Marie-Thérèse COENEN (historienne au CARHOP)
Dans ce numéro de Dynamiques, consacré à l’histoire d’une entreprise par les militant.e.s, notre contribution dessine le portrait d’un intellectuel qui s’est mis au service de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier[1]. Michel Capron est un économiste qui s’est imposé comme expert de l’industrie wallonne et en particulier la sidérurgie, la métallurgie et la verrerie. Il est un observateur au long court, de l’évolution de la concertation sociale et des conflits sociaux. Ses domaines d’expertise sont étroitement liés à ses convictions profondes et ses engagements militants : la maîtrise des logiques à l’œuvre dans le capitalisme industriel mondialisé est une arme pour les travailleurs. Pour Michel Capron, il faut rééquilibrer les forces en présence, voire les renverser en faveur de la classe ouvrière. Il s’y attèle dès les années 1970 au sein de la Ligue révolutionnaire des travailleurs (LRT) dans un premier temps, ensuite et en parallèle dans l’engagement militant syndical et régional à travers divers mandats, et, après 2000, dans ECOLO. Par la plume, il communique ses observations et ses analyses sur les stratégies mobilisées par les groupes patronaux. Ces informations souvent occultées par le grand capital doivent permettre aux acteurs de la première ligne, c’est-à-dire les travailleurs et travailleuses, de se positionner, non pas uniquement de manière défensive, mais offensive en revendiquant leur place dans les décisions qui les concernent. Les ACEC, cette grande entreprise des fabrications métalliques avec son implantation à Charleroi, sa ville d’adoption, est dans sa ligne de mire.
Une ligne de vie militante
Michel Capron est né le 25 octobre 1940, à Baasrode (en français Baesroode) en Flandre orientale où son père travaille comme ingénieur chimiste dans l’industrie textile. Sa mère, sans profession, est une femme pieuse. Pour des raisons professionnelles, la famille déménage en France où Michel décroche en 1959, un baccalauréat en philosophie. Il poursuit ses études et sa vie professionnelle en Belgique.
-
- Un engagement religieux
De 1959 à 1971, Michel Capron fait son noviciat dans la Compagnie de Jésus, à Arlon et suit une licence pontificale en philosophie. Son supérieur l’envoie faire une licence en Sciences économiques et sociales aux Facultés Notre-Dame de la Paix, à Namur où il opte pour la spécialisation en économie d’entreprise[2] qu’il prolonge en 1969-1970 avec une maîtrise en sciences économiques.
Durant son noviciat, il fait entre autres un stage à l’Hospice de Bertrix. Un autre stage de deux mois (mars-avril 1961) l’amène à l’usine Espérance Longdoz, à Seraing où il est occupé aux archives et, en atelier, au nettoyage des pièces. Il côtoie des travailleurs fortement marqués par les grèves contre la loi unique (décembre 1960 – janvier 1961). À Flémalle où il aide le curé, il fait la connaissance de Jef Ulburghs[3], aumônier des œuvres sociales à Seraing qui lui fait une forte impression.
À la fin de sa licence, son supérieur l’envoie suivre en 1970 une année à l’Institut d’Études théologiques, à Egenhoven-Heverlée. Cette année, la ville universitaire est secouée par les mobilisations étudiantes pour la défense du statut des étudiants étrangers. Le slogan « université de classe » du mouvement étudiant l’amène à réfléchir sur le capitalisme. Impressionné par la pertinence des écrits marxistes d’Ernest Mandel[4] et l’actualisation de ceux-ci à la société capitaliste contemporaine, suite à des contacts avec lui, il s’intéresse à la Ligue révolutionnaire des travailleurs (LRT) et crée une cellule LRT à Louvain. Comme tout militant de base, il distribue des tracts ainsi que le « sulfureux » Petit livre rouge des écoliers et des lycéens [5]. En août 1971, son supérieur décide de l’envoyer à Liège, au collège Saint-Servais. Michel Capron refuse et quitte la Compagnie de Jésus. Il s’installe au Centre religieux universitaire (CRU) de Louvain[6] et gagne sa vie en dactylographiant des travaux d’étudiants.
-
- Engagement professionnel : la FOPES, une expérience inédite de formation universitaire
Libre de tout engagement religieux, il postule, fin 1971, pour le poste d’assistant à la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université catholique de Louvain, pour un projet précis : lancer un programme d’études à destination des travailleurs et militants ouvriers, la future licence en sciences politique, économique et sociale, ainsi qu’installer une nouvelle faculté, la Faculté ouverte de politique économique et sociale (FOPES). Dans sa candidature, Michel Capron précise :
« Je pense que ces différents cours [suivis pendant sa licence en économie] ont pu me donner une sérieuse formation théorique et même s’ils n’étaient pas directement orientés vers la pratique et les problèmes actuels plus immédiats, les réflexions et études que j’ai pu faire dans leur prolongement ont pu permettre une plus grande attention aux problèmes économiques concrets qui se posent dans notre pays. En toute hypothèse, pouvoir travailler à l’élaboration d’un programme de politique économique dans une optique nouvelle m’intéresse très fortement »[7].
Son contrat d’assistant débute le 1er février 1972. Avec Pierre de Saint-Georges[8], engagé en mai 1972, ils préparent le projet de Faculté ouverte en politique économique et sociale, ce qui suppose l’élaboration du programme, de la méthode d’enseignement à des adultes en reprise d’études, mais également une préoccupation sur la méthodologie des mémoires.[9] La FOPES démarre en 1974 avec quatre groupes : Louvain-la-Neuve, Bruxelles, Namur, Charleroi auxquels se rajoutent Liège et Soignies[10].
Dès mars 1972, Michel Capron est animateur-formateur dans le groupe ISCO de Couvin et donne le cours de méthode et recherche en sciences sociales. Il anime un séminaire de travaux pratiques sur la démarche du mémoire. Toujours avec Pierre de Saint-Georges, il assure aussi des accompagnements de mémoire à l’Institut des sciences du travail.
Après 1974, la mission de Michel Capron évolue et prend une orientation pédagogique : publication de notes de cours à l’intention des étudiant.e.s et des chercheurs et chercheuses, constitution d’une documentation en politique économique et sociale répondant aux besoins de connaissances des étudiant.e.s sur des questions contemporaines (crise économique, réforme de l’entreprise, planification, autogestion) et recherche de matériaux pédagogiques adaptés à des adultes. Son contrat d’assistant s’arrêtant en 1978, il devient le responsable du Service du matériau pédagogique qu’il a contribué à lancer, et cela, jusqu’à son départ à la retraite, le 30 juin 2006. Cette pratique quotidienne de recherche d’informations et la publication de dossiers thématiques utiles aux étudiant.e.s FOPES[11] le placent au cœur de l’actualité économique et des enjeux contemporains. C’est une force, reste à trouver la bonne stratégie de communication.
-
- Un couple engagé
Sa vie professionnelle assurée, Michel Capron épouse le 2 septembre 1972, Monique Kempeneers née à Etterbeek, le 12 octobre 1949. Ils se sont rencontrés au Centre religieux universitaire (CRU) de Louvain. Psychologue, Monique kempeneers trouve un emploi à Charleroi. Le couple s’installe dans une maison communautaire à Marchienne-au-Pont avant de déménager à Montigny-le-Tilleul. Le couple a trois enfants : Brigitte, née à Charleroi, le 19 avril 1975, Cédric, né le 21 décembre 1976, Ariane, né le 16 mai 1979. Michel Capron décède à Montigny-le-Tilleul, le 25 mai 2013.
Quand il s’installe à Charleroi, Michel crée la section locale de la LRT avec des militants ouvriers verriers. Le couple partage le même engagement militant. Leur domicile à Marchienne-au-Pont devient le contact LRT pour Charleroi[12]. Monique Kempeneers se souvient de la stencileuse qui tournait sans cesse et des nombreux militants qui logeaient chez eux, pour être prêts pour la distribution des tracts devant les usines ou rejoindre les actions et manifestations ouvrières. À la LRT, Michel Capron adopte le pseudo de Max.