Les écoles de devoirs : regard d’un sociologue

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Au point de départ de notre demande de contribution à Georges Liénard, il y a la découverte d’un questionnement récurrent qui traverse toute l’histoire du mouvement des écoles de devoirs, très présent à ses débuts, mais qui persiste jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit du rôle des écoles de devoirs dans la promotion sociale des enfants et des jeunes des milieux populaires alors qu’elles sont relativement très nombreuses, qu’elles touchent un petit nombre d’écoliers et écolières et qu’elles n’ont ni les moyens financiers, ni l’outillage pédagogique pour combler les difficultés d’apprentissage de ces mêmes enfants au sein du système scolaire. La deuxième observation porte sur leur légitimité : servent-elles d’alibi quand elles compensent, par un accompagnement personnalisé et proche de l’enfant, le manque de temps et de moyens que l’école obligatoire mobilise pour accompagner chacun et chacune avec son propre cheminement, à son rythme, pour passer le cap de la réussite scolaire ? La troisième interrogation porte sur les relations avec l’institution scolaire. Elles n’ont jamais été faciles. Ces deux mondes se sont-ils finalement accordés ou sont-ils restés des mondes évoluant de manière parallèle, chacun poursuivant ses propres objectifs ?

Respectant nos échanges, Georges Liénard s’est plié à l’exercice. Sa contribution tente d’y répondre. L’auteur met donc le lecteur et la lectrice en garde : cette analyse des écoles de devoirs n’est pas exhaustive, elle tente d’approfondir quelques aspects de leur travail et de les situer dans l’action constructive contre les effets des inégalités socio-culturelles.

Marie-Thérèse Coenen (historienne au CARHOP asbl)

Les écoles de devoirs : actions et défis

Georges Liénard (sociologue FOPES-CIRTES (UCL))[1]

QUESTION 1 : Les écoles de devoirs sont-elles une nécessité, vu le système de sélection sociale et la panne de l’ascenseur social ?

Page de couverture du Journal de classe, n° 3, janvier-février 1977 (CARHOP, fonds Rosa Collet, n° 54).

Dans le système scolaire actuel tel qu’il est et tel qu’il fonctionne malgré les efforts et le dévouement de la grande majorité des enseignant.e.s, les écoles de devoirs[2] sont une nécessité afin de pallier et de faire face – autant que faire se peut – d’une part, aux inégalités de départ des enfants et d’autre part aux inégalités socio-économiques des élèves qui séparent les établissements scolaires entre eux.

Les écoles de devoirs et les inégalités scolaires

Comme des études[3] l’ont montré, les inégalités de départ des enfants dès la maternelle et les années d’école primaire sont corrélées aux niveaux des diplômes des parents, en premier lieu celui de la mère (vu la division actuelle des tâches éducatives), puis celui du père et des grands-parents.

Quant à la répartition des élèves selon les établissements, répartition qui conduit à un renforcement de la ségrégation scolaire, elle est corrélée aux inégalités de trajectoire scolaire des enfants. En effet, il existe une concentration effective des élèves les plus faibles ou les plus forts selon les établissements scolaires. Ce fait est mesuré par l’indice socio-économique des établissements en fonction des caractéristiques socio-économiques des élèves (voir encadré 1).

Comme les conclusions des Indicateurs de l’enseignement 2019[4] le précisent : « la répartition différenciée des élèves en fonction de l’indice socio-économique apparait très tôt dans le parcours scolaire et s’accentue tout au long de la scolarité obligatoire. Cette disparité se marque selon les formes et les degrés d’enseignement lorsqu’ils sont mis en relation avec le niveau socio-économique du secteur (statistique) dans lequel réside l’élève »[5]. Ce type d’analyse a permis de définir les écoles à « discrimination positive » qui reçoivent des moyens humains (sous forme de capital-périodes ou périodes-professeur) et budgétaires (dotations/subventions) supplémentaires.

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Quand une affiche raconte le point de départ d’un mouvement !

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Marie-Thérèse Coenen (historienne au CARHOP asbl)

 

Le CARHOP conserve un très grand nombre d’affiches. Elles nous arrivent souvent avec les fonds d’archives déposés. Celui de Rosa Collet[1] en possède une cinquantaine et même davantage qui n’ont pas encore été identifiées comme telles. Mais au-delà de l’illustration, l’affiche est aussi une trace laissée par un évènement et, à les regarder de plus près, c’est parfois un pan d’histoire qui se dévoile. Démonstration avec cette affiche du 27 avril 1975, repérée à l’occasion de la préparation de ce dossier.

Affiche invitant à la journée de rencontre et de débat autour des « Écoles alternatives et quartiers
populaires », s.d., Bruxelles, dans Agence schaerbeekoise d’information, n° 23, avril 1975 (collection CARHOP). Cette affiche est également en ligne sur le site du CASI. L’éditrice responsable, Anne Quinet († 1998), est membre d’Hypothèse d’école et journaliste à la RTB (Radio-télévision belge).

Le 27 avril 1975, se tient à la Maison des jeunes de Forest une première rencontre autour de la problématique des « Écoles alternatives dans les quartiers populaires ». L’initiative est portée par Hypothèse d’école (HE), l’Agence schaerbeekoise d’information (ASI), le Centre d’action sociale italien – Université ouvrière (CASI-UO). La Maison des jeunes de Forest met ses locaux à disposition et prend en charge l’animation de la soirée. Une affiche annonce l’évènement. Elle est largement diffusée via les réseaux et les bulletins des associations à l’origine de l’initiative.

Quel est leur rôle dans la création et le développement des écoles de devoirs ? Le CASI et l’ASI ont chacun une « école alternative ». Quelques membres d’Hypothèse d’école sont à l’origine d’écoles de devoirs dans la région bruxelloise. Cette affiche est la première trace d’un intérêt pour ces initiatives « spontanées » de soutien scolaire. Elles sont alors, à Bruxelles, une dizaine d’écoles de devoirs, de cours de rattrapage, de doposcuola. En 1975, la manière de les nommer n’est pas encore fixée. C’est ensemble que ces différentes organisations décident de se retrouver pour en discuter. Le 27 avril est ainsi le point de départ de la première coordination des écoles de devoirs sur Bruxelles.

Cette affiche et ce qu’elle nous dit sur les promoteurs de la rencontre mettent opportunément en lumière l’Agence schaerbeekoise d’information et le mouvement Hypothèse d’école, des mouvements engagés pour une école démocratique, aujourd’hui disparus.

Les associations, promotrices de la rencontre

Les trois associations à la base de la journée partagent en effet une même critique de l’enseignement quant aux publics populaires, et se sont engagées dans des initiatives de soutien scolaire aux enfants des quartiers populaires de Bruxelles où vivent un grand nombre de familles immigrées.

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