Jacques Gillen (historien et archiviste, Mundaneum)
Paul Otlet (1868-1944), considéré comme le père de la documentation et un des précurseurs d’Internet, et Henri La Fontaine (1854-1943), Prix Nobel de la paix en 1913, sont incontournables dans l’histoire et le monde des bibliothèques. Quiconque entame une formation de bibliothécaire ou s’intéresse à l’histoire des bibliothèques ou de la bibliothéconomie se voit immanquablement, ne fût-ce que brièvement, confronté à ces deux juristes bibliographes, fondateurs de ce qui allait devenir le Mundaneum : l’Institut international de bibliographie (IIB). Créé en 1895, l’IIB devient, dans les années 1920, à la suite d’extensions et de l’ajout d’unités documentaires, le Palais mondial-Mundaneum, puis, plus simplement le Mundaneum (actuellement centre d’archives privées et espace d’expositions de la Fédération Wallonie-Bruxelles). L’IIB est le creuset dans lequel Otlet et La Fontaine ont développé des idées, des méthodes de travail et des outils qui se sont largement répandus dans les bibliothèques, non seulement en Belgique mais aussi sur le plan international. Dès les débuts, leurs travaux intègrent les bibliothèques publiques. Références en matière de bibliothéconomie, ils interviennent dans toutes les tentatives de réforme des bibliothèques publiques qui précèdent la loi Destrée de 1921.
La fiche bibliographique comme point de départ d’un vaste projet
Paul Otlet et Henri La Fontaine sont animés d’idéaux universalistes et pacifistes. En filigrane de tous les projets qu’ils mènent au sein de l’IIB ou dans son sillage, figure l’idée que la connaissance doit être accessible à tous et toutes. Ils sont convaincus que la connaissance est un outil majeur (au côté du droit international) pour l’établissement d’une paix durable. Avec comme point de départ la bibliographie, ils étendent progressivement leur champ d’action dans le but de favoriser l’accès à la connaissance et sa diffusion.
Dès le début, la conception que se font Otlet et La Fontaine du partage de la connaissance intègre les bibliothèques publiques. Le savoir ne doit pas être à la seule destination des savants. La bibliothèque doit occuper un rôle actif dans la démocratisation du savoir : « La conservation des livres n’est plus envisagée comme une fin en soi. On se rend compte que c’est le lecteur qui crée l’utilité du livre. Le vrai rôle d’une bibliothèque apparaît alors de faire circuler les livres et non pas seulement de les conserver. Et cette circulation se fait dans deux directions, celle des études scientifiques et littéraires, d’une part, celle de la vulgarisation, d’autre part. Le mouvement démocratique renverse les anciennes conceptions et partout éclate un mouvement irrésistible en faveur des bibliothèques populaires »[1]. La bibliothèque doit être aidée en cela par les pouvoirs publics qu’Otlet interpelle dès 1907 en émettant le vœu de voir le ministère des Sciences et des Arts mener une politique en faveur du développement des bibliothèques publiques[2]. Lors de la Conférence internationale de bibliographie, tenue à Bruxelles en 1908, Otlet et La Fontaine présentent un rapport à ce sujet, considéré comme le premier « manifeste »[3] de la bibliothèque publique. Pour eux, la bibliothèque a un véritable rôle sociétal à remplir : « Tout ce qui touche au livre est « social » par excellence. La lecture est devenue un besoin de l’homme civilisé. »[4]
Lorsqu’il est créé à la fin du 19e siècle, l’IIB a pour principal objectif de mettre sur pied le Répertoire bibliographique universel (RBU), destiné à recenser sur des fiches bibliographiques toutes les publications du monde, quels que soient leur sujet, leur date ou leur lieu d’édition, ou encore leur lieu de conservation. Ce répertoire, inscrit en 2013 au registre « Mémoire du monde » de l’UNESCO, tapisse depuis 1998 les murs de l’espace muséal du Mundaneum à Mons, où le Mundaneum est installé depuis 1993. Il se compose de deux parties principales, l’une onomastique (destinée à répondre à la question « Qu’a écrit tel auteur ? »), l’autre thématique (classée par sujet)[5]. Les fiches comprennent les informations de base, telles que le nom de l’auteur, le titre, le lieu et la date d’édition, etc., mais aussi, lorsque l’information est disponible, l’endroit où la publication peut être trouvée. Ce caractère universel fait en quelque sorte du RBU, parfois appelé « Internet de papier », une grande base de données bibliographiques. C’est à ce titre que certains le considèrent comme un des premiers moteurs de recherche de l’histoire.
Entre 1895 et le milieu des années 1930, Otlet et La Fontaine rassemblent quelque 18 millions de fiches. Pour réaliser ce travail titanesque[6], ils font appel à la coopération internationale. Dès les premières années, un réseau de savants, de bibliographes et de bibliothécaires du monde entier gravite autour de l’IIB. Dès le début aussi, des collaborations se mettent en place, notamment sous la forme d’échanges de fiches bibliographiques ou de publications, avec les associations scientifiques, les bibliothèques et les instituts bibliographiques (tels que le Concilium bibliographicum de Zürich ou le Bureau bibliographique de Paris) qui participent au développement du RBU. L’IIB devient rapidement une référence et répond régulièrement à des demandes de bibliothèques, privées ou publiques, sur la manière de gérer, de classer et d’inventorier leur collection.
Au début du 20e siècle, l’IIB élargit son champ d’action. Convaincus que la connaissance ne se trouve pas seulement dans les livres, Otlet et La Fontaine initient, dans le sillage de l’IIB, plusieurs unités documentaires et organismes spécialisés conçus comme des extensions de l’IIB, donnant ainsi naissance au concept de « documentation ». Leur ambition est désormais de permettre l’accès à l’ensemble des connaissances, quel que soit le format dans lequel elles ont été produites : « (…) le document sous toutes ses formes (livres, revues, journaux, photographies, pièces d’archives, rapports scientifiques et rapports administratifs, procès-verbaux d’assemblées, publications industrielles, etc.) (…) devient, pour la science, source d’information et transmetteur de sa pensée : il s’affirme son indispensable outil »[7]. Voici, à titre d’exemples, quelques-unes des extensions créées entre 1900 et 1910 :
-
- L’Institut international de photographie (IIP), créé en 1905 avec Ernest de Potter (l’éditeur de la Revue belge de photographie), dont le but est de créer une vaste encyclopédie par l’image. Les collections de l’IIP, constituées de photographies, de cartes postales, d’affiches, de plaques de verre, de diapositives pour lanternes magiques, forment le noyau de la collection iconographique conservée au Mundaneum. Ernest de Potter met également sur pied un Répertoire iconographique universel, composé de dossiers où sont rassemblées des photographies et des illustrations sur fiches ou sur feuilles de format standard ;
- Le Répertoire universel de documentation, initié en 1907, composé de dossiers thématiques (classés selon la CDU), biographiques et géographiques, rassemblant des brochures, des coupures de presse ou encore des extraits de publication ;
- Le Musée international de la presse, créé en 1907 afin de collecter tous les journaux et périodiques de Belgique ainsi que, au minimum, le premier et le dernier numéro des périodiques du monde entier ;
- L’Office central de documentation féminine, initié en 1910 par Léonie La Fontaine, la sœur d’Henri La Fontaine, pour collecter la documentation propre aux femmes et à leurs revendications.
Cette dimension « documentaire » occupe une place importante dans la conception qu’Otlet se fait de la bibliothèque. Une bibliothèque ne doit pas seulement mettre à disposition des livres, mais aussi de la documentation. Les unités documentaires créées, dédiées à un sujet ou à un support, sont conçues comme des parties du « Livre universel ». La place de plus en plus grande accordée à la documentation aboutit d’ailleurs à la transformation de l’IIB en 1938, qui devient la Fédération internationale de documentation (FID).
En 1910, à l’occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles, Otlet et La Fontaine ajoutent une nouvelle dimension à leur travail en créant le Musée international. Celui-ci naît avec une exposition montée au Palais du Cinquantenaire, dans laquelle les associations internationales exposent leurs travaux. Elle sert de complément au Congrès des associations internationales organisé en parallèle de l’Exposition universelle par l’Union des associations internationales (UAI). Créée en 1907 par Otlet et La Fontaine pour servir de plateforme de coordination des organisations internationales non-gouvernementales, toujours dans un idéal pacifiste et internationaliste, l’UAI est en quelque sorte le pendant politique de l’IIB. Après l’Exposition universelle, il est décidé de rendre l’exposition permanente et d’en faire un Musée international destiné à illustrer les connaissances du monde. Outre des objets et des documents, ce musée se compose de l’Encyclopedia Universalis Mundaneum, l’encyclopédie illustrée sur planches mobiles, à caractère pédagogique, élaborée à partir des années 1920.
À partir des années 1910, les instituts créés dans le sillage de l’IIB et leurs collections, auparavant installés rue Ravenstein, rejoignent le Musée international au Palais du Cinquantenaire. Dans les années 1920, ce vaste ensemble prend le nom de Palais mondial. Bien que fermé en 1934 sur décision gouvernementale, les collections y subsistent jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. L’occupant allemand, qui a réquisitionné une partie du bâtiment, exige alors leur déménagement. Elles sont transposées au Parc Léopold, où elles resteront jusqu’au début des années 1970. Elles connaîtront ensuite d’autres déménagements à Bruxelles jusqu’au moment où elles sont accueillies à Mons en 1993.
Après la mort d’Henri La Fontaine et de Paul Otlet, le Mundaneum est géré par l’Association des amis du palais mondial et Georges Lorphèvre. Ce proche collaborateur d’Otlet depuis la fin des années 1920 assure la continuité du Mundaneum jusqu’à la dissolution de l’association et la cession des collections au Centre de lecture publique de la Communauté française de Belgique à la fin des années 1980[8].
Des outils pour les bibliothèques, réels ou visionnaires
À sa création, l’IIB a aussi pour objectif d’unifier les pratiques bibliographiques afin de favoriser les échanges entre les bibliothèques ou les offices bibliographiques. Otlet et La Fontaine s’attellent à l’élaboration de standards pour l’établissement des fiches bibliographiques et leur classement, qui s’imposeront progressivement dans les domaines de la bibliographie et de la bibliothéconomie.
La fiche bibliographique doit respecter certaines normes. Elle a un format fixe de 12,5 cm sur 7,5 cm. Elle est perforée dans le bas de manière à pouvoir être facilement intégrée à un fichier existant. Des règles définissent les informations qui doivent y être reprises et l’emplacement précis qu’elles doivent occuper. Les fiches sont rangées dans des meubles-fichiers standardisés conçus par Otlet de telle manière qu’elles puissent être facilement complétées, corrigées, copiées ou tout simplement consultées.
Pour le classement thématique des fiches, Otlet et La Fontaine développent la Classification décimale universelle (CDU). Basée sur le système de classification décimale imaginé dans les années 1870 par le bibliothécaire américain Melwil Dewey (1851-1931), la CDU consiste à diviser les connaissances en 10 classes numérotées de 0 à 9 (par exemple, tous les ouvrages traitant d’histoire seront classés dans la classe 9). Chaque classe est à son tour divisible en 10 groupes, chaque groupe en 10 divisions et chaque division en 10 sous-divisions, de manière à pouvoir définir de manière de plus en plus précise le sujet d’un livre. L’intérêt de cette méthode réside dans le remplacement du mot-clé par un indice chiffré. Elle permet ainsi d’éviter les difficultés d’interprétation dans le choix du mot-clé et de contourner l’obstacle de la langue utilisée, le chiffre étant par définition universel.
Avec l’aide d’érudits et de savants européens, Otlet et La Fontaine entament dès 1895 le travail d’élaboration des divisions par sujets afin de rendre universelle la classification de Dewey qu’ils jugent insuffisante pour rendre compte de la diversité culturelle mondiale. Dans leur esprit, la CDU doit constituer un sommaire complet des connaissances. Sa fonction est de permettre de définir de manière exhaustive le sujet d’une publication ou d’un document. Grâce au système de symboles et signes de ponctuation qu’ils mettent au point pour associer les composants numériques, la CDU permet non seulement de définir le sujet principal d’une publication ou d’un document, mais aussi les sujets associés, des dates, des lieux, des liens, des informations sur le type de document, etc.
Dès 1897, l’IIB publie une première édition abrégée de la CDU. La première édition complète paraît en 1905 dans le Manuel du Répertoire bibliographique universel. Depuis cette première édition complète, elle a connu de nombreuses éditions en français et dans d’autres langues. La CDU n’est pas un système figé. Au fil du temps, nombre de corrections et de développements y sont apportés pour l’adapter aux évolutions dans tous les domaines de la connaissance.
La CDU s’est imposée dans de nombreuses bibliothèques, en Belgique et à l’étranger, non seulement pour le classement des fiches qui composent leur catalogue (avant la généralisation des catalogues informatisés) mais aussi pour le classement physique des publications. Bien qu’elle soit quelque peu tombée en désuétude, du moins pour le catalogage (dans les catalogues informatiques, elle est actuellement le plus souvent remplacée par des mots-clés et des liens hypertextes), elle continue à évoluer. Depuis 1990, la CDU est gérée par un consortium basé à La Haye, l’Universal Decimal Classification Consortium (UDCC). La dernière édition, mise à jour en 2019, date de 2013.
Les méthodes développées par l’IIB sont détaillées dans un ouvrage publié pour la première fois en 1922 (soit un an après la promulgation de la loi Destrée sur les bibliothèques), par Otlet et un de ses collaborateurs de longue date, Léon Wouters, alors directeur adjoint de l’Union des villes et communes belges : le Manuel de la bibliothèque publique. Cet ouvrage est rédigé dans le cadre des cours de bibliothèque donnés à l’École centrale de service social de la Ville de Bruxelles (où Otlet dispense lui-même des leçons). Il connaîtra deux autres éditions, l’une en 1923 et l’autre en 1930. Les quatre parties qui le composent décrivent les éléments théoriques et pratiques nécessaires au fonctionnement d’une bibliothèque et à l’exercice du métier de bibliothécaire. La philosophie d’Otlet transparaît clairement dans la description de ce que doit être une bibliothèque publique : « Les bibliothèques publiques dignes de ce nom sont des collections d’ouvrages systématiquement choisis dans toutes les branches des connaissances ou dans la spécialité qui fait l’objet de l’institution, parfaitement catalogués et largement mis à la disposition des lecteurs qui peuvent y recourir comme à de vastes offices d’information et de documentation. »[9] La notion de documentation (sous quelque forme qu’elle se présente) apparaît d’emblée comme étant une partie intégrante de la bibliothèque : « Le but visé est une concentration de l’information pour réaliser ensuite plus sûrement la diffusion des informations »[10]. À ce titre, les bibliothèques publiques sont un des éléments de ce qu’Otlet appelle le « réseau universel de documentation ».
Parallèlement aux aspects concrets liés au classement et au catalogage, Otlet se montre précurseur en termes de technologie. Dès 1906, dans une brochure intitulée Les aspects du livre, il détaille les innovations techniques qui transformeront la production et l’utilisation du livre, telles que le rayon X, le phonographe, les projections lumineuses ou encore le téléphone à propos duquel il se montre déjà visionnaire : « Demain, la téléphonie n’aura plus de fil, comme déjà la télégraphie s’en est débarrassée. (…) Ce qui cause aujourd’hui le désespoir du technicien fera alors sa joie : la possibilité de recueillir les ondes à tous les points de la sphère d’action (…) tournera plus tard à l’avantage d’un mode universel de transmission des informations. Chacun portera sur soi, dans son gousset, un tout petit cornet. »[11] La même année, très intéressé par les progrès de la photographie, il met au point, avec l’inventeur Robert Goldschmidt, le microfilm pour faciliter la reproduction et la consultation des pages d’un livre[12]. Dans les années 1920 et 1930, il intègre à sa réflexion la radio et la télévision et imagine, alors que celle-ci n’est encore qu’à ses balbutiements, qu’il sera à l’avenir possible de consulter un livre à distance par le biais d’un écran. Il conçoit également, sur papier, un meuble « multimédia » intégrant tous les supports de la connaissance et les médias permettant d’y accéder : la mondothèque.
Otlet s’est montré visionnaire à plus d’un titre sur la place occupée par la technologie dans les sciences de l’information. Il lui consacre les dernières pages de son ouvrage le plus important, le Traité de documentation (publié en 1934), le livre qui synthétise sa pensée. Il va jusqu’à émettre l’idée d’une bibliothèque virtuelle : « Ici la Table de Travail n’est plus chargée d’aucun livre. À leur place se dresse un écran et à portée un téléphone. Là-bas au loin, dans un édifice immense, sont tous les livres et tous les renseignements, avec tout l’espace que requièrent leur enregistrement et leur manutention, avec tout l’appareil de ses catalogues, bibliographies et index (…). Le lieu d’emmagasinement et de classement devient aussi un lieu de distribution, à distance avec ou sans fil, télévision ou télétaugraphie. De là on fait apparaître sur l’écran la page à lire pour connaître la réponse aux questions posées par téléphone, avec ou sans fil. Un écran serait double, quadruple ou décuple s’il s’agissait de multiplier les textes et les documents à confronter simultanément ; il y aurait un haut-parleur si la vue devrait (sic) être aidée par une donnée ouïe, si la vision devrait être complétée par une audition. Une telle hypothèse, un Wells[13] certes l’aimerait. Utopie aujourd’hui parce qu’elle n’existe encore nulle part, mais elle pourrait bien devenir la réalité de demain pourvu que se perfectionnent encore nos méthodes et notre instrumentation. »[14]
Dans le futur imaginé par Otlet, toutes les bibliothèques sont rassemblées en une unique bibliothèque internationale[15], universelle. L’accès à son contenu multiforme, mêlant livres et documentation, est rendu possible par les moyens techniques mis à la disposition de tous et toutes. Cette bibliothèque internationale occupe une place centrale dans le projet de Cité mondiale qu’il conçoit vers 1910. Vaste projet architectural, la Cité mondiale devait rassembler, toujours dans le but de favoriser l’harmonie entre les peuples par le progrès et la connaissance, des institutions politiques, des associations internationales, des universités et des bibliothèques. Le Mundaneum y occupe une place centrale, ainsi qu’un centre mondial de la communication. Plusieurs architectes, dont Le Corbusier, ont dessiné des plans pour cette cité utopique. Plusieurs lieux sont envisagés : d’abord Genève, ensuite plusieurs endroits en Belgique et à l’étranger. Mais, jugé trop irréaliste, le projet ne rencontre pas l’adhésion souhaitée par Otlet. En vain, il adresse des requêtes aux puissants de son temps avec l’espoir, qui ne le quitte pas jusqu’à sa mort en 1944, de voir ce projet se concrétiser[16].
Des sources pour l’histoire des bibliothèques publiques
Le Mundaneum a entretenu des liens historiques et institutionnels avec la lecture publique. Les quelque six kilomètres courants de fonds d’archives et collections qui y sont conservés renferment de nombreuses sources utiles à l’histoire des bibliothèques publiques. La bibliothèque, sous toutes ses formes, est un élément clé dans l’œuvre d’Otlet et La Fontaine. Leurs papiers personnels figurent donc, évidemment, au premier rang de ces sources. Mais le Mundaneum conserve également d’autres ressources riches de documents sur le sujet :
-
- Les papiers personnels de Georges Lorphèvre (1912-1997) : Lorphèvre est connu de plusieurs générations de bibliothécaires-documentalistes à qui il a donné cours. Aux côtés d’André Colet (1896-1978), autre bibliothécaire et collaborateur d’Otlet, il est la cheville ouvrière du Mundaneum après 1944. Il occupe par ailleurs différents postes dans des groupements internationaux de bibliothécaires et de documentalistes, en particulier la Fédération internationale de documentation où il mène des travaux sur la classification décimale universelle.
- Le Musée international de la presse : cette collection de périodiques contient de nombreux périodiques sur le sujet des bibliothèques publiques.
- La Bibliothèque collective des sociétés savantes : ce vaste ensemble (dont une grande partie reste encore à classer) se compose notamment de la bibliothèque de l’IIB, riche en publications sur les bibliothèques et la bibliothéconomie.
- Des publications issues de différentes bibliothèques dont, par exemple, la Bibliothèque populaire de l’Ouest (créée à Liège en 1880) et la Bibliothèque de l’Œuvre nationale de l’enfance.
L’œuvre d’Otlet et La Fontaine et l’héritage documentaire qu’ils ont légué sont une mine d’informations pour qui s’intéresse à l’histoire des sciences de l’information et à leurs implications actuelles. Leurs travaux dans le domaine de la bibliothéconomie et leurs anticipations en matière de technologies et d’alternatives au livre (ce qu’Otlet appelle les « substituts du livre ») ont contribué à forger non seulement le monde du livre et des bibliothèques mais aussi les supports numériques du savoir qui font à présent partie de notre quotidien. Ils ont suscité et suscitent encore de nombreux travaux de recherche.
Notes
[1] OTLET P., « L’état actuel des questions bibliographiques et l’organisation internationale de la documentation », Bulletin de l’Institut international de bibliographie, 1908, p. 179.
[2] Ces idées sont par ailleurs défendues au sein de l’association Biblion, créée en 1907 à l’initiative de l’IIB, pour réunir les personnes qui s’intéressent « activement au recrutement, à la conservation et à l’utilisation des documents manuscrits ou imprimés ». Voir : Liste générale des bibliothèques de Belgique, Bruxelles, Biblion, 1907 (Publication n°1).
[3] LIESEN B., « Des bibliothèques populaires aux bibliothèques publiques. L’émergence d’un service public de lecture dans une société pilarisée », SANDRAS A. (dir.), Des bibliothèques populaires à la lecture publique, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2014, p. 318-363.
[4] OTLET P., Conférence internationale de bibliographie et de documentation, Bruxelles, 1908, p. 14. (Extrait de Mouvement sociologique international, IXe année, n°4, décembre 1908).
[5] À côté de ces répertoires principaux, il existe d’autres répertoires connexes, dont, par exemple, le Répertoire des titres de périodiques ou le Répertoire administratif qui consigne sur fiches la correspondance, les informations sur la gestion du personnel, l’inventaire des collections, etc.
[6] À la fin du 19e siècle, le nombre de publications existantes est estimé à environ 10 millions. À partir du début du 20e siècle, en parallèle au développement de l’enseignement et des sciences, ce nombre s’accroît de manière exponentielle. Selon une étude réalisée par Google en 2010 (basée sur les données ISBN et d’autres sources telles que les fonds des bibliothèques et le réseau des libraires Worldcat), le nombre de livres uniques s’élève alors à 130 millions.
[7] OTLET P., Conférence internationale de bibliographie et de documentation…, p. 5.
[8] Pour plus de détails sur la vie et l’œuvre de Paul Otlet et Henri La Fontaine, ainsi que sur l’histoire de l’IIB et du Mundaneum, voir : Cent ans de l’Office international de bibliographie (1895-1995), Mons, Éditions Mundaneum, 1995 ; Le Mundaneum. Les Archives de la connaissance, Bruxelles, Édition Les Impressions Nouvelles, 2008 ; GILLEN J. (dir.), Paul Otlet, fondateur du Mundaneum (1868-1944), Bruxelles, Édition Les Impressions Nouvelles, 2010 ; GILLEN J. (dir.), Henri La Fontaine, Prix Nobel de la paix en 1913. Un Belge épris de justice, Bruxelles, Les Éditions Racine, 2012.
[9] OTLET P., WOUTERS L., Manuel de la bibliothèque publique, Bruxelles, Union des villes et communes belges, 1923 (Publication n°17), p. 41.
[10] Idem, p. 29.
[11] OTLET P., Les Aspects du livre. Conférence inaugurale de l’Exposition du livre d’art et de littérature organisée à Ostende par le Musée du Livre (14 juillet 1906), Bruxelles, Musée du livre, novembre 1906 (Publication n°8), p. 33.
[12] GOLDSCHMIDT R., OTLET P., Sur une forme nouvelle du livre. Le livre microphotographique, Bruxelles, Institut international de bibliographie, 1906 (Publication n°81).
[13] Herbert George Wells (1866-1946) est un écrivain anglais connu pour ses romans de science-fiction, tels que La Machine à explorer le temps ou La Guerre des mondes. Souvent futuristes et dystopiques, ils sont considérés comme des classiques du genre.
[14] OTLET P., Traité de documentation. Le livre sur le livre. Théorie et pratique, Bruxelles, Éditions Mundaneum, 1934, p. 428.
[15] La Bibliothèque collective des sociétés savantes, qu’Otlet initie en 1907, était destinée à constituer le noyau de cette bibliothèque internationale.
[16] La littérature sur le projet de Cité mondiale est abondante. Voir par exemple : GHILS P. (dir.), Connaissance totale et Cité mondiale. La double utopie de Paul Otlet, Louvain-la-Neuve, 2016.
POUR CITER CET ARTICLE
Référence électronique
GILLEN J., « Paul Otlet et Henri La Fontaine, fondateurs du Mundaneum : des références pour les bibliothèques », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°17 : 1858-2021. Quand la bibliothèque (s)’émancipe !, décembre 2021, mis en ligne le 17 décembre 2021. www.carhop.be/revuescarhop/.