers il existe « des collectifs indépendants qui s’organisent via des occupations, comme la Voix des sans-papiers, la Coordination des sans-papiers mais souvent, ce sont des groupes qui sont, je dirais, communautaires ». Ils se rassemblent plutôt, sans en faire une généralité, autour d’une langue et d’une culture commune. Pour Magali, ce constat découle notamment de la difficulté que représente la barrière de la langue : « à un moment donné, on avait essayé de donner des cours de français avec des bénévoles. Mais les filles étaient explosées de fatigue. Et donc les langues, c’est une vraie question qui n’est pas résolue ». Magali et Eva s’exprimant correctement en anglais et en espagnol, l’emploi unique du français est aujourd’hui révolu : « dans la Ligue depuis 2018, on les utilise vraiment dans un esprit d’inclusion, (…) mais malheureusement, il y a une démarche d’auto-émancipation qui est défaillante ». Eva souligne néanmoins que cette évolution accompagne de nouvelles tendances, qui voient des jeunes féministes antiracistes gagner en importance et en visibilité : « le féminisme 2.0 des femmes racisées, c’est un féminisme qui perce partout. Ces féministes-là ont des milliers et des milliers de followers (…). C’est extrêmement intéressant aussi et c’est aussi un féminisme beaucoup plus polyglotte ».

Que revendiquer ?

Lorsqu’elles défilent aux pieds du Palais de Justice le 14 juin, les travailleuses de la Ligue présentent trois revendications principales. Premièrement, elles exigent une protection juridique qui leur permet de porter plainte en toute sécurité et dignité contre les employeurs abusifs, notamment par le biais d’une autorisation de séjour durant la procédure de la plainte. Souvent, les femmes sans-papiers n’osent pas porter plainte, de peur d’échouer en centre fermé ou de se faire expulser du pays. Selon l’alinéa 4 de l’article 13 de la directive du parlement européen et du conseil de l’Europe de 2009 relative aux normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, les travailleurs et travailleuses concerné.es doivent pouvoir bénéficier d’un titre de séjour temporaire en fonction de la longueur des procédures nationales. Pourtant, après analyse explique Eva, les travailleuses de la Ligue constatent que « dans la directive, l’alinéa 4 de l’article 13 n’a pas été transposé ! C’est le seul alinéa d’article qui n’a pas été transposé ! ».[6] Deuxièmement, les travailleuses de la Ligue demandent un accès légal au marché du travail afin de mettre fin à la précarité de leur situation et de pouvoir cotiser à la Sécurité sociale. D’après une étude de 2023 de la Vrije Universiteit Brussel (VUB), il y a en Belgique 217 000 ressortissant.e.s européen.ne.s irrégulier.e.s (étudiant.e.s et touristes non enrégistré.e.s, travailleurs et travailleuses des pays de l’Est qui n’arrivent pas à activer leur liberté de circulation…) et 112 000 ressortissant.e.s non européen.ne.s en situation irrégulière. [7] De l’avis de la Ligue, la régularisation des travailleurs et travailleuses sans-papiers permettrait de combler un énorme manque à gagner pour l’État en termes de cotisations sociales, puisque ces personnes devraient alors payer des impôts, ce qu’elles ne peuvent pas faire actuellement. Enfin, les travailleuses domestiques réclament l’accès aux formations professionnelles délivrées par Actiris dans les métiers en pénurie afin de valider leurs compétences. Eva nous explique cette revendication en prenant l’exemple d’Angèle, « elle travaille auprès d’un enfant autiste, elle a acquis toute une série de compétences que les infirmières, en fait, n’ont pas dans le traitement de l’autisme et l’adoption de certaines techniques relationnelles avec l’enfant. (…)  Par contre, il y a toute une série de techniques de manutention qu’elle ne suit pas comme il se devrait pour se protéger elle-même et pour protéger l’enfant. C’est ce que nous demandons à travers la formation Actiris ».

CARHOP, Reportages, 14 juin 2024, Ligue des travailleuses domestiques sans-papiers de la CSC Bruxelles, Bruxelles, au pied du Palais de Justice. Des femmes de la Ligue témoignent de leurs parcours.

Les stratégies déployées, l’importance du plaidoyer

La Ligue et ses travailleuses domestiques développent au fil des années un arsenal de compétences et de techniques pour faire connaitre leur cause et arriver à leurs fins. Pour Eva, le premier élément de stratégie, c’est la « dénomination qui permet de renverser le stigmate. Elles sont travailleuses, sans-papiers, mais elles sont travailleuses. Et ça, c’est le syndicat qui (le) permet. (…) C’est le fait de pouvoir mettre en avant quelque chose de positif, même si s’appeler sans-papiers, ça fait partie de la lutte ».

Vient ensuite l’idée de se revendiquer « travailleuses domestiques ». Les femmes de la Ligue ne sont pas seulement membres du Comité des travailleurs et travailleuses migrant.e.s avec et sans-papiers de la CSC Bruxelles, elles s’affichent, se reconnaissent et s’identifient vers l’extérieur comme des travailleuses domestiques. Cette stratégie, elle s’inscrit dans le prolongement du modèle suisse « Papyrus » poursuit Eva. En février 2017, le canton de Genève initie ce projet permettant la régularisation de près de 3 000 travailleurs et travailleuses sans-papiers résidants depuis plusieurs années dans le canton.[8] Or, la Ligue est en contact avec la plateforme de soutien aux sans-papiers genevois. Elle invite deux fois à Bruxelles le Suisse Thierry Horner, secrétaire du Syndicat interprofessionnel des travailleuses et travailleurs (SIT), qui lorsqu’il est interrogé à propos du modèle « Papyrus », déclare : « on peut faire peur avec les sans-papiers. Mais ça ne marche pas d’avoir peur de la petite nounou brésilienne ». Alors, comme en Suisse, la Ligue continue son combat en véhiculant les portraits des femmes qui en sont membres, qui travaillent dans les secteurs des soins, de l’aide à la personne, du nettoyage et en lançant la campagne « Legal pay matters » le 16 juin 2022, rappelant aux responsables politiques bruxellois.es la nécessité d’instaurer une égalité de droits entre les travailleurs et travailleuses.

Ligue des travailleuses domestiques de la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC), Bruxelles, 16 juin 2022, l’action de grève se déroule place du Luxembourg

Le troisième élément mis en avant pas Eva et Magali, peut-être le plus important, c’est le plaidoyer politique. Ce travail de plaidoyer, il commence avec le Comité dès 2010 en préparation de la convention n° 189 de l’OIT et se poursuit jusqu’aujourd’hui. La Ligue en fait une de ses spécialités. Les textes législatifs sont étudiés et analysés en groupe. Il s’agit à la fois de tenter de faire évoluer les lois, mais également de vérifier que les normes édictées au niveau européen ou mondial soient bien appliquées en Belgique. Cette démarche se concrétise de manière formelle le 30 novembre 2017, quand Eva intervient au parlement fédéral en exposant le cas de Khadija (voir supra), aujourd’hui régularisée dans le cadre de la traite des êtres humains. L’un des accès aux titres de séjours passe par cette procédure, le Comité et la Ligue le comprennent bien, et insiste.

Le 17 décembre 2022, la Ligue entre dans l’enceinte du parlement bruxellois où elle préside l’ouverture d’un colloque sur l’accès l’égal au permis de travail pour les travailleuses domestiques et inaugure le Parlement du courage politique. Le 17 février 2023, six formations politiques, le Parti Socialiste (PS), One.Brussels (Vooruit), Groen, Ecolo, le Parti du Travail de Belgique (PTB), Agora, ainsi qu’une députée indépendante, Véronique Lefrancq, appuient publiquement une motion déposée par la Ligue au Parlement en novembre 2022, demandant que leurs droits soient respectés en tant que femmes et travailleuses. Le 23 avril 2023, une pétition récolte 1 000 signatures, permettant à deux travailleuses de la Ligue d’être auditionnées par le Commission des Affaires Économiques et de l’emploi et d’y présenter leur plaidoyer et leurs trois revendications principales (voir supra).

Ligue des travailleuses domestiques de la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC), Bruxelles, 17 décembre 2022, la Ligue entre dans l’enceinte du parlement bruxellois
Ligue des travailleuses domestiques de la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC), Bruxelles, 17 décembre 2022, la Ligue entre dans l’enceinte du parlement bruxellois

Le 16 juin 2023, les travailleuses entament leur deuxième grève et mettent en place un Tribunal du courage politique aux pieds du Palais de Justice de Bruxelles. L’objectif est d’inciter les responsables politiques à l’action sur ce dossier. La Ligue annonce également l’introduction d’une plainte à la commission des pétitions du Parlement européen, dans laquelle elle dénonce le non-respect de certaines directives européennes de la part de l’ensemble des différents niveaux de pouvoir en Belgique. Elle met également en exergue l’obligation de respecter la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite convention d’Istanbul[9], ainsi que des conventions de l’OIT, la n°189 mais aussi la n°190, relative à la violence et au harcèlement sur le lieu de travail.[10]

Une nouvelle est franchie le 23 janvier 2024, quand la Ligue des travailleuses domestiques intervient au Parlement européen afin d’exposer la plainte rentrée le 16 juin. Les suites sont d’ailleurs toujours en cours, indique Eva, et « la plainte est maintenant transmise à la commission justice, la commission égalité femmes-hommes et la commission affaires économiques et sociales ».

Ligue des travailleuses domestiques de la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC), Bruxelles, 16 juin 2023, au pied du Palais de Justice.
Ligue des travailleuses domestiques de la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC), Bruxelles, 16 juin 2023, au pied du Palais de Justice.

Théâtralisation et médiatisation de l’action

Magali complète les propos de sa collègue en évoquant l’importance du partenariat avec le monde artistique afin de visibiliser les travailleuses domestiques : « travailler avec l’art, avoir une image différente dans l’espace public dans la manière de se vêtir, dans la manière de faire des banderoles, dans la manière de dire des choses ». Je dirais qu’une des spécificités de la Ligue, poursuit Magali, c’est d’axer le travail dans le « champ culturel en travaillant avec différentes collaboratrices qui étaient féministes (…) avec des collectifs indépendants ou des personnes (…) qui soutenaient la lutte des migrantes. On a travaillé avec des journalistes, on a travaillé avec des photographes, on a travaillé avec des cinéastes (…) avec des comédiennes ». À l’occasion de leurs sorties dans l’espace public, les femmes de la Ligue se mettent en scène : « À chaque fois, on théâtralisait (…) on déroulait le tapis rouge devant le Parlement, on avait des T-shirts violets. Et ça c’est vraiment important, cela fait un peu « com » mais vraiment, il y a une identité, il y a des costumes, il y a une voix et elles sont « repérées » dans l’espace public. (…) Par le biais du théâtre, les artistes travaillaient, à la fois avec Eva sur la question de tout le contenu politique, et sur comment le transformer de manière théâtrale, qu’il soit compréhensible par tout le monde ».

Gagner leur place dans la CSC

Grâce à leur mobilisation, les travailleurs et travailleuses sans-papiers gagnent de manière progressive leur légitimité dans le syndicat. Lors du Congrès national d’octobre 2019 de la CSC-ACV à Ostende est votée à l’unanimité la motion qui demande que les personnes sans-papiers qui portent plainte doivent être protégées durant toute la procédure (le respect de la directive « sanction », voir supra), et des critères clairs et permanents de régularisation. Qui défend ces revendications devant le Congrès ? Les travailleurs et travailleuses sans-papiers eux-mêmes, qui depuis le congrès de 2010, possèdent un mandat exécutif dans toutes les instances de la CSC comme au Congrès national. Cette identité de travailleurs et travailleuses domestiques termine Eva, elle est effectivement « mise en application au travers de mandats dans des instances à la CSC ».

Perspectives : se voir reconnaitre une place dans la société

Les travailleuses domestiques sans-papiers de la Ligue se montrent solidaires des luttes de l’ensemble des sans-papiers. Elles sont néanmoins aujourd’hui organisées pour dénoncer les situations spécifiques dont elles sont victimes. Les obstacles vers l’obtention de leurs droits sont nombreux, mais elles ont déjà gagné leur place dans le syndicat et elles espèrent bien obtenir la reconnaissance de leur place et de leur travail dans la société.

Notes
[1] Le féminisme intersectionnel revendique l’idée de représenter la lutte pour les droits des femmes, tout en établissant comme principe qu’il est nécessaire de reconnaitre les différentes façons dont une femme peut vivre des discriminations. Par exemple, selon le féminisme intersectionnel, il faut admettre que la lutte menée par une femme racisée peut-être différente de celle menée par une femme non-racisée.
[2] Il s’agit de la déclaration gouvernementale de l’équipe Leterme, le 18 mars 2008, qui promet l’élaboration rapide d’une circulaire précisant des critères clairs de régularisation. AN H., « Sans papiers : union contre l’inertie », La Libre, 16 mars 2009. https://www.lalibre.be/belgique/2009/03/17/sans-papiers-union-contre-linertie-GZ4FAGUS5NFDVNR46B2D6VRFBQ/ , consulté le 25 mai 2024.
[3] Organisation internationale du travail, Co189 – Convention (n° 189) sur les travailleuses et travailleurs domestiques, 2011 (Entrée en vigueur : 05 septembre 2013), Adoption : Genève, 100ème session de la CIT- Conférence internationale du travail du 16 juin 2011, https://normlex.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_ILO_CODE:C189 , consulté le 24 mai 2024.
[4] Voir-Juger-Agir, méthode d’éducation par l’action développée par le cardinal Joseph Cardijn. Voir, c’est constater une situation d’injustice, individuellement puis en groupe, c’est commencer à prendre conscience de cette situation. Juger, c’est analyser, confronter les points de vue pour approfondir l’analyse, puis faire des choix d’objectifs. Agir, c’est devenir acteur ou actrice de changement dans le but de modifier la situation de départ.
[5] MOROKVASIC M., « La visibilité des femmes migrantes dans l’espace public », Hommes & Migrations, vol. 1311, no. 3, 2015, p. 7-13, https://www.cairn.info/revue-hommes-et-migrations-2015-3-page-7.htm , consulté le 27 mai 2024.
[6] DIRECTIVE 2009/52/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 18 juin 2009, Journal officiel de l’Union européenne, L 168/24, 30.06.2009, https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:168:0024:0032:fr:PDF , consulté le 20 juin 2024.
[7] VERHAEGHE P-P., GADEYNE S., Étude non publiée, VUB, https://emnbelgium.be/fr/nouvelles/il-y-112000-personnes-sans-titre-de-sejour-en-belgique-selon-une-nouvelle-etude-de-la , consulté le 27 juin 2024.
[8] Chiffres de décembre 2023. KEYSTONE A., « Papyrus a amélioré les perspectives des sans-papiers à Genève », Radio Lac, 12 décembre 2023, https://www.radiolac.ch/actualite/geneve/papyrus-a-ameliore-les-perspectives-des-sans-papiers-a-geneve/ , consulté le 20 juin 2024.
[9] Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, 12 avril 2011, Conseil de l’Europe, https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680462533 , consulté le 20 juin 2024.
[10] Organisation internationale du travail, Co190 – Convention (n° 190) sur la violence et le harcèlement, 2019 (Entrée en vigueur : 25 juin 2021), Adoption : Genève, 108ème session de la CIT- Conférence internationale du travail du 21 juin 2019. https://normlex.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_ILO_CODE:C190 , consulté le 24 mai 2024.

Pour citer cet article

TONDEUR J., « Exiger un accès légal au travail et rendre visible l’invisible », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 23, De la rue au parlement : femmes en luttes pour leurs droits, juin 2024, mis en ligne le 3 juillet 2024, https://www.carhop.be/revuecarhop/

Années 1970 : « l’autogestion n’est pas de la tarte mais cela vaut le coup »

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CHANOINE Wendy (Étudiante, ISCO-CNE)
GHAYE Elodie (Étudiante, ISCO-CNE)

Quelle drôle d’idée de renvoyer son patron ! Car, comment organiser le travail sans lui ? L’initiative des travailleuses du Balai libéré est-elle la seule à cette époque ? Si non, comment ces femmes, qui jouent un rôle prépondérant dans la structure familiale, parviennent-elles à allier défense de leur projet et soutien de la vie de famille ? Et, pourquoi aborde-t-on ce sujet dans un numéro portant sur la démocratie et la participation ?

Au printemps 1968, un vent de contestation souffle sur le vieux continent. En France, des émeutes étudiantes éclatent à Paris le 10 mai. Elles lancent l’événement qui est rentré dans l’histoire sous le nom de « Mai 68 ». Face à la répression policière, les syndicats soutiennent le mouvement étudiant et appellent à la grève générale. Largement suivie, le nombre de grévistes atteint 6 à 9 millions le 22 mai sur un nombre total de 15 millions de salarié.e.s. Si le conflit social trouve une issue lors de la signature des accords de Grenelle le 26 mai, le souffle révolutionnaire des événements de Mai 68 perdure dans le temps et dans l’espace.

Ainsi, l’idée d’autogestion prend place dans les esprits. On théorise alors sur la possibilité de se passer des patrons en mettant sur pied des collectifs de travail, avec une propriété collective des moyens de production. En Belgique, la gauche chrétienne se montre sensible à cette forme d’organisation du travail. Puis, en 1973, l’occupation de l’usine LIP par ses ouvriers, qui s’organisent ensuite en autogestion, rend tangible cette théorie et impacte le monde ouvrier.

Pour ce sujet, les auteures détaillent dans un premier temps l’historique du Balai libéré. Puis, elles s’intéressent à d’autres expériences d’autogestion au féminin en Belgique et cherchent à savoir quel en est l’impact sur la vie professionnelle et personnelle de ces militantes ouvrières. Voici le fruit de leurs recherches et réflexions.

Amélie Roucloux, formatrice

Historique d’une expérience d’autogestion au Balai libéré

L’asbl le « Balai libéré » nait de l’initiative d’un groupe de travailleuses d’une entreprise de nettoyage. Elles décident de licencier leur patron et de reprendre en autogestion leur société, ANIC. Prenant ainsi le contrôle, elles rebaptisent leur entreprise.

CARHOP, fonds Marc Bariaux.
CARHOP, fonds Marc Bariaux.

Les travailleuses du Balai libéré ne sont pas seules dans leur initiative. Située dans la toute nouvelle ville de Louvain-la-Neuve, l’entreprise bénéficie à la fois du soutien de l’Université catholique de Louvain qui réitère son contrat et à la fois du soutien financier de l’Institut Cardijn. Dans leur dynamique autogérée, les travailleuses sont aussi soutenues par les organisations syndicales.

Novembre 1974,

Les travailleuses de la société de nettoyage ANIC se rebellent contre leur patron concernant leurs conditions de travail. Elles sont payées 78 francs de l’heure alors que le tarif normal est de 102 francs de l’heure ; leurs frais de déplacements ne sont pas remboursés ; si elles cassent du matériel, le montant de celui-ci est retenu sur leur salaire ; elles n’ont pas de tenue de travail fournie par l’employeur ; enfin, certaines travaillent plusieurs mois sans avoir encore signé leur contrat.

CARHOP, fonds Marc Bariaux.

Février 1975,

La société ANIC perd son contrat avec l’Université catholique de Louvain. Le patron prend alors la décision unilatérale d’envoyer ses travailleuses sur un nouveau site de travail, à 150 km de là. S’opposant à cette décision, les ouvrières se mettent en grève et rédigent une lettre de licenciement à l’attention de leur patron.

CARHOP, fonds Marc Bariaux.
CARHOP, fonds Marc Bariaux.
CARHOP, fonds Marc Bariaux.

10 mars 1975,

Avec l’aide des syndicats, l’ASBL le « Balai libéré » voit le jour. Pour les aider à se lancer, les travailleuses bénéficient d’un prêt de l’Institut Cardijn qui s’élève à hauteur de 50.000 francs. De plus, elles récupèrent le contrat de nettoyage auprès de l’Université catholique de Louvain.

1978,

L’ASBL connait des moments difficiles en raison d’un budget sous-évalué et de la réalisation de nouveaux investissements trop conséquents. Dès lors, les ouvrières décident de mettre en place un plan de crise. Elles renoncent à une augmentation salariale et chacune accepte un jour de chômage par semaine.

Juillet 1979,

L’ASBL du « Balai libéré » devient une coopérative dans laquelle les ouvrières possèdent chacune des parts. De 1975 à 1980, l’entreprise autogérée passe de 35 à 96 personnes. Durant cette période, les travailleuses améliorent leurs conditions de travail : il y a une meilleure coordination, les horaires sont conçus en fonction des transports en commun, des contraintes de la vie, on veille à l’égalité salariale et les barèmes sont adaptés sur ceux du secteur.

1988,

L’entreprise autogérée le « Balai libéré » ferme ses portes.

CARHOP, fonds Marc Bariaux.

Les enjeux démocratiques de l’autogestion féminine

Durant les années 1970 et 1980, les travailleuses du « Balai libéré » ne sont pas les seules à s’emparer de la gestion de leur entreprise et à prendre leur destin en main. Ainsi, en 1976, l’usine de filature Daphica devient la coopérative « Les Textiles d’Ere ». En 1978, l’usine de de pantalon Salik devient « Le comité des Sans Emploi » puis, en 1980, la coopérative « L’Espérance ». Pour ces femmes et ces travailleuses, cette expérience constitue une révolution sociale et culturelle.

Ce qui frappe dans l’aventure autogestionnaire, ce sont les avancées émancipatrices pour celles et ceux qui la vivent. La hiérarchie contraignante de la productivité est ainsi balayée pour lui substituer les dynamiques de solidarité et de liberté. Ainsi, une travailleuse se souvient que « le passé, c’étaient des tabliers de couleurs différentes selon les chaînes de travail de manière à repérer les infiltrations de corps étrangers. Chacune à sa place et pas question de sortir du rang. Désormais, la couleur des tabliers n’a plus aucune importance. La communication est ouverte et les décisions se prennent en assemblée générale. »[1] Dans l’autogestion, le groupe de travail se réapproprie l’outil dans une dynamique émancipatrice et non plus aliénante.

Mais comme toute expérience humaine, l’autogestion connait ses imperfections et ses besoins de rééquilibrages. Parfois ils réussissent, parfois non. Madame D’Amore, l’une des initiatrices du mouvement, se souvient et déclare que « le travail en autogestion n’est pas évident. Nous n’étions pas prêtes à travailler en autogestion. Tout le monde se prenait pour quelqu’un. Tout le monde voulait faire le chef. Certaines en profitaient pour fumer, bavarder… Alors, avec celles qui avaient un peu plus de conscience professionnelle et qui faisaient leur boulot, il y avait des conflits internes. Bien sûr, il y avait des assemblées générales mais ce sont toujours les mêmes qui prennent la parole et les mêmes qui se taisent. ». D’une occupation d’usine, les travailleuses de Salik passent en autogestion. Mais le temps nécessaire à cette transition épuise les travailleuses qui, petit à petit, quittent l’aventure.Quand les femmes se lancent dans l’aventure autogestionnaire, cela a des répercussions au-delà des murs de l’usine et prend aussi place au cœur des familles des travailleuses. En effet, au vu du rôle traditionnel occupé par les femmes dans les structures familiales de l’époque, l’implication des travailleuses dans l’occupation de l’usine bouscule la structuration de ces dernières. Pour mener à bien cette occupation et la production en autogestion, elles doivent réaménager leur temps et les priorités qu’elles y mettent. Ainsi, ce temps, qui se construit au départ dans un équilibre entre vie familiale et professionnelle, ne peut plus se structurer comme tel. Les travailleuses restent dans leur usine pour défendre leur emploi. Les structures familiales qui préexistent à l’occupation de l’usine doivent maintenant s’adapter à ce changement d’équilibre. Liliane Ray se souvient que « [c]’était une aventure extraordinaire. Pour nous, c’était la révolution totale dans tous les domaines ! ».

Émancipatrice pour les femmes, l’expérience autogestionnaire féminine amène donc le besoin de repenser la structure familiale afin de pouvoir mener une lutte collective. Et, pour les personnes qui le vivent, ce n’est pas toujours évident à réaliser. Ainsi, Liliane Ray explique que

« Quand on est mère de famille et qu’on doit y passer les jours et les nuits [occupation de l’usine], c’est pas évident. Mais toutes ces femmes se sont mises debout. On vivait une révolution sociale et culturelle importante à l’intérieur de l’entreprise et aussi à l’extérieure parce qu’il a fallu se battre avec nos maris. Il fallait qu’ils fassent la bouffe et lavent les gosses… J’ai connu des ménages qui se sont défaits parce que, quand on passe par là, quand on vit ça, on n’est plus jamais la même, on devient quelqu’un d’autre, ça vous transforme. Partout, on s’imposait. On voulait être nous-mêmes, être reconnues pour ce que nous étions. Les femmes qui ont vécu ça ne sont plus jamais redevenues des petits toutous. »[2]

Mais parfois, les familles parviennent à réaliser cette adaptation et resserrent les rangs. Le partage d’expériences militantes est un facteur qui permet de cimenter les liens familiaux. Ainsi, Raphaël, le fils de Madame D’Amore, initiatrice de l’occupation de l’usine, se souvient de l’impact de cette grève sur sa mère et sa famille.

« Mon frère et moi étions de jeunes militants de la J.O.C. Avant l’occupation, ma mère nous reprochait tout le temps nos arrivées tardives et le fait qu’on aille manifester, distribuer des tracts et se faire bastonner par la police. Elle nous disait que ce n’était pas ça qui nous donnerait à manger ni nous ferait réussir nos études. Après la réunion qui a précédé l’occupation, elle s’est tout naturellement tournée vers mon frère et moi et nous a demandé comment on fait pour occuper une entreprise. Avec d’autres militants de la J.O.C., on lui a donné un canevas : il faut avertir la presse, mettre un comité de grève sur pied, prévenir les syndicats et essayer de conscientiser un maximum de gens pour vous soutenir dans votre action. À partir de ce moment-là, pour ma mère, tout a changé.

Les rapports entre mes parents et moi ont été complètement bouleversés parce qu’on vivait les mêmes choses ensemble. Mon frère et moi, on a eu une liberté totale d’action parce qu’on se retrouvait dans les mêmes manifestations et les mêmes occupations. Quand mon frère est devenu permanent de la J.O.C., c’est ma mère qui s’occupait de l’intendance pendant les soirées. Elle préparait les soupers spaghetti et les pizzas. Elle nous suivait quasiment partout. Ça l’a marquée. Encore aujourd’hui, quand j’engueule ma fille qui veut sortir et rentrer tard, c’est ma mère qui prend sa défense et me traite de vieux con.

Tous les rapports ont basculé dans l’autre sens. La vision que j’avais par rapport aux adultes a complètement changé aussi. Le discours de l’époque, c’était que l’adulte est l’ennemi des jeunes. Mais comment je pouvais considérer ma mère, qui occupait son entreprise, comme mon ennemie ? Comment je pouvais considérer mon père, pensionné mineur, membre du parti communiste italien, comme mon ennemi ? Tout ça a changé notre vie. »[3]

Il y aurait bien d’autres expériences individuelles issues d’expériences autogestionnaires dont on pourrait parler. Toutefois, nous espérons que la mise en regard de deux situations opposées permet de rendre compte de la complexité des enjeux que rencontrent les travailleuses dans les usines autogérées.

Conclusion

Comme le montre les différents témoignages, l’autogestion au féminin n’est pas quelque chose de facile et ne s’organise pas n’importe comment. Partant d’une impulsion spontanée de défense de leurs droits, comme au Balai libéré, ou de leurs emplois, comme à Salik, les travailleuses se réapproprient l’outil. Il faut alors s’organiser avec l’aide des syndicats.

Or, l’organisation en autogestion ne s’improvise pas. En effet, la conflictualité ne disparait pas complètement avec le patron. Il faut donc trouver un système de fonctionnement où chacune s’y retrouve et qui ne permet pas à un nouveau système de leadership de s’installer. C’est en parvenant à mettre en place ce système équilibré que l’on peut installer une forme de démocratie en entreprise. Chacun peut alors s’exprimer librement, chaque avis est pris en considération et discuté lors de réunions collectives.

Ensuite, une entreprise autogérée doit trouver des partenaires et des alliés. Ainsi, très vite les travailleuses trouvent des soutiens extérieurs capables de leur apporter une aide financière ou matérielle. Petit à petit, elles apprennent les rudiments de la gestion de la production. Bénéficiant de soutiens financiers, les travailleuses mettent en balance les bénéfices avec les dépenses telles que l’achat de matériel, les salaires, les taxes, les assurances, les avocats, etc.

Mais, en tant que femmes, elles doivent parvenir à imposer leurs revendications à la fois dans la sphère professionnelle et privée. Et, sur ce point, les mentalités ont la vie dure. À la lecture des témoignages, on découvre les difficultés que les travailleuses rencontrent, que ce soit dans leur vie active ou leur vie de famille. Pour beaucoup, la place des femmes est à la maison et le rôle de l’homme est de subvenir aux divers besoins de sa famille.

Dans les années 1970, c’est un univers très masculin qui a encore à l’esprit les grandes grèves et une certaine nostalgie des mineurs. Or, avec les grèves et l’occupation de leurs usines, les femmes imposent un respect et une profondeur. Au Balai libéré, elles vont même jusqu’à prendre l’initiative de licencier leur patron, le déclarant incompétent. Elles prennent alors pied dans des centrales syndicales.

Pour aller plus loin

Photos et témoignages écrits : archives du CARHOP.

Marie-Thérèse COENEN, « Quel Look, mon Salik ! », dans Les cahiers de La Fonderie, La Fonderie, 1993.

Marie-Thérèse COENEN, L’autogestion au féminin, CARHOP, 2005.

Céline CAUDRON, « Les occupations de Siemens et ex-Salik », dans La révolution totale dans tous les domaines, CARHOP, 2008.

Interview de Chanoine F, travailleuse chez Salik d’août 1968 à mars 1973, Bruxelles.

Notes

[1] Marie-Thérèse COENEN, « L’autogestion au féminin », Analyse en ligne, CARHOP, 2005.
[2] Céline CAUDRON, « Les occupations de Siemens et ex-Salik » dans La révolution totale dans tous les domaines, CARHOP, 2008.
[3] Ibidem

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

Chanoine, W., Ghaye, E. « Années 1970 : “l’autogestion n’est pas de la tarte mais cela vaut le coup” », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°10 , septembre 2019, mis en ligne le 24 octobre 2019. URL : http://www.carhop.be/revuescarhop/

Les femmes inventent leur université : collective et créatrice

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Claudine Liénard (militante féministe et écologiste, ex-coordinatrice de projets à l’Université des femmes)

Évoquer l’histoire de l’Université des femmes constitue un exercice périlleux. Les archives restent à exploiter. Les souvenirs des fondatrices se colorent de leurs ressentis, différents et particuliers. Chaque anecdote, chaque récit constituent autant de fils à nouer, à tisser pour former un tableau à la manière féministe : apparemment sans ordre ni beaucoup de cohérence mais qui finit par offrir un décor où chacune peut se situer et agir. Fort heureusement, l’association a posé ses propres repères historiques, à l’occasion de ses trente ans soulignés le 24 mai 2012 par un colloque dont les interventions ont été publiées. Historienne et cofondatrice, Hedwige Peemans-Poullet y a évoqué la nécessité, à la fin des années 1970, de nourrir le mouvement féministe qui se déployait, d’une pensée construite à partir de recherches et d’études de niveau scientifique. Le monde universitaire belge n’offrant ni terreau favorable ni opportunités, c’est au sein du monde associatif militant que des femmes constituent un point d’appui à des colloques, des débats, des publications. L’association prendra le nom crânement assumé d’Université des femmes[1].

En Belgique particulièrement, le mouvement féministe fonctionne avec des structures temporaires et recomposées au gré de l’actualité des combats à mener (plate-forme « Créances alimentaires » ou « Contre la répudiation », dénonciation des publicités sexistes, refus de la prostitution et des inégalités salariales, etc.), avec des associations nombreuses et diverses (de l’ONG à l’association de fait, de la structure émanant des services publics au groupuscule activiste). Il parvient aussi à pérenniser son action via des organisations plus solides comme le Comité de liaison des femmes où syndicalistes, enseignantes et associatives élaborent leurs positions communes ou via l’institutionnalisation de la démarche dans des organes d’avis officiels tels que le Conseil fédéral de l’égalité des chances[2]. Globalement, il a su construire et garder des modes de fonctionnement sans « vedette », sans trop de hiérarchie, souples et le plus souvent accueillants aux femmes en difficulté, sans ou étudiantes. Malgré la pression politique, administrative voire économique et les mises au pas pour fonctionner dans la légalité, il s’est inscrit vaille que vaille dans le paysage institutionnel belge communautarisé, régionalisé, etc., tout en maintenant une solidarité, des temps et des lieux de convergence, en partageant des outils, des expériences, des savoirs et des savoir-faire. Sans doute, l’analyse politique constante du contexte de domination masculine qui prévaut encore largement dans les institutions belges et, plus largement, dans son organisation sociale, permet de dépasser les incitations à la concurrence associative et de maintenir le sentiment d’une nécessaire cohésion et d’une solidarité féministes.

Cela n’explique pas tout. Il y a aussi, actifs, pensés et sans cesse (re)construits, la volonté et le goût des femmes pour « un mouvement social et politique qui concerne la moitié de l’humanité, mais qui n’a ni fondateur ou fondatrice, ni doctrine référentielle, ni orthodoxie, ni représentantes autorisées, ni parti, ni membres authentifiés par quelque carte, ni stratégies prédéterminées, ni territoire, ni représentation consensuelle, et qui, dans cette « indécidabilité » constitutive, ne cesse de déterminer des décisions, imposant aujourd’hui son angle d’approche et son questionnement à travers le monde »[3]. Ce goût de la multiplicité féconde des sources et des expressions qui a marqué les débuts du féminisme, reste présent dans les collectifs et actions qui dynamisent actuellement ce mouvement. À celui-ci d’offrir aux femmes qui font face ensemble, aujourd’hui, aux défis des inégalités, des références nombreuses et diversifiées. Car aucune personnalité emblématique, fût-ce Françoise Collin citée ici, ne suffit à polariser seule un mouvement dont la diversité constitue à la fois l’âme et le carburant.

Entre élaboration de la pensée et analyses féministes

Dans ce mouvement, l’Université des femmes garde une réputation et une pratique d’élaboration de la pensée et des analyses féministes qu’elle entretient grâce à des cycles de formation, à ses publications et à sa Bibliothèque Léonie La Fontaine[4]. Son champ associatif se situe entre les mondes académiques, administratifs, politiques et militants. Acquise aux enjeux de l’éducation permanente à destination des adultes, elle atteint les publics populaires en formant celles et ceux qui sont en première ligne de l’éducation, la formation et l’animation. Son activité de base – un cycle de conférences-débats thématiques ouvert à tous et toutes – continue à les mettre en contact avec les chercheur.se.s et praticien.ne.s de terrain qui proposent des travaux élaborés avec les outils du féminisme : analyse de genre, attention aux stéréotypes, valorisation des apports des femmes. Ce n’est pas un hasard si l’offre formative se calibre sur les séminaires universitaires. À ses débuts, cela se limite à des thèmes annuels déclinés dans des conférences organisées le jeudi soir dans les locaux de l’école Parallax, place Quételet à Saint-Josse-ten-Noode, et donnant parfois lieu à publication dans la revue de l’association, Chronique féministe. Hedwige Peemans-Poullet l’organise ensuite dans un format plus long, déployé en une douzaine de séances où chercheur.se.s et praticien.ne.s approfondissent un sujet avec une approche de genre. Cette « formation longue » thématique échouera à obtenir une reconnaissance académique, mais finira néanmoins par bénéficier d’une solide réputation. Des dossiers bibliographiques et les articles enrichissent chaque séance grâce à l’apport de l’équipe de la bibliothèque réunie autour de Sabine Ballez, bibliothécaire-documentaliste, et les interventions sont largement diffusées par leur publication dans une collection éditoriale de l’association, les Pensées féministes.

Il s’agit donc de montrer que les recherches féministes doivent entrer dans les cursus académiques à l’instar des Women’s studies qui prennent forme aux USA et dont l’Université des femmes se revendique : « Issues du mouvement des femmes des années 70, les Women’s studies avaient pour objectif de prolonger la critique de la place faite aux femmes dans la société par la critique des discours légitimant leur exclusion. Dans un contexte général de développement des études sur les minorités, les féministes universitaires ont obtenu, à une large échelle, avec l’appui des étudiantes, la création d’enseignements sur les femmes et de Women’s studies interdisciplinaires »[5]. Le développement de séminaires de formation, de colloques internationaux, de cycles de conférences répétés et diversifiés année après année n’aura pas été vain. De même que l’étude de faisabilité développée en 2011 par l’association féministe et bicommunautaire Sophia. Il aura fallu plus de quarante ans pour que les féministes obtiennent finalement l’ouverture – pour l’année académique 2017-2018 – d’un master en études de genre interuniversitaire en Belgique.

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La protection de la maternité sous la IIIe République (1870-1940)

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Anne Cova (Institut en Sciences Sociales de l’Université de Lisbonne)

La durée du congé de maternité (actuellement fixée à 16 semaines en France) est régulièrement débattue. Cet article analyse la genèse et le cheminement de l’idée de la protection de la maternité dans les hémicycles. Quelles en sont les grandes étapes depuis la fin du 19e siècle ? De quelle façon s’est opéré le passage de l’assistance à l’assurance ? La France se trouvait-elle en retard ou en avance par rapport à ses voisins ? Quel a été l’apport des féministes à la construction de l’État-providence ?

Lente émergence de la protection de la maternité

Le repos après et avant l’accouchement et le versement d’une indemnité sont des idées qui mûrissent lentement chez les législateurs[1]. C’est d’abord la discussion autour du repos après l’accouchement qui retient l’attention. Puis l’indemnité entre en scène, avant même que ne soit prise en considération la nécessité d’un repos avant l’accouchement. La question du repos avant et après l’accouchement est loin de rencontrer l’unanimité. En dehors des parlementaires qui s’y opposent, des clivages existent entre ceux favorables à un repos uniquement après l’accouchement, et d’autres qui réclament le repos avant et après ce dernier. Une difficulté supplémentaire est de déterminer à partir de quelle période avant l’accouchement doit commencer le repos.

Ce n’est que peu à peu que l’État devient protecteur, en témoigne le nombre d’années de débats parlementaires nécessaires entre le dépôt d’une proposition ou d’un projet de loi et la promulgation d’une loi : trois années pour la loi Engerand (loi du 27 novembre 1909, du nom du député de droite Fernand Engerand), quatorze années pour la loi Strauss (loi du 17 juin 1913, du nom du sénateur radical Paul Strauss), neuf années pour les assurances sociales qui comprennent l’assurance maternité (lois des 5 avril 1928 et 30 avril 1930) et quatre années pour les allocations familiales (loi du 11 mars 1932).

Loi du 17 juin 1913 (collection Bnf Gallica)

Avec la loi Engerand, l’employeur ne peut impunément rompre un contrat de travail d’une femme enceinte. C’est une forme de responsabilisation et surtout de garantie pour les travailleuses de retrouver leur travail après l’accouchement. La loi Strauss permet aux femmes enceintes de se reposer quatre semaines avant et quatre semaines après l’accouchement — seul le repos après l’accouchement est obligatoire — et de bénéficier d’une indemnité, si minime soit-elle.

L’assurance maternité constitue une avancée notable en permettant notamment aux femmes mariées ou salariées de toucher pendant douze semaines, six semaines avant et six semaines après l’accouchement, une indemnité journalière pour perte de salaire, égale à la moitié de la moyenne du salaire de leur branche et des primes d’allaitement.

Aucune loi n’étant votée sur la protection de la maternité en France avant le début du 20e siècle, il convient donc de poser la question du retard français.

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