Marie-Hélène Zylberberg-Hocquard (Historienne, GERS)
Avec Marie-Hélène Zylberberg-Hocquard, historienne spécialiste de l’histoire des femmes, les combats menés dans le secteur professionnel aussi bien en France qu’en Belgique apportent une dimension internationale et féminine aux revendications ouvrières qui ont jalonnées les 19e et 20e siècles et qui restent encore d’actualité aujourd’hui.
Quand on m’a demandé de conclure ces deux journées, j’ai assez vite compris que le colloque ne se voulait pas une sorte de cérémonie commémorative, encore que les femmes-machines la méritent bien. Ce n’était pas non plus uniquement l’occasion de présenter l’aboutissement de recherches produites aussi bien par des historiens, des historiennes, des sociologues, que par des syndicalistes sur une grande grève de femmes, pas une grève féminine non, une grande grève de femmes. Autant qu’un travail de mémoire ou qu’un travail d’histoire, ce colloque se veut un regard tourné vers le passé et ouvert sur le futur.
Ma première réaction d’historienne fut de lire un certain nombre de journaux français de l’année 1966, pour me mettre dans l’ambiance ; ils glorifiaient tous cette lutte. Un article du journal L’Humanité du 11 mai, célébrant la fin de cette grève après 80 jours de « lutte victorieuse », se termine par ces mots : « Ce que nous avons fait, d’autres vont le faire, m’a dit une des femmes ». Je me suis donc lancée dans la rédaction de cette conclusion en ayant à l’esprit des mots d’espoir, un espoir vieux de cinquante ans. Mais, dans le même temps, je vivais dans le présent, et je voyais, en Europe, l’évolution de l’organisation du travail, celle du droit, alors que les ouvrières de la Fabrique nationale d’armes de Herstal (FN) s’étaient appuyées dans leur action, entre autres, sur le droit européen. Je voyais notamment les modifications progressives de la législation française, une législation que l’on pourrait qualifier de non genrée. Neutre du point de vue du genre, mais qui s’avère, par certains de ses aspects, très négative pour les femmes en particulier.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Prenons l’exemple de la flexibilité des horaires. Il y a eu, en France, de nombreux accords locaux ou de branches sur cette question, et ce n’est qu’un début. La plupart des femmes continuent à vivre une double journée, les enquêtes sociologiques montrent que ce sont encore elles qui, pour l’essentiel, s’occupent du travail ménager et des enfants, surtout en bas âge. Et qu’elles doivent, comme elles le disent elles-mêmes, être extrêmement organisées. Or, comment fait-on pour s’organiser quand une semaine, on travaille 4 heures un jour, et que le même jour de la semaine suivante on travaille le double, sinon plus ? Comment faire garder les enfants sans un planning à peu près identique d’une semaine à l’autre ? Il y a beaucoup d’autres raisons pour rejeter cette évolution de l’organisation du travail, mais pour les femmes, dans la société telle qu’elle est, elle peut parfois signifier une interdiction de fait d’exercer leur droit à travailler. Autres exemples, le travail précaire, le travail à temps partiel, les hommes certes n’en sont pas préservés, mais ce sont surtout des spécificités féminines qui elles aussi, mettent en cause le droit à vivre de son travail. Je m’arrête là, je dois conclure sur la lutte des ouvrières de la FN. Tout en pensant indispensable, en la circonstance, de rappeler qu’aux discriminations anciennes, qui n’ont pas toutes disparu, s’en ajoutent de nouvelles qui sont peut-être plus dangereuses parce que plus difficiles à repérer. Ce sont ces discriminations qui m’ont poussée à remplacer le titre glorieux et émerveillé que j’imaginais pour ma conclusion, par un mot d’ordre plus belliqueux et plus fidèle aux grévistes de 1966 : continuons le combat.