Introduction au dossier : Mouvements sociaux et politique, hier et aujourd’hui : l’expérience SeP

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François Welter (historien, CARHOP asbl)

À l’aube d’élections « mammouths » (européennes, fédérales, régionales et communautaires), la capacité des partis politiques à relayer et à concrétiser les aspirations politiques des citoyen.nes et des corps intermédiaires, dont les mouvements sociaux, est réinterrogée. Les récentes mobilisations plus ou moins massives et, élément remarquable, sur une temporalité qui dépasse le simple rassemblement d’un jour, questionnent en effet l’adéquation et l’ambition des politiques menées par les gouvernements des différents niveaux de pouvoir avec les visions de la société exprimées par des franges de la population. Entre des gilets jaunes aux revendications disparates, les partisan.es de politiques fortes en matière climatique ou les rassemblements tendant à la défense des droits humains, de nouvelles mobilisations se cristallisent au sein des mouvements sociaux historiques et en dehors de ceux-ci. Les échéances électorales amènent ainsi les partis politiques à révéler leurs incertitudes, leurs indécisions, leurs contradictions, voire leur inertie, quant à des objectifs ambitieux.[1] Au mieux, elles les incitent à se positionner par rapport à des projets porteurs et portés par des citoyen.nes et à se saisir des questions mises en avant par ceux-ci.[2]

Prétendant « mobiliser au-delà des clivages traditionnels et des logiques partisanes », des mouvements de réflexion éclosent en périphérie des corps intermédiaires historiques. Ils ont tantôt l’ambition de réconcilier le citoyen avec l’action politique, en la rendant notamment plus efficace et concertée[3] ; tantôt, ils portent des revendications éclatées (ex : mouvement des gilets jaunes).[4] En tant que corps intermédiaires, les mouvements sociaux historiques sont eux-mêmes en questionnement par rapport à leur capacité à relayer des préoccupations sociales fondamentales, que ce soit en matière fiscale, d’enseignement, de santé, de mobilité, etc.

Le Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC) est lui-même concerné par cette problématique. À cet égard, comme le rappelle son secrétaire politique, Frédéric Ligot, l’actuelle législature s’avère d’ailleurs très violente, non seulement par les politiques menées, mais aussi par l’impuissance du mouvement social à influer sur les mesures gouvernementales fédérales, surtout, et régionales, ensuite. La concertation est à peu près inexistante :

Mais, le MOC déploie des stratégies suffisamment souples pour s’adapter aux circonstances politiques qui lui sont moins favorables et parvenir à porter sur la place publique ses priorités. Au cœur de son processus, figure l’éducation permanente, qui fait émerger les besoins sociaux, que le MOC articule avec une veille et une instruction politique menées par des groupes de travail institutionnalisés, réunissant les organisations constitutives (Mutualités Chrétiennes, CSC, équipes Populaires, JOC-JOCF, Vie Féminine) :

Parallèlement et en prolongement à ce travail de fond, le mouvement social pratique un lobbying critique et évolutif auprès des partis politiques, en vue de l’accomplissement de ses projets.

Porter un projet politique autrement : Tout autre chose – Hart boven hard. CARHOP, CARHOP, Grande parade « Tout autre chose », reportage photographique de Julien Tondeur, 29 mars 2015.

Depuis la reconnaissance d’un pluralisme d’adhésion en son sein et d’un pluralisme institutionnel, en 1972, le MOC et ses organisations constitutives ne changent pas fondamentalement leur stratégie – à l’exception de l’expérience Solidarité et Participation (SeP), nous y reviendrons. Au gré des priorités, des circonstances, mais surtout des interlocuteurs et interlocutrices, ils sont ainsi amenés à travailler tantôt avec Écolo, tantôt avec certain.es député.es démocrates humanistes, tantôt avec des socialistes[5], tantôt avec Défi, voire avec le Parti du Travail de Belgique (PTB). À ce jour, il n’existe aucun contact avec le Mouvement Réformateur et les partis d’ultra-droite. Les organisations constitutives, elles-mêmes, utilisent leurs propres relais, en complément des réseaux déployés au sein des organes de concertation du MOC. Et, lorsque le contexte s’avère peu propice au dialogue avec les gouvernements fédéral ou régional, comme c’est le cas actuellement, les priorités politiques du mouvement social sont portées sous d’autres formes dans l’espace public (ex : campagne Tam Tam, plateforme CETA-TTIP, etc.). Ces moments « d’impuissance » sont ainsi l’occasion de réinventer ses modes d’action.[6]

Il est un des prolongements du MOC qui reste peu étudié : le mouvement et parti politique Solidarité et Participation (SeP). Jusqu’au début des années 2000, le sujet demeure sensible au sein du mouvement. Nombreux sont les militant.es à refuser qu’il puisse être évoqué, même selon une approche historique, scientifique, et donc dépassionnée. Car, dans la conscience collective, SeP garde avant tout l’image d’un échec du MOC à installer un prolongement politique durable et crédible ; il rappelle aussi les dissensions parfois violentes qu’il provoque au sein du mouvement social et de ses organisations constitutives. Aujourd’hui, les historien.nes sont davantage confrontés à un autre problème, probablement lié aussi à ces écueils : le silence des témoins et des militant.es. Quarante ans : il s’agit en effet d’une longue période pour un échec politique qui n’a eu une réelle longévité que de deux-trois années, avant de péricliter pendant trois-quatre autres années, jusqu’à disparaitre. Dans ces conditions, il est éminemment difficile de libérer la parole, tant les souvenirs s’estompent. Ce numéro 9 de « Dynamiques » peut heureusement s’appuyer sur un matériau archivistique solide, multiple, qui peut encore s’amplifier à mesure que d’ancien.nes membres de SeP se manifesteront auprès du CARHOP ou qu’ils/elles seront sollicités par des chercheurs et des chercheuses. La récolte d’archives relatives au mouvement et parti politique est en fait loin d’être terminée. Les documents exploités dans les contributions qui suivent (MOC national et SeP, essentiellement) ne constituent à cet égard que quelques pierres à la construction de l’objet historique « SeP ».

Replacer SeP dans une chronologie longue de l’histoire des prolongements politiques du MOC est l’étape préalable indispensable à laquelle s’emploie Luc Roussel. Parce qu’elle est privée de droits socioéconomiques, culturels et évidemment politiques, la classe ouvrière du 19siècle se mobilise dans un mouvement social qui petit à petit parvient à investir l’espace public, à porter ses revendications et, à de nombreuses reprises, bien que le processus soit très lent, à conquérir des avancées, dont l’exercice de droits politiques ne sont pas les moindres (suffrage universel pur et simple). Sous cet angle, le pilier chrétien se mobilise moins rapidement que son pendant socialiste. Sa relation avec son prolongement politique traditionnel (le Parti Catholique, puis le Parti Social Chrétien) est en outre tiraillée entre un sentiment de lien indissoluble et une insatisfaction persistante, qui mène les militant.es vers d’autres formations politiques, ce qui pousse le MOC à affirmer l’existence d’un pluralisme de fait. Tout ce processus est ainsi mis en perspective, avec les ressorts socioéconomiques et politiques qui amènent les changements de stratégie politique du mouvement social.

Comprendre le phénomène SeP passe inévitablement par la fixation d’une chronologie du mouvement et du parti politique, peu connue jusqu’à présent. Dans la foulée de son mémoire de fin d’études en Histoire (UCL), Thibaut Durant s’emploie dans un premier temps à dresser en quelques lignes les ressorts de la réflexion du MOC sur son prolongement politique au début des années 1980, ainsi que les grandes étapes de la construction du mouvement politique, depuis la base jusqu’au sommet. Il envisage ensuite la transformation de SeP en parti politique, avec, au cœur de sa réflexion, la relation avec les autres formations politiques francophones et, surtout, l’échéance des élections législatives de 1985. Il en vient ainsi à considérer succinctement la stratégie électorale et le programme politique du parti. Enfin, il considère le repositionnement de SeP au lendemain de résultats électoraux désastreux, tant à l’égard du MOC qu’auprès des autres partis politiques. En guise de conclusions, Thibaut Durant formule quelques-unes des clefs de compréhension de la dynamique de formation, de transformation et de dysfonctionnement de SeP.

L’affirmation d’une identité pluraliste de la part de SeP interroge forcément cette conception au prisme du pluralisme reconnu par le MOC depuis 1972. Envisageant l’émergence du mouvement et parti politique sur une temporalité d’une vingtaine d’années, soit dans un contexte de dépilarisation de la société belge, François Welter étudie l’évolution des relations du MOC avec ses prolongements politiques, ainsi que sa capacité à trouver une caisse de résonnance à ses revendications. Car, le lien historique du MOC avec le Parti Catholique, d’abord, puis avec le Parti Social Chrétien, ensuite, est maintes fois discuté, remis en question. Des militant.es s’en détournent pour investir d’autres formations politiques. Les organisations constitutives ont, elles-mêmes, leur propre stratégie politique. Le MOC est forcé de reconnaitre un pluralisme d’adhésion parmi ses membres et un pluralisme institutionnel, tant ses aspirations trouvent un écho multiple, auprès de plusieurs formations politiques, dont certaines émergent dans les années 1970 avec des programmes qui dépassent le clivage philosophique. Articulée avec un contexte de crise socioéconomique, l’évaluation du pluralisme convainc le MOC de créer le mouvement politique SeP. Celui-ci doit alors trouver sa place dans la constellation politique existante, a fortiori lorsqu’il se transforme en parti. Cette contribution essaye ainsi de mettre en exergue en quoi SeP modifie ou non l’approche politique pluraliste du MOC ; et, selon cette lecture, elle s’essaye à identifier les points d’appui, les résistances et les contradictions qui conditionnent la capacité de SeP à se positionner comme un prolongement politique légitime du MOC et de ses organisations constitutives.

Les deux contributions qui suivent peuvent être lues en miroir, tant elles se complètent admirablement. Consacré à la stratégie de communication de SeP lors des élections législatives de 1985, l’article de Julien Tondeur articule finement les témoignages de deux chargées de communication engagées par le parti politique avec les quelques traces écrites retrouvées dans les archives. De ces trois sources, il fait la démonstration de l’intégration d’une professionnalisation de la communication dans l’action militante. Nouveau-né sur le terrain politique, SeP aspire à occuper le terrain politique en s’essayant à communiquer de manière coordonnée et dynamique, avec des méthodes d’occupation de l’espace public qui dépoussièrent les techniques habituelles (slogans efficaces, visuel rafraichissant, etc.). La présence importante des femmes dans les arcanes du parti et la volonté de celui-ci de leur laisser une part non négligeable des places sur les listes électorales amènent l’auteur à considérer la communication selon une lecture genrée. Cependant, le peu d’impact de la campagne menée par SeP sur l’électorat met en exergue les différentes carences du parti quant à sa capacité à porter clairement son programme dans l’opinion publique francophone.

L’écho de cette contribution aux recherches menées par Anne-Lise Delvaux est évident. Celle-ci s’emploie en effet à étudier le regard de la presse francophone sur SeP. Partant d’un corpus archivistique ciblé – les revues de presse constituées par le parti lui-même –, elle analyse autant le niveau d’intérêt – ou de désintérêt – que suscite SeP au moment de sa création que les défis et les enjeux que pointent à l’époque les différents journaux et auxquels sera confronté le nouveau mouvement, puis parti. Quelques thèmes sont ainsi mis en évidence : le positionnement de SeP par rapport aux autres partis, et particulièrement le Parti Socialiste, le Parti Social Chrétien et Écolo ; son assise électorale ; son échec au scrutin législatif de 1985. L’auteure consacre par ailleurs un point sur la place prépondérante que le journal démocrate-chrétien La Cité laisse à SeP dans ses pages ; dans ces mêmes paragraphes, elle revient sur les relations avec le MOC, qui deviendront ambigües une fois la transformation en parti actée.

Enfin, une étude sur SeP ne peut faire l’impasse sur l’évidente proximité de ce mouvement et parti politique avec Écolo. Émergeant dans une temporalité presque parallèle, l’un et l’autre ne connaissent toutefois pas le même destin. Aujourd’hui, le second est bien implanté dans le paysage politique francophone, jusqu’à concurrencer, voire défaire, les socialistes, les libéraux et les démocrates humanistes. Il est désormais associé aux « partis traditionnels ». À l’inverse, le premier n’est plus qu’un vague souvenir de quarante ans. S’employant à retracer les trajectoires parallèles des deux mouvements et partis, Geneviève Warland revient sur les motivations de leur éclosion, avant de retracer en quelques lignes l’échec électoral de SeP et l’ascension d’Écolo. Penser SeP uniquement en termes de fiasco reste cependant très réducteur. Sa proximité avec Écolo, et finalement sa fusion avec celui-ci, présage un prolongement politique du parti issu du MOC, jusqu’à une histoire très récente. Le parcours de certain.es militant.es écologistes, passé.es justement par SeP, en est la preuve. Se contentant d’évoquer ce phénomène, l’auteure ouvre la perspective d’une approche biographique de l’héritage proche, voire actuel, de SeP.

Programme politique de SeP, 17 décembre 1983. CARHOP, MOC national – versement Georges Liénard, dossier « SeP/action politique e.a.

Au final, ce numéro 9 de la revue « Dynamiques » n’a d’autres ambitions que de poser quelques jalons à la recherche historique autour de SeP. Il se veut, à cet égard, une ouverture vers des explorations plus vastes, européennes probablement, plus locales aussi, évidemment plus nuancées. Certains concepts qui appartiennent à l’identité SeP mériteraient aussi d’être étudiés (ex : progressisme). Bref, au-delà des phénomènes et mécanismes analysés par les contributions présentées ci-dessus, l’objet historique « SeP » reste un vaste champ à investir.

Notes

[1] Par exemple, voir : « La Belgique, contrairement à d’autres pays « progressistes », n’a pas poussé l’ambition climatique au Conseil européen », La Libre, 21 mars 2019, URL : https://www.lalibre.be/actu/politique-belge/la-belgique-contrairement-a-d-autres-pays-progressistes-n-a-pas-pousse-l-ambition-climatique-au-conseil-europeen-5c932b0f9978e26333f7b4d8, page consultée le 22 mars 2019.
[2] Les débats autour de la Loi Climat et d’une possible révision de la Constitution sont au moins révélateurs d’une prise en considération des revendications portées par les collectifs citoyens. Voir : « « Il reste une semaine » : la Coalition Climat presse les politiques de réviser la Constitution », Le Soir, 20 mars 2019, URL : https://www.lesoir.be/213504/article/2019-03-20/il-reste-une-semaine-la-coalition-climat-presse-les-politiques-de-reviser-la, page consultée le 22 mars 2019.
[3] Il convient de citer notamment le mouvement politique « E-change », auquel participent notamment des anciens ou actuels élus politiques d’écolo, du CDH et de Défi, des professeurs d’université, des chefs d’entreprise, etc. Voir : E-change, URL : https://www.echange.be/presentation/, page consultée le 25 mars 2019.
[4] À propos des « gilets jaunes » en France, il convient de mentionner les nombreuses interventions et publications de l’historien Gérard Noiriel, qui replace ce mouvement dans une chronologie longue des mouvements sociaux. Voir, par exemple : « « Gilets jaunes », la nouvelle Jacquerie ? Interview de Gérard Noiriel par Olivia Gisbert », France Culture, La grande table des idées, 26 novembre 2018, URL : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/gilets-jaunes-la-nouvelle-jacquerie, page consultée le 1er avril 2019.
[5] Considérés sur la longue durée, les contacts du MOC avec le Parti Socialiste ne vont pas de soi. L’histoire de SeP s’inscrit d’ailleurs dans cette relation distante.
[6] CARHOP, CARHOP, Dynamiques n° 9, SeP – introduction, Interview de Frédéric Ligot par François Welter, 1er avril 2019.

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

Welter F., « Introduction au dossier : Mouvements sociaux et politique, hier et aujourd’hui : l’expérience SeP », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 9, mars 2019, mis en ligne le 4 avril. URL : http://www.carhop.be/revuescarhop/

Le MOC et l’engagement politique : rapports changeants et délicats

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Luc Roussel (historien, CARHOP asbl)

Introduction

Depuis sa création en 1947, le Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC) se veut indépendant à l’égard de tout parti politique. Si le principe de base est constant, l’attitude des militant.e.s syndicaux et mutuellistes et des participant.e.s aux mouvements d’éducation permanente qui en font partie n’a pas toujours été, ni constante, ni unanime. Cette indépendance proclamée permet, assure-t-on au MOC, de prendre position sur n’importe quel problème en fonction des enjeux qu’il représente et non en fonction d’un programme ou de déclarations d’un parti politique. Il convient de se rappeler qu’il n’en a pas toujours été ainsi. L’objectif de cette analyse est de traverser l’histoire du MOC et de ses organisations à travers quelques moments-clés de l’histoire sociale qui modifient sa manière de concevoir son action politique. Le MOC, dans son appellation moderne, date de l’après Seconde Guerre Mondiale. La structure qui lui préexiste est la Ligue Nationale des Travailleurs Chrétiens, créée à l’issue de la Première Guerre mondiale. Cependant, l’histoire du mouvement ouvrier puise ses racines à la fin du 19e siècle, lorsqu’émerge la « question sociale ».[1]

L’absence de droits politiques, économiques et sociaux pour la classe ouvrière

Au lendemain de son Indépendance, la Belgique se construit autour d’une Constitution libérale. Toute une série de droits fondamentaux sont dévolus à la population : liberté d’association, d’opinion, liberté de la presse, etc. Toutefois, la primeur est surtout laissée au droit de propriété et, de manière générale, au libéralisme économique qui, in fine, dicte, pour une grande part, le fonctionnement et l’organisation de la société. Les droits élémentaires sont ainsi, de facto, pris dans un carcan qui les biaise en tout ou en partie : la classe ouvrière, qui émerge avec la révolution industrielle, est privée de droits socioéconomiques fondamentaux. Au mieux, elle est considérée en tant qu’outil de production, au pire comme menace pour l’essor économique. Jusqu’en 1867, par exemple, les coalitions ouvrières sont punies au pénal en raison des troubles et des entraves qu’elles sont susceptibles de causer aux entreprises ; la Constitution prévoit pourtant le droit de s’associer et de se rassembler paisiblement et sans arme, sans autorisation préalable. De surcroît, la bourgeoisie tient les rênes du pouvoir législatif, exécutif et judiciaire et tout le système électoral entretient ce fonctionnement : censitaire[2] jusqu’en 1893, le suffrage universel pur et simple, à tous les niveaux de pouvoir, n’est obtenu qu’en 1948, au terme d’un processus long de plusieurs décennies. Les ouvriers et ouvrières n’ont, dès lors, que les mobilisations, la grève et le soutien par différents biais de quelques bourgeois sensibles à leurs conditions de vie misérables pour porter leurs revendications socioéconomiques, politiques et culturelles sur la place publique. Le mouvement ouvrier ne s’organise et ne se structure qu’au milieu du 19e siècle ; il ne peut peser sur les décisions politiques que très progressivement.

Une première reconnaissance : l’encyclique Rerum Novarum

Le monde catholique garde, tout au long du 19e siècle, ses distances par rapport à la « question ouvrière ». Les grèves de 1886 sont les détonateurs d’une prise de conscience. Le changement d’attitude se manifeste à l’occasion des Congrès des œuvres sociales qui se tiennent à Liège en 1886, 1887 et 1890. La question sociale est mise à l’ordre du jour. Ces réunions sont l’occasion pour les catholiques de réfléchir sur les moyens de restaurer le catholicisme dans la vie sociale, de tenter de reconquérir la classe ouvrière et d’ainsi lutter contre le socialisme. À la suite de ces congrès, se dessine clairement un fossé entre les partisans et les adversaires de l’intervention dans la question sociale. Plusieurs catholiques défendent la création d’associations mixtes de défense des travailleurs (ouvriers et patrons mêlés) et demandent une intervention limitée de l’État.

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Solidarité et Participation et Écolo : destins croisés

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Geneviève Warland (historienne, UCLouvain)

Les années 1960 à 1980 ont été marquées tant par des mouvements de contestation politique que par des crises économiques au plan international comme en Belgique. Pour ce dernier pays, les moments marquants sont les grèves de l’hiver 1960-1961 révélant l’écart entre le Nord et le Sud de la Belgique et provoquant un réveil wallon, l’affaire de Louvain en 1968 comme moment de crispation du problème communautaire et le choc pétrolier du début des années 1970 suivi par une récession importante. Dans ce contexte, les gouvernements se succèdent – que l’on se rappelle les gouvernements Martens, allant de Martens I en 1979 à Martens IX en 1991. Au début des années 1980, le gouvernement social-chrétien et libéral Martens-Gol fait voter à plusieurs reprises des pouvoirs spéciaux afin de mener une politique d’austérité visant à assainir les finances publiques et à accroître la compétitivité des entreprises. Le chômage progresse.

Dans ce contexte où les inégalités sociales augmentent, où les tensions communautaires s’approfondissent et où les revendications pour une plus grande participation des citoyens à l’exercice du pouvoir politique se font entendre, de nouveaux partis à tendance régionaliste émergent : tels le Rassemblement wallon (RW) – qui devient rapidement la deuxième force politique en Wallonie au cours des années 1960-1970 – et le Front Démocratique des Francophones (FDF) à Bruxelles. D’autres partis de type fédéraliste, insistant sur la décentralisation de la décision au niveau des quartiers et des communes pour redistribuer le pouvoir confisqué par les partis traditionnels, apparaissent dans les années 1970-1980. Ils se situent à gauche de l’échiquier politique et entretiennent des liens étroits : ils se nomment Écolo et Solidarité et Participation (SeP). Ces deux partis, l’un toujours sur la scène politique belge en 2019 et l’autre à la durée de vie très courte, sont issus, pour le premier, d’un mouvement de citoyens et, pour le second, d’un mouvement social.

SeP : un météore en politique

SeP est créé en 1982 par des membres du Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC) souhaitant une formation de gauche, pluraliste, non-confessionnelle et se distinguant du Parti Socialiste (PS). Ce mouvement, qui se transforme rapidement en parti, se définit comme « nouveau, ouvert, pluraliste et progressiste ».[1] Son nom énonce les deux axes de sa politique : d’un côté, la « solidarité » entre travailleurs et sans-emplois, entre jeunes, adultes et personnes âgées, entre malades et bien-portants, entre régions rurales et urbanisées ; de l’autre, la « participation » dans le but d’associer le citoyen à l’élaboration des décisions. Le modèle démocratique dont SeP se revendique est l’autogestion, autrement dit un modèle de démocratie participative ou délibérative et non pas seulement représentative. L’absence de référence à la famille politique chrétienne dans le nom même de ce mouvement atteste la volonté à la fois de se démarquer d’un parti social-chrétien jugé trop conservateur et d’attirer des militants progressistes venant d’autres horizons.

Tract d’Écolo et SeP aux élections législatives, 1987 (CARHOP, SeP, n°433 (classement provisoire)).

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