Pierre Georis (anciennement secrétaire général du MOC)
Les coopératives ouvrières chrétiennes ont une longue histoire, commencée en 1886 et qu’on ne reprendra pas ici, sauf à en poser quelques jalons[1]. Pour faire face aux exigences du marché, les coopératives de production ont eu besoin de financements : pour l’assurer, une série de coopératives (sous)-régionales ont été créées en vue de collecter de l’épargne. Une première coordination de tout cela s’opérera en 1935 avec la création de la Fédération nationale des coopératives chrétiennes (FNCC). La dénomination se transformera en « Groupe C » en 1972.
Se mettre en coopérative est une option de défense de valeurs : l’entraide, la solidarité, la gestion démocratique, la responsabilité sociale. Il n’en reste pas moins que la coopérative doit trouver sa place sur un marché, proposer un produit ou un service qui trouve un débouché ; autrement écrit, il s’agit d’une entreprise qui, comme toutes les autres, doit parvenir à l’équilibre économique, faute de quoi elle disparaît. L’histoire des coopératives n’est dès lors pas un fleuve plus tranquille que celui de l’histoire économique générale. Ainsi certaines entreprises de la coopération chrétienne peuvent-elles avoir été florissantes à une époque et néanmoins disparaître à l’époque suivante. Le cas le plus exemplatif est sans doute celui du « Bien-Être », une chaîne de magasins particulièrement prospères durant les années 1950 et 1960, qui s’est ensuite effondrée faute de s’accrocher à temps et en heure au nouveau modèle de la grande distribution. L’imprimerie SOFADI mourra elle-aussi d’avoir perdu son principal client, le journal La Cité, lui-même décédé peu de temps auparavant (1995)[2].
Au rang des coopératives : une banque d’épargne, la COB, Caisse ouvrière belge, qui deviendra BACOB[3] (en sorte d’avoir une marque unique pour couvrir la Belgique plutôt que BAC pour les néerlandophones et COB pour les francophones), et une compagnie d’assurance DVV-Les Assurances populaires (Les AP). Le départ de ces initiatives de services financiers était pédagogique et pratique : apprendre l’épargne et à se couvrir contre des risques, tout en offrant les outils utiles pour y parvenir. C’est assez largement par l’intermédiaire des organisations du Mouvement ouvrier chrétien (MOC), en particulier syndicat et mutuelle, que des personnes deviennent clientes de la COB. Les coopérateurs des coopératives FNCC de financement sont quant à eux largement recrutés parmi la clientèle de la COB. Au-delà de la rémunération de l’épargne de ses clients, la COB devient un acteur de l’accès à la propriété par la voie du crédit hypothécaire ; à tout coopérateur d’une coopérative financière FNCC, elle offre un avantage sur le taux d’intérêt du crédit accordé. Le MOC est quant à lui rémunéré pour son apport de clientèle. Tout un circuit est en place qui, in fine, soutient le mouvement coopératif : le MOC apporte des clients à la COB et perçoit une commission commerciale qui contribue au financement de ses activités d’éducation populaire ; la COB apporte des coopérateurs aux coopératives financières de la FNCC et offre des avantages aux coopérateurs recrutés[4] ; lesdites coopératives financières financent les coopératives de production et de service. Au fil du temps et de sa croissance, la COB/BACOB contribuera aussi à financer l’État, ainsi que des hôpitaux, des écoles, des maisons de repos : une banque pour le non-marchand.
Création du Groupe ARCO
Pour beaucoup d’acteurs de ce réseau coopératif, les années 1980 sont compliquées ; la réorganisation est nécessaire. La création du « Groupe ARCO » en 1990 est le résultat de cette restructuration, qui simplifie et rationalise un système jusque-là très éclaté. Pour des raisons de facilité, on dit « ARCO » mais c’est d’un « groupe » qu’il s’agit, comprenant plusieurs sociétés et des filiales. L’organigramme précis et le dessin des liens entre les sociétés n’est pas prioritaire pour notre propos à vocation généraliste.
Retenons simplement que le système est à trois niveaux. Le premier est celui des coopératives de financement. La principale est ARCOPAR, qui est le produit de la fusion des 28 coopératives sous-régionales de financement. C’est la société qui continuera à recruter de nouveaux membres, et qui en compte les plus nombreux[5]. L’argent récolté est placé dans deux holdings, c’est-à-dire des sociétés de gestion de portefeuilles ; ces holdings constituent le deuxième niveau de l’organigramme du groupe. L’une d’entre elles, ARCOFIN, gère les participations dans les sociétés financières : elle est la propriétaire de BACOB et DVV/LesAP, qui peuvent donc être situées en troisième niveau de l’organigramme. L’autre, AUXIPAR, est holding ayant participations dans des sociétés industrielles et commerciales. C’est important à dire car c’est souvent éludé : ARCO a aussi été propriétaire de EPC (de l’ordre de 600 emplois dans la distribution de produits pharmaceutiques et dans le réseau « Familia » de pharmacies principalement wallonnes)[6]. Les autres investissements ont été diversifiés, dans des perspectives de soutien à l’économie belge et de développement durable. Ils se sont faits dans les secteurs de l’énergie (éolienne pour la production, Elia pour la distribution), l’épuration des eaux, le logement social, les télécommunications (Belgacom), le traitement des déchets, une société publique (flamande) d’investissements, d’autres outils de financement de l’économie sociale (CREDAL côté francophone et Hefboom côté flamand)[7].
Complémentairement, le Groupe ARCO a organisé un service juridique de défense de ses coopérateurs, et un service d’achat groupé de combustible. Il a offert des services d’audit à des sociétés et associations demandeuses (le MOC en a bénéficié plus d’une fois, pour lui-même et pour « Loisirs & Vacances » son service de tourisme social), assuré la gestion des ASBL PROCURA (flamande) et SYNECO (francophone) pour informer et accompagner les projets non-marchands et/ou d’économie sociale, sauvé des équipements de tourisme social (Duinse Polders à Blankenberge et Sol Cress à Spa) en les reprenant dans une ASBL spécifique (SOFATO), offert de nombreux sponsoring à des initiatives et projets ponctuels.
Si on veut juger complètement et équitablement, il faut retenir d’ARCO que le Groupe ne faisait pas que dans la banque et l’assurance même si, par la force des choses, c’est 80 % des moyens qui y étaient investis. La ventilation des coopérateurs était de l’ordre 87 % Flamands-13 % francophones[8]. Cette réalité basique explique que l’essentiel de l’activité s’est joué en Flandre sans pour autant que, on vient de le voir, la Wallonie soit abandonnée. Dans le système, par la force des choses, les acteurs francophones étaient très minoritaires ! Pour renforcer la position relative, il aurait fallu plus de coopérateurs francophones ; mais, malgré les efforts, on n’y est jamais arrivé. Ceci écrit, il ne faut pas confondre : être minoritaire n’a jamais signifié être victime de maltraitance ! Dans les conseils d’administration, les francophones disposaient d’une représentation supérieure à leur poids objectif et disposaient également d’un administrateur indépendant (à comprendre dans le sens : pas un responsable salarié du MOC et des organisations, mais un académique disposant de l’expertise suffisante à utilement épauler le collectif).