Introduction au dossier : Les périodiques, outils de recrutement, de formation, de mobilisation et… de divertissement ?!

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Camille Vanbersy (Historienne au CARHOP)
Emilie Arcq (Bibliothécaire-documentaliste au CARHOP)

Dès le début de l’imprimerie, la presse est utilisée par les mouvements sociaux comme moyen de promotion de leurs idées. Cependant, au contraire de la presse généraliste et de la presse féminine, peu d’études s’y sont intéressées[1]. En effet, parmi ces titres, prennent place des publications destinées à des publics précis et dès lors méconnues dans l’espace médiatique.

Avant d’entrer plus en avant dans ce sujet, il est utile de revenir sur quelques notions de vocabulaire et de préciser la manière dont les articles qui vont suivre considèrent le terme de « périodiques » et ses éventuels synonymes. Un « périodique » selon la définition du Larousse est une « publication qui parait à intervalles de temps réguliers »[2]. Ces productions étant caractérisée par leurs fréquences de parution, nous trouvons dans cette famille : les quotidiens, les mensuels, les bimestriels, les trimestriels… Le terme de « journal »[3] est parfois utilisé comme synonyme de périodique. Cependant, comme nous le verrons à plusieurs reprises dans les articles qui suivent, par extension et dans le langage courant, le terme « journal » peut désigner la forme que prend le périodique à savoir un format relativement grand de pages pliées et non reliées à l’image d’un journal tel que Le Soir. Il se distingue alors du format « revue » ou « magazine » qui, de taille plus réduite, A4 ou moins, est composé de feuilles reliées entourées d’une couverture. « Magazine » étant défini comme un « périodique, le plus souvent illustré »[4] et « revue » comme « une publication périodique spécialisée dans un domaine donné »[5].

Cette presse de mouvement, financée par les acteurs eux-mêmes et les subventions, ne vise pas la rentabilité, mais l’expression. C’est par la publication de bulletin, de revue, par ce « quatrième pouvoir »[6] que les mouvements vont recruter de nouveaux membres, les former et faire vivre le mouvement. Ces publications sont « des instruments capables de véhiculer son idéologie, de diffuser ses informations vers les membres et de faire remonter celles de la base »[7]. Les syndicats sont de grands producteurs de périodiques dès leur création. Cependant, ceux-ci n’ont évidemment pas le monopole de la publication périodique. Dans le cadre de ce numéro de Dynamiques, sur les cinq organisations constitutives que compte le Mouvement ouvrier chrétien, nous en avons choisi trois, actives dans le domaine socio-éducatif : Vie féminine, la Jeunesse organisée combative (JOC) et les Équipes populaires. La presse syndicale et la presse mutuelliste sont en effet écartées de ce numéro dès lors qu’elles ont déjà été largement analysées par le passé[8].

L’ampleur de la production de ces associations a été mise en lumière lors du travail d’inventaire des publications produites depuis l’origine par la JOC. À cette occasion, ce sont plusieurs dizaines de mètres linéaires de monographies, de brochures, de plaquettes, de magazines, de journaux, de bulletins, de feuilles d’information… qui ont été décrits. Parmi cette production, les périodiques semblaient occuper une place importante. Cette impression a été renforcée par la rencontre d’ancien.ne.s jocistes dans le cadre des préparatifs du centenaire de la JOC qui aura lieu en mai 2025. Ces militant.e.s accordent en effet beaucoup d’importance aux périodiques. Leur redécouverte du T.U., du Zig Zap, du Face A témoignait d’un attachement particulier à ce média. Rencontre des grands esprits, ces préoccupations très actuelles de militant.e.s font écho à une réflexion que nous menions au sein du CARHOP dans le cadre de notre plan quinquennal 2024-2028, à savoir : en quoi les périodiques participent-ils aux liens de sociabilité entre les militant.e.s ?

Face à cet attachement et à la multitude de titres et de numéros publiés, se pose la question du “pourquoi” créer, maintenir et diversifier les périodiques, surtout si nous tenons compte de notre époque qui, a priori, privilégie les contenus médiatiques très courts (capsules vidéo, posts sur les réseaux sociaux, etc.). Répondre à cette question aussi simple que fondamentale nous amène à nous intéresser au(x) rôle(s) des périodiques en tant qu’outils d'(info)formation, de lien (Lire pour lier), voire de divertissement. Là sont les enjeux des différents articles qui composent ce numéro de Dynamiques.

Ces questions nous semblent d’autant plus importantes aujourd’hui que la production périodique en général et celle des associations en particulier rencontre aujourd’hui différents problèmes ou questionnements liés, en partie, à la dématérialisation des supports de ces médias. Celle-ci ainsi que l’arrivée des nouveaux médias et la prédominance d’internet et du numérique dans notre quotidien amènent à repenser nos pratiques. Dans une optique de simplification et d’accessibilité, les périodiques papier sont parfois remplacés par une version digitale. Se pose alors la question de savoir si les publics visés par ses associations ont réellement et facilement accès aux contenus dématérialisés ? En effet, force est de constater que face aux « inégalités sociales numériques »[9] rencontrées, certains délaissent ces médias dématérialisés… Ce numéro de Dynamiques n’a pas la prétention d’apporter des réponses à ces vastes problématiques, mais plutôt d’apporter un éclairage historique par trois exemples concrets.

Dans le premier article de ce numéro, Émilie Arcq, bibliothécaire documentaliste au CARHOP, présente un focus sur les périodiques conservés au CARHOP. En effet, depuis de nombreuses années, le centre attache une attention particulière à ce type de média et en possède une importante collection couvrant de nombreuses thématiques. L’article détaille également l’intérêt de conserver et d’exploiter ce type de source.

Le deuxième article, rédigé par Amélie Roucloux, historienne au CARHOP, retrace l’histoire des périodiques publiés par Vie Féminine. Il suit l’histoire du mouvement de manière chronologique et présente dans un premier temps le journal La ligue des femmes qui accompagne lors de leur création les Ligues ouvrières féminines chrétiennes. En 1946, ce journal évolue et prend le nom de Vie féminine, appellation qu’il conserve jusqu’en janvier 1998 où il prend le nom d’axelle. Au cours du temps, les objectifs et les publics poursuivis par ces périodiques seront l’objet de discussions au sein du mouvement, ce journal doit-il être celui du mouvement ou viser un large public féminin ? Comment, par la forme et le contenu, maintenir le lien avec son public ?

Le troisième article parcourt la production périodique de la JOC. Dans celui-ci, Camille Vanbersy, historienne au CARHOP, présente les nombreux périodiques qui ont accompagné l’histoire de la JOC depuis son origine dans les années 1920 jusqu’à aujourd’hui. Un focus est ensuite mis sur le journal T.U. [Trait-d’union] paru de 1981 à 2000. Au sein de ce dernier les jeunes, les militants jocistes, occupent une place centrale. Ce périodique permet de mettre en lumière l’importance du maintien du lien avec ce lectorat ainsi que sa participation active à l’élaboration de la revue. L’article se clôture par une esquisse des enjeux rencontrés par les périodiques jocistes depuis les années 2000 jusqu’à aujourd’hui.

Enfin, ce numéro se clôture par l’article de Monique Van Dieren, ancienne permanente communautaire aux Équipes populaires, consacré au périodique des Équipes Populaires, Contrastes. Après avoir resitué historiquement le mouvement des Équipes Populaires (EP), elle s’interroge sur l’utilité et les publics visés par le périodique édité. Elle détaille dans cet article en quoi Contrastes est utilisé par les Équipes comme un moyen de renforcer l’adhésion et la cohésion, comme un outil de propagande et de visibilité du mouvement. Elle aborde ensuite le rapport que ce périodique entretien avec ses lecteurs et comment celui-ci entend répondre aux attentes des militants/lecteurs. L’article se conclut par deux modifications apportant son lot de conséquences sur la politique éditoriale des EP à savoir, d’une part, la mise en application du décret de reconnaissance de l’éducation permanente par la Fédération Wallonie-Bruxelles et d’autre part, la question du numérique et de l’abandon du papier.

Notes

[1] Citons une étude quantitative québécoise sur le sujet : RIVIERE M-J. et CARON C., « La presse des femmes et le progrès social au Québec ». Une bataille de l’imprimé, Presse de l’Université de Montréal, 2008, p. 181-187. https://books.openedition.org/pum/16915, consulté le 16 septembre 2024.
[2] « Périodique », dans Le Laroussehttps://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/p%C3%A9riodique/59581 ,consulté le 16 septembre 2024.
[3] Ce terme désigne, toujours selon Le Larousse, une « publication quotidienne donnant des informations ou des opinions sur les nouvelles politiques, économiques, sociales, etc. » ou encore un « terme générique désignant diverses publications périodiques ». « Journal », dans Le Laroussehttps://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/journal/45035, consulté le 16 septembre 2024.
[4] « Magazine », dans Le Larousse, en ligne : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/magazine/48522, page consultée le 16 septembre 2024.
[5] « Revue », dans Le Larousse, en ligne : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/revue/69183, page consultée le 16 septembre 2024.
[6] Anthony Vienne : rédacteur et administrateur au « Peuple », publie en 1930 le Quatrième pouvoir . Cet ouvrage met en lumière la presse comme le quatrième pouvoir (exécutif, législatif et judiciaire) et relève « l’insuffisance de moyens » de la presse ouvrière face à la presse bourgeoise.
[7] DRESSE R., La Mutualité chrétienne de Liège – 125 ans d’engagement solidaire, Liège – Bruxelles, CARHOP , Mutualité chrétienne de Liège, 2020. Pour la CSC consulter : WELTER F., (coord) La CSC retour sur 45 ans de progers social, Bruxelles, CSC, 2023.  https://www.lacsc.be/la-csc/publications/brochures/carhop , page consultée le 16 septembre 2024.
[8] Pour la Mutualité chrétienne, consulter par exemple : DRESSE R., La Mutualité chrétienne de Liège – 125 ans d’engagement solidaire, Liège – Bruxelles, CARHOP , Mutualité chrétienne de Liège, 2020. Pour la CSC consulter : WELTER F., (coord.), La CSC retour sur 45 ans de progrès social, Bruxelles, CSC, 2023. https://www.lacsc.be/la-csc/publications/brochures/carhop, page consultée le 16 septembre 2024.
[9] Sur ce sujet lire : VAN NECK, S., La « fracture numérique », un système de (dé)classement qui vous veut du bien – quelques considérations critiques sur une notion au centre des préoccupations, Lire et Ecrire, mai 2022,  : la_fracture_numerique_un_systeme_de_declassement.pdf (lire-et-ecrire.be), page consultée le 16 septembre 2024.

Pour citer cet article

VANBERSY, C. et ARCQ E., « Introduction au dossier : Les périodiques, outils de recrutement, de formation, de mobilisation et…de divertissement ?! », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 24 : Lire pour lier!, octobre 2024, mis en ligne le 10 octobre 2024, https://www.carhop.be/revuecarhop/

SeP passé sous silence : Regards croisés de la presse francophone sur SeP

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Anne-Lise Delvaux (historienne, CARHOP asbl)

En 1983, de nombreux petits partis, se définissant comme progressistes, sont déjà présents sur l’échiquier politique et gravitent autour des plus grands (Parti Social-Chrétien – PSC, Parti Socialiste – PS). Constatant l’échec du pluralisme institutionnel, le Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC) se distancie de ses relais politiques traditionnels (Rassemblement Wallon – RW, Front Démocratique Francophone – FDF et surtout PSC). Il décide de constituer un mouvement « pluraliste, fédéraliste et progressiste »[1] : Solidarité et Participation (SeP). Ce projet est traçable dans les archives de SeP ou par des témoignages, mais c’est aussi via la presse de l’époque qu’il est possible de l’approcher. Que disait cette dernière de ce mouvement, devenu parti politique ? Y a-t-il eu des controverses à son sujet ? La question étant trop vaste pour le format de cette analyse, en voici un aperçu.

Les archives de SeP, conservées et consultables au CARHOP asbl, détiennent une série de revues de presse couvrant la période de 1982 à 1988. Constituées par SeP à titre d’information ou en préparation à un projet clairement défini, ces dernières permettent de cerner ses principales préoccupations politiques, socioéconomiques et culturelles. Celles-ci me sont, désormais, utiles pour réaliser une courte analyse du regard que la presse a porté sur ce mouvement-parti. Si ces revues permettent d’accéder rapidement à l’information sans passer par un dépouillement systématique et chronophage des journaux de l’époque, il ne faut pas en oublier la sélection aléatoire qui en résulte. Cette brève analyse ne prétend donc pas à l’exhaustivité. Le corpus d’articles sera limité à ceux présents dans les revues de presse des archives, en espérant pouvoir livrer un aperçu ciblé sur les réactions suscitées par l’émergence de ce mouvement progressiste. Pour établir la comparaison, le journal La Cité[2] sera confronté à quelques autres organes de la presse francophone. La période analysée commence avec la constitution officielle du mouvement SeP en mars 1983 et prend fin avec les résultats des élections législatives d’octobre 1985.

La Cité : un quotidien entre MOC et SeP

Le journal La Cité est l’organe de presse démocrate-chrétien le plus proche idéologiquement du MOC. Étant donné que ce dernier a initié SeP, le journal nous a semblé être la source à privilégier. En effet, il reflète, par son idéologie, les idées progressistes que SeP souhaite propager. La Cité est, d’ailleurs, le journal qui fournit les articles les plus fréquents et les plus détaillés au sujet de SeP. Le quotidien agrémente régulièrement ses articles d’informations complémentaires, au moyen de témoignages, de reportages, d’entretiens… Un travail que l’on ne retrouve pas dans les autres quotidiens de presse (seule La Libre Belgique fournira également occasionnellement quelques articles plus longs). Qu’ils soient liés aux mouvements de gauche ou à d’autres orientations politiques, les journaux ne semblent pas prêter une attention particulière à SeP. Après dépouillement, les articles qui l’évoquent, lorsqu’ils existent, sont généralement restreints à un encadré et ne dépassent pas le quart de page. Le fait que le mouvement devienne un parti en 1985 n’y changera rien.

Dans la presse, SeP est unanimement présenté comme l’« enfant légitime et désiré du mouvement ouvrier chrétien »[3], mais les quotidiens libéraux et socialistes ne manquent pas d’y voir une ambiguïté œdipienne. Pour y répondre, La Cité insistera plusieurs fois, au fil des ans, sur l’indépendance et l’autonomie de SeP par rapport au MOC. En 1985, c’est encore le cas puisqu’elle relaye en une du journal les paroles de Willy Thys, représentant de SeP, qui disait : « Le MOC a aussi prévu l’autonomie du mouvement et maintenant du parti politique. SeP reste proche du MOC, mais pas dépendant. »[4]. Cependant, quoi qu’en pense La Cité, le lien qu’entretient SeP avec le MOC n’est pas ce qui défraye le plus la chronique.

SeP mouvement – SeP parti

De manière générale, la presse ne semble pas s’intéresser outre mesure à la constitution d’un nouveau mouvement politique belge. Les quelques articles que nous avons dépouillés pour 1983 restent sur le mode de la recension d’un évènement et semblent considérer cette entreprise de manière positive. Y sont soulignés le progressisme du mouvement, l’envie de se dissocier du PSC et de constituer une nouvelle gauche.[5]

Alors que l’arrivée du mouvement progressiste dans le paysage politique a été perçue plutôt de manière positive par les différents organes de presse, il en va autrement lorsqu’il décide de s’organiser en un véritable parti politique le 17 décembre 1983. Si certains journaux emploient le terme de « nouvelle fusée »[6], de « nouvelle gauche » ou de « deuxième gauche »[7], pour parler de SeP, d’autres quotidiens se montrent beaucoup plus réservés à son sujet. « Issue d’un malaise, la création de SeP suscite autant de réserves que d’enthousiasme dans le monde chrétien. Les adversaires de l’initiative veulent en souligner les risques : celui d’un échec cuisant, ou celui d’un éparpillement des voix et d’un affaiblissement supplémentaire de la Démocratie chrétienne, l’aile gauche du P.S.C. »[8], écrit-on assez objectivement dans La Meuse. C’est la « poursuite de l’émiettement des partis politiques belges », conclut Le Vif.[9]

Le satirique Pourquoi Pas ? qualifie l’initiative de « très sympa » et reconnaît l’envie de nouveauté, mais l’hebdomadaire libéral termine son article de manière plus sarcastique : « souhaitons simplement à ces jeunes gens de ne pas servir de sas d’entrée vers le parti socialiste ».[10] L’arrivée du nouveau parti suscite, en effet, surtout des réactions pour son alliance possible avec le PS. Cette crainte est partagée par les démocrates-chrétiens qui ne souhaitent pas non plus voir le nouveau parti s’allier à l’« ogre socialiste[11] ». Ce dernier a, en effet, la réputation d’absorber les autres petits partis progressistes qui gravitent autour de lui, et ils sont légion en 1985 (RW, Écolo, Parti Communiste Belge – PCB). Il y a ainsi un véritable scepticisme de la presse, toutes tendances confondues, sur la capacité de SeP à se démarquer du PS, sans y être intégré. La Cité relaye d’ailleurs le discours du président du PSC, Gérard Deprez, qui dénonce : « l’aveuglement politique de ceux qui, sous le couvert d’un soi-disant progressisme, font le jeu du PS et affaiblissent la force politique des travailleurs chrétiens ».[12]

L’originalité de SeP ? Une question qui fait débat

La crainte de voir SeP se rallier au PS est réfutée par La Cité à plusieurs reprises, notamment au discours du premier « 1er mai » de SeP à Walcourt en 1985. Lorsque Willy Thys (au nom de la présidence collective de SeP) explique la nouveauté de son parti, il affirme que : « Les chrétiens de gauche ont le désir de sortir de ce clivage tout en se démarquant du comportement partisan du Parti socialiste ».[13] Le porte-parole souhaite toutefois « un véritable dialogue égalitaire entre progressistes soucieux de promouvoir, à Bruxelles comme en Wallonie, une majorité capable de mener une politique de changement face à la politique socialement injuste et économiquement inefficace de la coalition PRL-PSC-CVP-PVV ».[14]

Le nouveau parti semble ouvert au dialogue socialiste. (CARHOP, SeP, n° 83 (classement provisoire), ” 1er mai : Un SeP dans les vignes de Spitaels”, Vers l’Avenir, 1er et 2 mai 1985).

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Quand le mouvement socialiste développe des outils de formation : l’exemple de « L’Églantine »

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Luc Roussel (historien, CARHOP asbl)

Universel travail des cerveaux et des mains,
Fais jaillir de la mort la vie et la jeunesse ;
Fais-nous un généreux printemps plein de promesse,
Pour nous et nos frères humains 
Maurice Bouchor![1]

 

Le mouvement ouvrier socialiste, comme l’ensemble des mouvements sociaux, publie et diffuse, depuis le milieu du 19e siècle, quantité de petites brochures thématiques qui forment au final une collection. Elles abordent tous les sujets et servent souvent de support aux conférences, aux cours donnés aux militants, dans les maisons du peuple, dans les universités populaires, etc. De cette façon, les militants ont l’occasion de s’approprier des thématiques utiles pour la lutte sociale.

Les plus connues parmi ces brochures sont sans conteste les « Catéchismes syndicaux » dont le plus célèbre est celui d’Alfred Dufuisseaux[2]. Le CARHOP possède diverses séries de ces publications socialistes, dont la revue L’Églantine qui fait l’objet des lignes qui suivent.

L’Églantine ?

L’églantine est la fleur de l’églantier, un arbuste épineux de 2 à 3 mètres de hauteur qui se développe au bord des pâtures et dans les taillis. Cette espèce, beaucoup plus répandue autrefois, lorsque la campagne était parsemée de haies, se distingue par une floraison de mai à juillet. Cet arbuste (en botanique : Rosa canina), de la famille des rosacées, s’appelle également « rosier sauvage », « églantine blanche » et « rosier des chiens ». Ce dernier surnom s’explique par le fait que, dans l’Antiquité, ses racines étaient utilisées pour soigner la rage des chiens ! On connait aussi le fruit de l’églantier : le cynorrhodon qui a, paraît-il, une haute teneur en vitamines.

L’églantine rouge a longtemps servi d’insigne aux socialistes et aux communistes. Elle avait déjà servi de symbole durant la Révolution française. À partir du milieu du 20e siècle, le parti socialiste utilise le symbole de la rose rouge brandie dans un poing serré. Cette fleur a également été concurrencée par le muguet, symbole du 1er mai, qui a l’avantage de fleurir à cette période de l’année… Par contre et pour en terminer avec ces évocations botaniques, les socialistes italiens ont utilisé l’œillet rouge comme emblème.

Progression du mouvement socialiste durant l’Entre-deux-guerres

Avec la fin de la Première Guerre mondiale, on assiste à un gonflement des effectifs socialistes. Du point de vue syndical par exemple, alors que le mouvement compte 100 000 affiliés en 1914, le demi-million est largement atteint en 1919. Cette importante progression accentue le rôle de la Centrale d’éducation ouvrière (CEO) en matière de formation militante. Créée en 1911 par le Parti ouvrier belge (POB), elle a « pour but d’organiser et de coordonner l’activité de toutes les œuvres d’éducation ouvrière (…) et de procurer aux travailleurs les connaissances et les qualités qui les mettent le mieux en état de mener la lutte pour leur émancipation comme classe dans tous les domaines. »[3]

Deux autres éléments expliquent le développement du travail éducatif du POB : la diminution du temps de travail, grâce en particulier à la loi sur la journée de 8 heures votée en 1921, qui ouvre des disponibilités de temps et donc de nouvelles possibilités éducatives et culturelles, et la participation du POB à divers niveaux de pouvoir, depuis les communes jusqu’au gouvernement national. Les formations syndicales se spécialisent. L’accroissement des responsabilités dans la vie économique et sociale au niveau des entreprises le justifie. La mise en place des commissions paritaires (1919) ou la création de la Conférence nationale du travail (1936) imposent un effort plus pointu de formation.

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