Pierre Tilly (HELHa Mons)
Née dans les sociétés industrielles d’Europe occidentale dans le courant du 19e siècle, arrimée à la question nationale, la question sociale revient, depuis quelques années, sur le devant de la scène politique et intellectuelle. Les conséquences structurelles de la crise financière et économique de 2008, la colère sociale liée à la fragilisation du pouvoir d’achat, la précarité qui prive un nombre croissant d’individus de toute possibilité de participation sociale y sont pour beaucoup. En Europe, la généralisation du salariat avec la part croissante du salaire indirect qui a permis de financer la protection sociale d’une grande majorité de la population des pays européens semblait avoir réglé la question sociale. Ce traitement de la question sociale, considéré comme « marque de fabrique européenne » a inspiré notamment les pays de l’Amérique latine, et d’autres pays dits « émergents », qui ont développé des approches indépendantes et originales. Depuis, traversée par les approches néo-libérales et les préoccupations identitaires, la question sociale semble revêtir une dimension globale et témoigne d’un certain recul des protections publiques et de l’apparition de nouvelles formes d’aides solidaires. Comment se décline-t-elle sur le terrain de l’intervention sociale et aux yeux de ses acteurs ? Plusieurs interrogations et tentatives de décryptage se retrouvent en filigrane des différentes contributions à la fois diverses et complémentaires qui jalonnent ce numéro de Dynamiques, faisant ainsi suite à un premier volet consacré à l’histoire du travail social en septembre 2018[1].
Cette question sociale ne date pas d’hier d’où l’intérêt de la replacer dans la longue perspective. Une approche rétrospective et réflexive sur le travail social dans sa dimension historique permet ainsi de mieux décoder l’actualité sociale et celle du secteur au travers d’un regard pluriel intégrant l’histoire récente. Il s’agit tout autant de mettre en évidence des pratiques que des contradictions qui peuvent sans conteste éclairer des enjeux contemporains. Cette démarche peut et doit s’accompagner de la création d’outils pédagogiques au service des enseignants et des formateurs désireux de retracer le cheminement des métiers du social sous l’angle de sa généalogie pour mieux mettre en lumière ses déclinaisons présentes. Dans ce cadre, un module pédagogique a été construit collectivement en 2016 par des enseignants d’histoire sociale, sous l’impulsion de Paul Lodewick, Pierre Tilly (coord.), Christine Machiels, Luc Blanchard (HELHa), Florence Loriaux (HELMo), et avec le soutien du CARHOP. Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une réflexion, initiée par l’ABFRIS (Association belge francophone pour la formation, la recherche et l’intervention sociale), sur les mutations du travail social, qui donne lieu à une exposition réalisée par La Fonderie asbl en décembre 2018[2]. L’importance de relier réflexion et formation pour se mettre à distance et prendre le recul nécessaire se doit d’être soulignée ici encore dans le contexte sociétal actuel où la tyrannie de l’immédiateté semble de plus en plus prégnante.