Jonas Campion
(Chercheur associé, Irhis, U. Lille 3
Chargé de cours invité, UCLouvain)
Depuis les attentats de Charlie Hebdo et de l’hypercasher à Paris en janvier 2015, et dans la foulée du démantèlement d’une cellule terroriste à Verviers, le gouvernement belge a pris la décision de déployer des militaires dans les rues du pays. Face au risque terroriste, ils ont pour mission d’augmenter la sécurité – à savoir assurer la protection des personnes, des biens et des institutions -. Ils apportent leur soutien à la police locale et fédérale dans la protection des lieux sensibles. Dispositif temporaire à l’origine, la présence de l’armée dans l’espace public est régulièrement prolongée par le gouvernement Michel, au gré d’un niveau de menace toujours considéré comme élevé. Les effectifs déployés varient. Ils sont passés d’environ 150 hommes à l’origine à près de 1 800 après les attentats de mars 2016 à Bruxelles, pour se stabiliser au printemps 2017 aux alentours de 1 250 unités, hommes et femmes.
La présence de l’armée dans les rues doit être questionnée selon deux axes. D’abord, il faut interroger son caractère inédit dans l’histoire contemporaine du pays. D’autre part, il faut envisager les conséquences et les risques potentiels d’une telle mobilisation : comment participe-t-elle à transformer l’ordre public, le rapport à l’espace public ou plus largement la démocratie ?
(DÉS)ÉQUILIBRE SÉCURITAIRE ?
Fin 2015, la mobilisation de militaires pour contribuer à la sécurisation de la société belge rencontre à l’origine une large approbation des partenaires de la majorité, malgré des réserves initiales du CD&V dénonçant un « plan antiterrorisme » manquant de transparence. Par contre, elle donne rapidement lieu à des réticences de la part de syndicats policiers et/ou militaires qui invoquent à son égard des raisons identitaires, de spécialisation des institutions, de formation de leurs membres mais 2 aussi d’attribution inadéquate de ressources financières.[1]
Pour eux, policiers et militaires sont des métiers distincts, basés sur des moyens et une formation particulière. Ils reposent surtout sur des «identités professionnelles» spécifiques. Selon les syndicats policiers, plutôt que de faire exercer les tâches des premiers par les seconds, il conviendrait de veiller à renforcer la police en lui donnant notamment les budgets nécessaires pour garantir l’efficacité de l’institution et lui permettre d’exercer ses missions dans de bonnes conditions. Les syndicats militaires dénoncent quant à eux la surcharge de travail induite par cette mobilisation massive. Ils relèvent également la surqualification des militaires pour les tâches demandées. Enfin, ils mettent en lumière l’impact de cette mission sur l’entraînement des unités et sur la vie privée des militaires.[2]
Ils soulignent pour finir la nécessité d’envisager une stratégie claire d’emploi de l’armée, envisageant déjà les cadres de son retrait de l’espace public, face à une sécurité absolue impossible à garantir.[3]
En réaction à diverses propositions faites par des membres du gouvernement (faire revêtir l’uniforme policier à ces militaires, rendre leur présence permanente,…), un discours critique face à cette mesure se fait progressivement entendre au sein de la société civile. Premier point d’orgue de cette opposition, plusieurs associations (CNAPD, la Ligue des droits de l’homme, de Liga voor Mensenrechten et Vrede vzw,…) annoncent le 5 mai 2015 qu’elles portent plainte contre cette décision, jugée à la fois comme « anxiogène » (puisque la présence permanente et massive de militaires en rue peut contribuer à ancrer et développer la crainte parmi la population), « injustifiée » et « illégale ».[4]